Energie

"C’est le début de la fin de l’âge fossile" : l’électricité décarbonée va-t-elle prochainement prendre le dessus sur l’électricité fossile ?

© Getty Images – RTBF

Par Anthony Roberfroid

L’électricité décarbonée va-t-elle très prochainement prendre le dessus sur l’électricité fossile ? Le monde se dirige en tout cas dans la bonne direction si l’on en croit l’analyse et les prévisions réalisées par le groupe de réflexion britannique Ember, qui milite pour la réduction de l’utilisation du charbon.

Selon leur dernière étude (qui se base sur des données de 78 pays représentant 93% de la demande électrique mondiale), jamais le monde n’a produit autant d’électricité décarbonée. En 2022, 39% de l’électricité mondiale a été produite à partir d’énergies renouvelables et nucléaires. Le vent et le soleil ont même représenté 12% de la production. Deux chiffres record.

"Ce qui est important de souligner, c’est que l’on a atteint les 12%. Il y a quelques années on était à quelques pourcents seulement. C’est vraiment une augmentation qui est quasi exponentielle", indique Sylvain Quoilin, directeur de l’unité de recherche "ISES" (Système énergétique intégré et durable) de l’Université de Liège. Pour preuve, en 2005, ces deux sources ne représentaient que 5% de l’électricité produite dans le monde.

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Le vent et le soleil : les énergies du futur

Les énergies solaires et éoliennes ont donc le vent en poupe, avec une production électrique qui ne cesse d’augmenter.

La production solaire a bondi de 24% par rapport à celle de 2021, ce qui en fait la source d’électricité qui connaît la plus forte croissance et ce, pour la 18e année consécutive, indiquent les auteurs de l’étude. Au total, la production d’énergie provenant du soleil représente 4,5% du mix électrique mondial.

Du côté de la production éolienne, celle-ci a augmenté de 17% depuis 2021, pour atteindre 7,6% du mix électrique mondial.

L’énergie hydraulique et nucléaire sous-performent

Malgré les bonnes avancées en termes de productions d’énergies solaires et éoliennes, les autres sources propres ne suivent pas la tendance.

Du côté de l’énergie hydroélectrique, la production est au plus bas. Seulement 15% de l’électricité a été produite grâce à la force de l’eau en 2022, son plus faible pourcentage dans le mix électrique depuis près de vingt ans. Une baisse qui s’explique par la production européenne qui a atteint son niveau le plus bas depuis 1990, notamment à cause des épisodes de sécheresses qui ont touché le Vieux Continent.

Du côté de l’énergie atomique, la production mondiale d’électricité nucléaire a quant à elle chuté de 5% par rapport à la production de 2021. Une baisse qui s’explique notamment par les nombreuses pannes dans les centrales françaises, mais aussi par l’arrêt de plusieurs réacteurs, notamment en Belgique et en Allemagne. L’atome ne représentait que 9% de l’électricité produite dans le monde (même si l’Europe fait bonne figure avec 20% de son électricité tirée de son parc nucléaire).

La demande d’électricité en hausse, mais comblée en grande partie par le photovoltaïque et l’éolien

La demande d’électricité dans le monde suit sa courbe initiée lors de la dernière décennie, avec une hausse globale de 2,5% en 2022. Selon l’étude, trois pays sont responsables de 93% de cette hausse de la demande : La Chine (54%), les États-Unis (21%), et l’Inde (18%).

La seule croissance de la production éolienne et solaire a permis de répondre à 80% de cette hausse de 2,5% en 2022. Si on ajoute les autres énergies décarbonées, c’est 92% de la demande qui a été comblée.

Selon les auteurs de l’étude, la croissance de l’énergie verte devrait dépasser la croissance de la demande d’électricité en 2023. Ce serait la première année où cela se produirait en dehors d’une récession, précisent-ils.

© Ember

Le gaz stagne, le charbon augmente légèrement pour satisfaire la demande

Une demande en électricité qui augmente, une offre d’énergies renouvelables qui augmente également… mais pas assez pour subvenir au besoin électrique mondial. Dès lors, ce sont les énergies fossiles qui sont activées pour parvenir à suivre le rythme. Cette percée a permis de limiter le recours au charbon (qui a cependant augmenté de 1,1%, la demande d’électricité continuant à croître.)

Malgré la volatilité des prix du gaz et des problèmes de sécurité d’approvisionnement provoqués par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la production mondiale d’électricité par le gaz est restée pratiquement stable, diminuant légèrement de 0,2%. Cette dernière représente 22% du mix énergétique mondial.

Mais le champion incontesté reste le charbon, qui permet de produire 36% de l’électricité à travers le monde. Sa part dans la production mondaine d’électricité a augmenté de 1,1%.

D’après les auteurs de l’étude, la part d’électricité produite par le charbon et les autres combustibles fossiles a augmenté pour répondre au reste de la demande, ainsi qu’aux déficits de la production nucléaire et de la production de gaz.

Cela a eu pour conséquence de faire "grimper les émissions (de gaz à effet de serre) à un nouveau record", de 12 milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2022 (+1,3% par rapport à 2021).

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Comment expliquer cette hausse importante du renouvelable ?

Indisponibilité du nucléaire, sécheresse, guerre en Ukraine et hausse des prix de certaines énergies… L’ensemble de ces facteurs ont poussé l’Europe et une partie du monde à repenser leur politique énergétique pour accélérer la transition vers des énergies décarbonées. L’accord de Paris a aussi un effet puisque les 197 états signataires (dont 55 ont ratifié l’accord) se sont engagés à limiter l’augmentation des températures sous les 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, avec de préférence un objectif sous les 1,5 °C.

"Si on veut respecter les objectifs de 1,5 degré, voire de deux degrés, on ne peut plus faire de nouvelles concessions. Un des gros problèmes auxquels on est confronté pour le moment en Europe, mais encore plus dans d’autres pays, ce sont les subsides aux énergies fossiles", signale Sylvain Quoilin.

Selon une étude de l’OCDE, le soutien public aux énergies fossiles a presque doublé en 2021. De nombreux États continuent également à financer des projets polluants, mais la tendance comment à s’inverser… à l’image des États-Unis qui, même s’ils subsidient toujours des projets controversés sur le plan climatique, financent massivement la décarbonation de son industrie.

Les investissements dans les énergies décarbonées sont aujourd’hui – dans la plupart des cas – moins onéreux que les investissements dans les énergies fossiles : "Ces douze dernières années, le prix du photovoltaïque a été divisé par dix. Donc forcément, on est maintenant dans une configuration où les énergies renouvelables variables, le photovoltaïque mais aussi l’éolien onshore et l’éolien offshore, sont devenues plus compétitives que le gaz, le charbon ou encore nucléaire", détaille le chercheur.

2022, année de la bascule ?

De quoi donc pousser les investissements, jusqu’à provoquer en 2022 un effet de bascule, indiquent les auteurs de l’étude.

Selon Ember, "l’énergie éolienne et solaire pourrait faire entrer le monde dans une nouvelle ère. On pourrait connaître une baisse de la production d’électricité issue d’énergie fossile, et donc une baisse des émissions du secteur de l’électricité."

Le secteur de l’électricité pourrait donc prendre la bonne direction et "ne plus jamais atteindre un pic d’émission plus élevé qu’en 2022", souligne l’étude. "En cette décennie décisive pour le climat, c’est le début de la fin de l’âge fossile", estime l’analyste et coauteure du rapport, Małgorzata Wiatros-Motyka.

© Ember

L’électricité décarbonée va donc prendre l’ascendant sur l’électricité fossile. Reste que la demande, elle, continuera à augmenter avec le passage au tout électrique (voitures, pompes à chaleur, etc.).

Dès lors, les investissements dans l’électricité décarbonée doivent être appuyés pour suivre le rythme prévient Ember :"Toutes les autres sources d’électricité propre doivent progresser davantage, tandis qu’il faut accorder plus d’attention à l’efficacité pour éviter une croissance galopante de la demande d’électricité", indiquent les experts d’Ember, qui appellent à préparer au mieux les défis qui attendent le développement de l’éolien et de photovoltaïque : "Il est urgent de veiller à ce que l’énergie éolienne et solaire puisse être intégrée au réseau : permis de construire, raccordements au réseau, flexibilité du réseau et conception du marché."

L’électricité n’est qu’une partie du problème

Même si la tendance semble bien amorcée, impossible de prédire si les objectifs climatiques seront remplis. Seuls les investissements et les politiques climatiques pourront accélérer ou ralentir le processus…

Il est néanmoins important de noter que la décarbonisation de la production électrique n’est qu’une pierre à l’édifice général : "pour le moment en Europe, l’électricité ne représente que 25%, environ un quart de notre consommation d’énergie finale", prévient Sylvain Quoilin.

"Il ne faut pas oublier que quand on veut décarboner notre système, ce n’est pas seulement décarboner le système électrique. Le gros travail va être de décarboner le secteur du chauffage (et du refroidissement) qui représente environ 50% de notre énergie finale. Cela passera principalement par l’abandon du chauffage au gaz, au profit des pompes à chaleur qui fonctionneront à l’électricité", avertit le chercheur.

La production électrique, de préférence verte, devra donc suivre cette forte hausse de la demande énergétique.

Sur le même sujet : JP La Première (12/04/2023)

Le vent et le soleil ont fourni 12% de l'électricité mondiale (JP La Première - 12/04/2023)

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