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Cessez-le-feu en Ukraine : "un enjeu symbolique plus que stratégique"

4 janvier 2023 à Bakhmut, Oblast de Donetsk. Des soldats ukrainiens se tiennent près d'une stèle avec un drapeau ukrainien et une inscription manuscrite disant: "Bakhmut est l'Ukraine".

© Yan Dobronosov/Global Images Ukraine via Getty Images

Par Catherine Tonero

À peine entré en vigueur, le cessez-le-feu unilatéral annoncé par la Russie en Ukraine pour la Noël orthodoxe a fait place à des échanges de tir des deux côtés du front à Bakhmout et Kramatorsk, dans l'est du pays. Derrière cette trêve dénoncée comme un simulacre par Kyiv et les pays occidentaux, l'enjeu est surtout symbolique, selon Tanguy Struye, professeur de Relations Internationales spécialiste de la Russie. Décryptage en 5 questions.

Faut-il s'étonner de la violation quasi immédiate de ce cessez-le-feu?

"Non car un cessez-le-feu unilatéral ne peut pas fonctionner, et certainement pas dans un conflit de haute intensité où la ligne de front est tellement proche que c’était voué à l'échec. Et puis l’objectif russe n’était sûrement pas d’avoir un vrai cessez-le-feu sur le terrain, c’est impossible, d’autant que les Ukrainiens n’ont pas annoncé qu’ils le respecteraient. Donc automatiquement, si potentiellement les Ukrainiens en profitent pour avancer, les Russes vont aussi agir ou réagir. Bref, en tant que tel, sur le terrain, il était évident que ce cessez-le-feu ne pouvait pas fonctionner."

La Noël orthodoxe, vrai motif de trêve ou prétexte ?

"On croit toujours, erronément, que Poutine s’adresse à nous, Occidentaux, dans ses discours... Alors qu’il s’adresse davantage au monde entier. Son message est le suivant: 'Regardez, quand il y a la Noël orthodoxe, nous on est prêt au cessez-le-feu. Contrairement aux Ukrainiens et Occidentaux qui n’en voulaient pas le 25 décembre'. Il tente de jouer sur son image, non pas vis-à-vis nous en Occident mais vis-à-vis du reste du monde, pour montrer qu’il est de bonne foi, adopte des gestes positifs, etc. C’est évidemment symbolique mais il faut garder en tête que Poutine s’adresse beaucoup moins à nous qu’au continent africain, à la Chine ou à la Turquie qui avait d’ailleurs demandé ce cessez-le-feu.

Alors bien sûr, Ukrainiens comme Occidentaux ont vite dénoncé une grande hypocrisie, d’autant que les Russes ont eux-mêmes bombardé fortement Kiev le 31 décembre. C’est effectivement d’une hypocrisie pure, mais attention à ne pas analyser ce discours à travers l’œil européen uniquement. Car continuellement, Vladimir Poutine s’adresse plus au reste du monde qu’aux Occidentaux. Et le reste du monde est beaucoup plus divisé qu’on ne l’imagine sur la guerre en Ukraine."

Ce cessez-le-feu est donc davantage symbolique que stratégique ?

"C’est un cessez-le-feu de moins de 48h. Vous n’allez pas changer le rapport de force sur le terrain en si peu de temps. On aurait pu y songer s'il avait duré 3 semaines ou un mois. Mais moins de deux jours… Cela ne va rien changer en tant que tel. D’autant que l’adversaire n’est pas censé le respecter, au contraire d’un cessez-le-feu bilatéral. Il n’y a donc pas d’enjeu stratégique ou militaire dans ce cessez-le-feu russe à mon sens."

Quel autre intérêt ce cessez-le-feu peut-il revêtir ?

"Depuis maintenant deux à trois semaines, on entend des deux côtés les mots diplomatie ou négociations. Evidemment avec des conditions inacceptables de part et d’autre. On n'est donc pas dans une logique de négociations, mais dans la rhétorique, ce n'est pas mal car pour la première fois, on reparle de négociations. Sans tirer de conclusions trop hâtives, cela veut aussi dire qu'à un moment donné, les pertes étant tellement importantes des deux côtes, qu'il faudra arriver à cette négociation. Même si on en est encore loin..."

Quand imaginer un véritable cessez-le-feu ?

"De manière générale, un cessez-le-feu est à mon sens exclu pour l’instant car les deux parties sont convaincues qu’elles peuvent encore faire des gains sur le terrain. On peut s’attendre à des tentatives d’avancement aussi bien côté ukrainien que russe, et ça va encore prendre du temps. C’est ça au final qui va déterminer, petit à petit, une sorte de ligne de front stable qui pourrait amener ensuite à négociations, car les deux parties auront réalisé qu’elles ne peuvent plus avancer.

Cela dit, on croit toujours qu’il faut un cessez-le-feu pour négocier. Mais rien n’empêche de négocier, alors que sur le terrain, 'on se tape dessus'. L’un n’est pas lié à l’autre. Dans la pratique, et j’en veux pour exemple le Vietnam et l’accord de Paris, on continue souvent à se battre sur le terrain alors que se prépare la négociation d'un accord."

Sur le même sujet : extrait du JT du 06/01/2023

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