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Ces femmes qui partent en voyage en solo

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Par Alice Dulczewski pour Les Grenades

Des photos de montagnes, de plages, de monuments en Ouzbékistan, au Sri Lanka ou encore dans les Alpes françaises… les témoignages de voyageuses francophones affluent sur le groupe “We are backpackeuses !”.

 

Ce groupe Facebook créé par deux Françaises en 2015 rassemble aujourd’hui pas moins de 140.000 membres de France, du Québec, de Belgique ou encore du Maroc. Les voyageuses francophones “en sac à dos” y trouvent un espace de parole pour échanger et se donner des conseils de voyage.

Mais ce qui marque particulièrement, c’est le nombre de femmes qui, dans ce groupe, expliquent “enfin sauter le pas” en décidant de partir en voyage en solo. Un voyage en solitaire souvent motivé par le désir de partir à l’aventure et de se sentir libre.

Membre du groupe, c’est à l’âge de 24 ans que Lola s’est lancée dans son premier voyage solo. “J’ai vécu un coup dur dans ma vie, j’étais au fond du trou et j’ai décidé de partir toute seule aux Philippines pendant deux mois. Ce voyage a été une révélation pour moi”, nous explique Lola. “Je me suis retrouvée face à moi-même et j’ai appris à être heureuse seule. Aussi, les rencontres se font beaucoup plus facilement avec les locaux et les autres voyageurs”, ajoute-t-elle.

Complètement convaincue, Lola est ensuite repartie quatre fois en voyage en solo aux quatre coins du monde. Elle explique : “Je me suffis à moi-même, je me sens forte et je suis fière de tout ce que j’ai appris et vécu”.

Les femmes sont depuis des millénaires des êtres d’intérieur. Nous avons une histoire de l’enfermement très ancienne, que ce soit au sein du foyer ou encore dans les couvents

Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de partir à l’autre bout du monde pour avoir ce même sentiment. Florence, une Belge de 23 ans, nous explique avoir été chamboulée par son expérience en solo dans les montagnes autour d’Annecy, en France. “J’avais un besoin profond de me sentir libre”, confie-t-elle. “Au final, ça a été génial. Voyager en solo m’a amenée à me recentrer, à écouter mes ressentis à chaque instant. Selon moi, c’est une façon de voir autrement son rapport à la liberté, à l’imprévu, à l’inconnu et à la solitude”.

Le voyage comme "levier d’émancipation”

Selon Lucie Azema, autrice du livre “Les femmes sont aussi du voyage” (2021), partir seule à l’aventure est loin d’être anodin pour une femme. Ayant elle-même vécu dans différents pays tels que l’Iran, l’Inde ou encore le Liban, l’autrice et journaliste française décrit le voyage en solo comme un “levier d’émancipation extrêmement puissant”.

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Contactée par les Grenades, elle explique : “Les femmes sont depuis des millénaires des êtres d’intérieur. Nous avons une histoire de l’enfermement très ancienne, que ce soit au sein du foyer ou encore dans les couvents”. Or, ajoute-t-elle, “voyager, c’est sortir et prendre l’espace public. Voyager, c’est être libre d’aller et venir. C’est une émancipation au sens littéral du terme”.

A côté de ça, ajoute Lucie Azema, le voyage en solo permet aux femmes “d’être confrontées à elles-mêmes” et ainsi de “comprendre qu’elles peuvent avoir confiance en leurs intuitions”, une conviction dont elles ont “été privées depuis l’enfance”.

La peur qu’ont les femmes en voyageant en solo est la même que la peur qu’elles ont déjà dans leur propre pays

Aussi, pour la journaliste, voyager peut permettre aux femmes de renégocier d’autres injonctions, comme celles de la maternité, de la stabilité, de l’esthétique. “Le rapport au maquillage par exemple, à l’épilation, à l’habillement est vraiment différent. On s’habille souvent avec ce que l’on trouve. On est beaucoup moins centré sur le physique”, souligne l’autrice.

Mais, ajoute-t-elle, c’est à condition de ne pas jouer le jeu de “la voyageuse hyper apprêtée, voire sexualisée sur Instagram”. Selon Lucie Azema, pour que le voyage puisse vraiment être émancipateur, il faut absolument garder “assez d’espace mental pour s’ouvrir à l’autre, être libre et faire exploser des choses en soi.”

“C’est Ulysse qui part et Pénélope qui l’attend”

Certes, partir en solo à l’aventure peut aussi s’avérer émancipateur pour les hommes. Mais selon Lucie Azema, il y a une différence majeure avec le voyage solo de la femme. En effet, explique-t-elle, “la prise de risque des hommes est valorisée socialement. Les injonctions faites aux hommes sont liées à la liberté et à l’indépendance. En étant libres, les hommes se conforment en fait à leur performance de genre”.

A contario, ajoute-t-elle, “se conformer chez les femmes est centré sur l’intérieur, la soumission, sur le fait de prendre soin des autres. En définitive, c’est toujours Ulysse qui part et Pénélope qui l’attend. Dans ce contexte, voyager est donc beaucoup plus puissant et libérateur pour une femme”.

La question de la sécurité

Lorsqu’on aborde le sujet du voyage solo au féminin, la question de la sécurité revient inlassablement. "Ce n’est pas dangereux ?”, “tu n’as pas peur ?” sont des questions que les voyageuses solo entendent régulièrement. Mais Lucie Azema démonte cet argument qu’elle considère “paternaliste”.

Elle explique : “Être une femme dans l’espace public est malheureusement un danger partout, à Paris comme ailleurs. Dire aux femmes ‘ne voyagez pas, ça va être dangereux’ est une façon de les enfermer. C’est une double peine qui fait en plus reposer sur elles la responsabilité (d’un quelconque incident)”.

Pour l’autrice française, le danger en voyage pour les femmes est même très exagéré. “A l’étranger, j’ai toujours eu des problèmes qu’un homme aurait pu rencontrer aussi. Une attaque de singe par exemple n’est pas liée au fait que je sois une femme”, explique-t-elle. Bien sûr, ajoute Lucie Azema, “il arrive parfois des choses horribles à des voyageuses et des voyageurs. Mais pourquoi est-ce toujours seulement aux femmes qu’on en parle ?”

D’autant qu’à côté de ça, continue-t-elle, “la prise de risque des hommes voyageurs est, au contraire, hyper valorisée. Certains hommes font parfois des choses hyper dangereuses en voyage et c’est considéré comme viril”.

De son côté, Mathilde Rogez, co-créatrice et modératrice du groupe “We Are Backpackeuses !” considère aussi que “la peur qu’ont les femmes en voyageant en solo est la même que la peur qu’elles ont déjà dans leur propre pays”. Elle cite par exemple “la peur des relous (des lourds), la peur de prendre les transports en commun le soir, la peur des agressions sexuelles etc.”

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Néanmoins, précise-t-elle, “être seule au bout du monde peut ajouter une certaine angoisse”. Dans le groupe Facebook qu’elle a co-créé, “il y a des femmes qui demandent si telle ou telle destination est plus dangereuse qu’une autre, que ce soit en tant que femme mais aussi en tant que touriste. Certaines ont parfois besoin d’être rassurées, mais je trouve que la peur n’est absolument pas le sentiment qui domine dans ce groupe”, ajoute Mathilde Rogez.

Notons aussi qu’afin de partir plus rassurées, certaines voyageuses utilisent des plateformes comme le site “La Voyageuse”, qui met en contact les voyageuses solo avec des hébergeuses de confiance à travers le monde.

Le besoin de modèles

En définitive, pense Lucie Azema, “si une femme veut partir mais qu’elle a des questionnements – qui peuvent être légitimes – elle peut se demander : ‘est-ce qu’un homme dans la même situation que la mienne hésiterait pour les mêmes raisons ?’ Si la réponse est non, alors je pense qu’il faut y aller”. Pour la journaliste française, il s’agit pour la femme de se libérer de ses verrous internes et de suivre son instinct.

Un conseil qui n’est pas sans rappeler cette phrase du poète Omar Khayyām, citée dans le livre de l’autrice : “Suppose que tu n’existes pas, et sois libre”.

Pour celles qui désirent sauter le pas, Lucie Azema conseille de lire les récits de grandes voyageuses comme Alexandra David-Néel, Ella Maillart ou encore Annemarie Schwarzenbach. A un autre niveau, les témoignages que l’on retrouve sur le groupe Facebook “We are backpackeuses !” apportent aussi des modèles et des sources d’inspiration aux voyageuses en herbe. Comme l’explique la voyageuse solo Florence, partie à Annecy, “certaines discussions dans ce groupe m’ont permis d’imaginer que c’était aussi possible pour moi d’aller vers ce qui me faisait vibrer”.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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