Joue-t-on aux apprentis sorciers en Campine ? C’est la question que se posent certains sismologues. Cette zone de Belgique particulièrement peu sujette aux séismes tremble régulièrement depuis l’entrée en fonction d’une centrale de géothermie profonde, dans la région de Mol. Un peu plus de deux cents tremblements de terre ont été enregistrés depuis qu’elle est en phase de test. La plupart étaient très légers, au point de passer inaperçus auprès des riverains. Mais le dernier en date a été ressenti physiquement dans la région. La centrale est à l’arrêt jusqu’à nouvel ordre.
La géothermie profonde consiste à exploiter la chaleur présente à plusieurs kilomètres sous terre. Dans la centrale de la région de Mol, on injecte de l’eau froide dans le sous-sol et on extrait à 3,2 kilomètres de profondeur, de l’eau à 130 degrés.
C’est ce qui serait à l’origine des mini-séismes constatés. "Vraisemblablement, ils injectent et pompent de l’eau au niveau d’une faille, décrypte Michel Van Camp, sismologue à l’Observatoire royal de Belgique. Et quand vous injectez de l’eau dans une faille, vous modifiez la pression au niveau même de la faille qui maintient les deux blocs de croûte terrestre ensemble. Vous pouvez aussi la lubrifier. Et vous pouvez favoriser des tremblements de terre. C’est ce qui se passe à mon sens, à Mol."
Ce qui a alerté le sismologue et ses confrères, ce sont quelques séismes de plus de 1 de magnitude. "En décembre 2018, il y a eu un premier séisme de 1.2, suivi d’un séisme de 1.5 en janvier 2019. Et le dernier en date [du dimanche 23 juin] valait 2.1 en magnitude. Il a été ressenti par les riverains, et cela a provoqué un certain émoi que je comprends."
"Quels sont les risques si l’on continue à injecter et pomper de l’eau dans le sous-sol à Mol ?"
C’est la question que pose Michel Van Camp. "Le problème, c’est qu’on ne sait pas ce qui se passe en profondeur. Il faut multiplier les réseaux de mesures sismiques, faire des expériences en laboratoire de dynamique des roches et enquêter de manière approfondie sur ce qui se passe dans les pays voisins."
A l’Institut flamand pour la recherche technologique (VITO) qui exploite cette centrale géothermique, on confirme le lien entre les tremblements de terre et l’injection d’eau froide dans le sous-sol. "Mais on est en train d’analyser le mécanisme exact qui a provoqué le tremblement de terre le plus récent et ce qu’on peut changer pour éviter cela à l’avenir", explique Ben Laenen, responsable de recherche au VITO.
Car un paramètre non négligeable pousse les chercheurs à une certaine prudence : le Centre d’étude de l’énergie nucléaire de Mol est tout proche. Et même si Ben Laenen "n’est pas inquiet, car les normes de construction de ces bâtiments sont plus strictes que celles d’une simple habitation", il admet que c’est un paramètre dont il faut tenir compte. Quand on lui demande s’il a une idée du risque exact que représentent ces séismes, sa réponse reste vague : "L’ampleur exacte du risque encouru, nous menons des recherches pour la cerner".
Ben Laenen se veut toutefois rassurant. "Aux Pays-bas aussi, des séismes liés à la géothermie se sont produits. Des analyses sont d’ailleurs en cours pour comprendre le pourquoi de la chose. Et en France aussi, en Allemagne, ou encore en Suisse". La Suisse a d’ailleurs déjà arrêté certains projets de géothermie profonde suite à des tremblements de terre de plus forte magnitude.
Pour Michel Van Camp, "il faut impérativement arrêter l’exploitation tant que des réponses claires ne sont pas données par le VITO".
La centrale est à l’arrêt en ce moment et ne devrait pas être relancée avant l’aboutissement d’une série d’analyses. " Pas avant fin août, voire septembre", nous a précisé Ben Laenen, responsable de recherche au VITO.