Céline Caudron, coordinatrice à Vie Féminine: "On n'a pas une vision des hommes comme des gros méchants"

Céline Caudron, coordinatrice à Vie Féminine.

© RTBF

Un collectif de femmes a publié une tribune assez controversée dans le quotidien Le Monde pour dénoncer un certain puritanisme apparu depuis l’affaire Weinstein. Pour ces écrivaines, journalistes, comédiennes et chercheuses, le viol est un crime et la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit. Céline Caudron, coordinatrice à Vie Féminine, était invitée ce mercredi sur La Première pour commenter cette initiative.

Quelle a été votre première réaction quand vous avez lu ce document ?

"D’abord, pas spécialement étonnée parce qu’en effet, ce qu’elles traduisent est quelque chose qui est assez véhiculé dans la société, il y a toujours eu des femmes qui se satisfont du statu quo, même si elles sont elles-mêmes victimes de violences machistes. Donc, a priori, je ne suis pas étonnée. Après, ma deuxième réaction était surtout que c’est une carte blanche remplie de mépris envers les femmes qui encouragent de parler, et c’est ça qui est très violent en fait".

Si je vous avais dit que vous êtes jolie ou que vous êtes bien habillée ce matin, c’est de la drague insistante, maladroite ? C’est un délit, de la galanterie ou une agression machiste ? Est-ce que je dois être cloué au pilori pour ça ?

"Est-ce que vous auriez dit ça si j’étais un homme ? C’est aussi la question qu’il faut se poser. Vous n’auriez peut-être pas parlé des vêtements ou du physique d’un homme".

J’aurais peut-être dit " vous avez de belles chaussures "...

"Oui, voilà. Ce sont des choses auxquelles on est habituées en effet, mais le problème est qu’on a souvent coutume de dire que ce sont des choses qui ne sont pas graves. Nous, à Vie Féminine, on dit qu’il n’y a pas de petites violences envers les femmes parce que le principe est toujours le même. Le principe qu’il y a derrière toutes les violences envers les femmes, quelles qu’elles soient, de quelque intensité qu’elles soient, est que ce sont toujours des hommes qui se permettent de faire ce qu’ils veulent envers les femmes pour pouvoir continuer à profiter de leurs privilèges. Ça prend différentes intensités, mais si le fond est toujours le même, ça veut dire qu’à un moment il faut arrêter, il faut mettre le holà et dire qu’on ne peut plus continuer à tolérer ce genre d’attitude-là parce qu’on peut aller très loin, jusqu’à des violences physiques et jusqu’au meurtre, ce qui se passe en effet".

Ce qu’elles disent, c’est que ça crée quand même un phénomène de censure et d’autocensure de ne plus vouloir plaire. Ça servirait les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment, au nom d’une conception substantielle du bien et de la morale victorienne qui va avec, que les femmes sont des êtres à part, des enfants à protéger.

"Il y a deux choses là-dedans. Déjà, elles parlent de puritanisme. Pour moi, quand on dénonce des violences sexuelles, des agressions sexistes, c’est plutôt revendiquer le droit à disposer de son corps et le droit à vivre une sexualité comme on veut, avec qui on veut, quand on veut, dans le respect des désirs de chacun et de chacune. Pour moi, ce n’est pas très puritain de respecter le désir de tout le monde. C’est une première chose.

Ensuite, quand elles parlent du statut éternel de victime des femmes, déjà le statut de victime n’est pas négatif en soi. Quand on est victime, ça veut dire qu’on admet qu’il y a eu une injustice, et donc il faut pouvoir réparer cette injustice-là. Après, la victime n’est pas spécialement passive, inactive, soumise ou docile, etc. Ça, c’est un mythe duquel on doit aussi pouvoir se débarrasser. D’ailleurs, les femmes qui parlent ont eu le courage de parler, elles sont complètement actives et elles résistent. Après, ce qu’il faut, c’est qu’on dépasse le statut de victime. Ça veut dire qu’il faut qu’on s’attaque aux violences et aux agressions. Ce n’est pas la victime qu’on doit remettre en cause, ce sont plutôt les agressions qui sont là derrière".

J’ai l’impression qu’il y a un problème de génération, que vous n’êtes pas sur la même longueur d’onde. C’est vraiment très générationnel. Quand on voit le nom de ces personnes qui ont signé cette carte blanche, ce sont des personnes qui ont eu leur liberté sexuelle dans les années 60, qui ont la soixantaine, il faut bien le dire. Aujourd’hui, on est face à des femmes d’une autre génération et qui ont peut-être une autre façon de penser.

"Oui, c’est peut-être générationnel. On pourrait dire aussi que ce serait éventuellement lié à leur statut. Ce sont quand même des femmes qui ont des métiers assez valorisants, leur ego est régulièrement flatté par la notoriété qu’elles ont, etc. Peut-être qu’elles ont une position qui est plus confortable pour pouvoir se satisfaire de la situation actuelle, ce que n’ont peut-être pas toutes les femmes".

Vous dites que c’est facile pour elles de faire ça ?

"Peut-être, je ne sais pas. Vous parlez d’une explication générationnelle, il peut y avoir plein d’autres explications. Je pense que beaucoup de femmes pensent comme ça parce qu’on est habitué à cette culture-là, on a tous ça en tête, toutes et tous".

Vous, en tant que coordinatrice à Vie Féminine, vous faites quoi pour faire avancer les choses ? Est-ce qu’il y a de la pédagogie à faire encore ?

"Oui. Déjà, on essaie de débanaliser les violences en essayant de montrer que les violences sont partout, elles sont quotidiennes pour l’ensemble des femmes. Et les violences ne sont pas seulement des violences physiques ou des violences sexuelles, ce ne sont pas que des violences conjugales qui se traduisent par des coups, ça peut être en effet, comme je disais tout à l’heure, des petites choses, mais qui ont toutes les mêmes bases. Quand on débanalise ça, ça veut dire qu’on ouvre la porte à arrêter l’impunité. Parce que ce qui se passe maintenant, c’est qu’il y a une énorme tolérance sociale des violences envers les femmes et dès qu’on les conteste, on est tout de suite puritaines ou on exagère, etc."

Mais est-ce qu’il faut clouer au pilori l’autre genre dans ce combat-là ?

"Je n’ai pas l’impression qu’on cloue au pilori l’autre genre. Là, dans la carte blanche, elles parlent d’une haine envers les hommes, nous on a plutôt une haine envers le patriarcat, pas envers les hommes. Ce qui nous pose problème est ce système de domination. Dans ce combat-là contre les violences, il y a évidemment des hommes qui sont nos alliés, et heureusement".

Vous seriez la moitié…

"Non, on serait peut-être beaucoup, mais ce qu’il faut, c’est surtout que les hommes se bougent aussi. On n’a pas une vision des hommes comme des gros méchants, on n’est pas si binaire que ça".

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