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"Casser les codes" : la voix d’Hélène Ruelle, développeuse

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Par Sarah Lohisse pour Les Grenades

Le déséquilibre dans le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) en Belgique est encore grand. Ces postes ne sont occupés qu’à 14% par des femmes. Elles ne représentent que 10% des étudiant·es en informatique. Face à ce constat alarmant, la réalisatrice Safia Kessas est partie à la rencontre de femmes qui font bouger les lignes dans le secteur de la tech dans son documentaire "Casser les codes". Pour ce premier portrait d'une série de femmes que vous découvrirez dans le documentaire, rencontre avec Hélène Ruelle, développeuse Frontend.

"La qualité première, c'est beaucoup d'imagination parce que tu dois être capable de te projeter. Quand tu arrives à réduire le monde en plein de petites abstractions c'est super !", nous raconte Hélène Ruelle, passionnée par son métier. Entre deux gorgées de café, elle explique les spécificités des données qu’elle transforme depuis trois ans chez Stoomlink, une start-up bruxelloise qui construit des solutions digitales pour la mobilité.

Son rôle de développeuse Frontend ? Traiter les données brutes pour qu’elles soient lisibles par l’humain et agréable dans le confort visuel des usagers et usagères, les "users". Elle rigole de ces anglicismes à répétition. Ce qui lui plaît dans sa profession de développeuse web, c’est le côté créatif parce qu’il y a "mille bonnes manières de faire les choses, c’est à toi de créer la tienne", et valorisant "de comprendre un langage particulier, comme si tu résolvais un mystère".


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Un métier que l’on peut apprendre à tout âge

Alors qu’elle explique les différentes facettes de son métier, on pourrait imaginer qu’elle maîtrise ces codes depuis sa plus tendre enfance, pourtant elle a tout appris à Bruxelles Formation il y a trois ans.

Bruxelles Formation est accessible gratuitement pour les demandeur·euses d’emploi chez Actiris et dure huit mois, à raison de 40 heures/semaine. Si Hélène Ruelle a particulièrement aimé cette formation qui lui vaudra, plus tard, un CDI au terme de son stage, cela ne l’empêche pas de rester critique, notamment en raison, en tant que femme, de sa claire position d’infériorité numérique.

Seule avec onze hommes. Une situation qui se répercute encore dans son entreprise actuelle puisqu’elle est la seule femme dans une équipe de cinq. "C'est beaucoup de boulot d'être en claire minorité. Tu dois à la fois défendre ta légitimité à être là, et en même temps apprendre tout ce que tu as à apprendre. C'est la partie qui est la plus dure. J'ai envie de faire ce métier, mais il faut imaginer qu'à un moment dans le parcours, en tant que femme, tu seras seule. Le vivre, c'est autre chose que de le conceptualiser. Il ne faut pas minimiser l'expérience minoritaire parce que ça change quelque chose dans la perception de toi-même au quotidien", explique-t-elle.

La tech ne s’est d’ailleurs pas présentée à elle comme une évidence : "Ce sont des métiers très masculinisés que l’on ne pense pas faits pour les filles. Jumelé à cela, il y a une grande méconnaissance de ceux-ci. Quand on parle d’informaticien·ne, on a l’impression que ce ne sont pas des métiers qui s’apprennent si tu n’as pas toujours été méga geek". Un parcours qu’elle n’a donc pas envisagé dans un premier temps puisqu’elle s’est d’abord dirigée vers des études artistico-littéraires avant de se lancer dans la formation en développeuse mobile Androïd et Iphone. "Je me suis retrouvée au chômage et je me suis dit que je n'avais rien à perdre. Quand j'ai commencé la formation, j'avais 27 ans. J'avais l'impression que c'était trop tard pour apprendre, ça me paraissait étrange", confie-t-elle.

Il ne faut pas minimiser l'expérience minoritaire parce que ça change quelque chose dans la perception de toi-même au quotidien

Désacraliser le domaine de la tech

Un sentiment d’imposture qu’elle aurait probablement moins ressenti si elle avait connu des modèles féminins dans le monde des NTIC : "Tant qu'il n'y aura pas beaucoup de femmes dans ces métiers-là, on sera isolée. On aura un sentiment d'inconfiance et du mal à se penser soi-même comme l'égale d'un homme". Elle souhaite en ce sens déconstruire les préjugés liés au secteur en le désacralisant, en le rendant moins opaque et en favorisant la diversité afin que tout le monde puisse s’approprier les outils qui font leur quotidien.

"On gagnerait à en parler plus, même pour nous, à l’intérieur même de la profession. Quand je vois que des hashtags arrivent à faire bouger les choses sur les réseaux sociaux, ça doit nous apprendre à quel point c'est puissant, et à quel point on devrait tou·tes les utiliser librement et en pleine conscience " le justifie la développeuse.

L'utopie open source pourrait aller vers sa concrétisation, c’est-à-dire un savoir qui serait pour tout le monde, qui serait bienveillant et inclusif

Un savoir open source pour les passioné·es de la tech déjà mis à disposition sur des forums geek l’a d’ailleurs poussée à apprendre les techniques du "Arduino", permettant la programmation de systèmes électriques, qu’elle utilise pour créer des petits instruments de musique dans son temps perdu. "Ce qui me fait marrer, c'est de "bidouiller", de pouvoir coder dans une machine et de le voir directement se concrétiser de manière tangente, non virtuelle", sourit-elle.


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Elle souhaiterait néanmoins que ce savoir soit accessible à tou·tes : "L'utopie open source pourrait aller vers sa concrétisation, c’est-à-dire un savoir qui serait pour tout le monde, qui serait bienveillant et inclusif. C’est ce que les modes traditionnels d'éducation n'arrivent pas à faire. On pourrait s’en emparer sur des supports web".

Si cet idéal fait rêver, elle reste consciente que l’accessibilité du web – qui désigne la manière dont on peut utiliser Internet sans ses doigts, ses yeux et ses oreilles- est particulièrement limité. "Quand par exemple, tu fais délibérément un site de service public où une personne malvoyante ne va jamais pouvoir l’utiliser, c'est grave", s'insurge-t-elle en continuant : "On demande peu de compte à la profession parce que son image est valorisante : celle d’un homme, génie providentiel, qui va savoir faire quelque chose à partir de rien".

Un monde qu’elle souhaite plus exigeant pour défaire les failles sociales – tant dans les discriminations physiques, de genre et diversité, que du milieu social - et environnementales qu’il induit. Une voie qu’elle ne peut pas emprunter seule, mais qu’elle suit du mieux qu’elle peut.

Le documentaire "Casser les codes" de Safia Kessas est à découvrir en avant-première au Kinograph le 7 décembre prochain, ainsi que le 8 décembre à 23h sur la Une.

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