Investigation

Cadavres, déjections ou caméras de surveillance : comment la Wallonie suit-elle ses loups ?

Un cadavre de mouton trouvé dans une prairie : a-t-il été tué par un loup ou par un chien errant ?

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Par Arnaud Pilet

La Wallonie voit les loups revenir de plus en plus vite. Un sixième vient d’ailleurs d’être officiellement reconnu. Pour les comprendre, anticiper et aussi indemniser les éleveurs victimes de leurs attaques, un arsenal de moyens est mis en place. Si la meute wallonne est relativement sédentaire, tous les loups de passage ne se laissent généralement détecter qu’avec les cadavres d’animaux domestiques laissés sur leur chemin.

L’ADN sert à déterminer le coupable. Mais aussi, si c’est bien un loup, son sexe, son origine et même son arbre généalogique.
L’ADN sert à déterminer le coupable. Mais aussi, si c’est bien un loup, son sexe, son origine et même son arbre généalogique. © Tous droits réservés

Les cadavres

LA preuve principale du passage d’un loup, ce sont les cadavres qu’il laisse derrière lui. Des moutons, le plus souvent. Mais aussi des proies sauvages, beaucoup plus compliquées à détecter sauf en tombant dessus par hasard dans un bois. Mais ce n’est évidemment pas aussi simple. Lorsque des moutons gisent au sol dans la prairie d’un éleveur, le fautif est souvent un chien errant. Beaucoup l’ignorent, mais le " meilleur ami de l’homme " fait souvent beaucoup de dégâts quand il échappe à l’attention de son maître. Il est loin d’être le meilleur ami de tout le monde : "Je n’ai jamais vu de loup donc je pencherais pour un chien ! Des chiens qui tuent mes moutons j’en vois tout le temps. Un peu de trop d’ailleurs", nous a expliqué un éleveur après avoir retrouvé 3 moutons morts dans sa prairie.

Pour distinguer une attaque de loup de celle d’un chien, les enquêteurs envoyés sur place analysent la scène de crime : "Les empreintes de patte dans la boue, les poils laissés sur les clôtures mais aussi le type d’attaque nous permettent d’avoir une idée plus claire, détaille Jean Pêcheur, un agent du Département Nature et Forêt spécialement formé. Les loups auront tendance à vouloir aller vers le thorax de l’animal et consommer le cœur, les poumons, le foie qui sont riches en nutriment et aisés à consommer. C’est plus "décidé". Les chiens ont tendance à davantage jouer. C’est moins net mais ce n’est pas toujours une évidence".

Car certains loups sont plus "brouillons" que d’autres, comme des chiens. D’autres sont interrompus lors de l’attaque et laissent une scène de crime confuse. Et puis il y a une part d’inexplicable lié sans doute à la personnalité du loup, à son éducation. Alors, la seule façon d’en avoir le cœur net, c’est l’ADN. Lors de chaque attaque, des échantillons sont prélevés sur les blessures des cadavres. Ces écouvillons sont envoyés chez GéCoLab, un laboratoire de génétique de l’université de Liège où ils subissent une amplification PCR (oui, comme pour un test COVID). Si des brins d’ADN sont détectés en quantité suffisante, l’équipe va tenter de percer le premier mystère : "Pour qu’un éleveur soit indemnisé, nous devons avoir la certitude que le loup est bien le coupable. Si c’est bien le cas, nous pourrons aller plus loin, explique Lise-Marie Pigneur de chez GéCoLab. L’ADN, s’il n’est pas trop dégradé, pourra donc permettre d’identifier un individu, le sexe, la lignée d’origine (la lignée italo-alpine converge vers chez nous depuis la France et l’Italie, la lignée germano-polonaise vient de l’Est) mais aussi de relier le loup à sa mère, son cousin ou autre déjà détectés dans la base de données européenne ". Généralement, ces traces ADN laissées sur des cadavres un peu partout en Wallonie appartiennent à des loups dits "dispersants". Des animaux solitaires éjectés de leur meute parfois à des centaines de kilomètres. Ils recherchent un nouveau territoire pour s’installer définitivement comme le 6e loup wallon récemment officialisé du côté de Butgenbach et Bullange. Et là, d’autres outils de suivi sont mis en place.

Des caméras pièges sont disséminées un peu partout dans la zone de la meute wallonne pour mieux comprendre leurs habitudes.
Des caméras pièges sont disséminées un peu partout dans la zone de la meute wallonne pour mieux comprendre leurs habitudes. © Tous droits réservés

Les caméras

Des caméras automatiques permettent notamment de prendre une photo quand un animal (ou un promeneur d’ailleurs) passe devant son champ de détection. Elles existent depuis longtemps. Leur usage est extrêmement répandu dans le milieu de la chasse notamment. Une façon de bien contrôler la présence du gibier peu avant un jour de chasse dans la zone choisie. Mais la Région wallonne aussi en installe un peu partout pour surveiller la faune sauvage. Désormais "lors des périodes les plus significatives, nous en installons jusqu’à 50 dans la zone de présence permanente du loup (la ZPP = là où vit la meute wallonne)", explique Thibaut Herrin du DEMNA (Département de l’Etude du milieu naturel et agricole). La Wallonie les dispose surtout dans ces aires pour maximiser les chances d’obtenir des clichés.

Le but de ces photos : comprendre où se trouve la meute, quels chemins naturels empruntent les loups ? Ont-ils tendance à se déplacer davantage durant certaines périodes ? Mais elles permettent aussi de mesurer la réaction des autres animaux (les cerfs, les chevreuils, les sangliers principalement) suite à la présence du grand prédateur, une nouveauté pour eux également. Dans les Hautes Fagnes, les observations démontreraient que les animaux sauvages se déplacent davantage, se regroupent aussi ou ont tendance à déserter certaines zones pour éviter leur bourreau. Concernant la meute, les photos permettent d’affiner les connaissances concernant leurs lieux de rendez-vous suite à une prédation par exemple ou savoir où se trouve précisément le(s) lieu (x) où les 5 loups de la meute wallonne passent leurs nuits. Un lieu tenu complètement secret pour protéger leur tranquillité.

Une déjection de loup trouvée au cœur de la zone de présence permanente du loup (ZPP). Dans le territoire de la meute wallonne, ces excréments restent l’indice le plus aisé à trouver.
Une déjection de loup trouvée au cœur de la zone de présence permanente du loup (ZPP). Dans le territoire de la meute wallonne, ces excréments restent l’indice le plus aisé à trouver. © Tous droits réservés

Les déjections

Mais pour comprendre où installer ces caméras-trap, les scientifiques de la Wallonie reçoivent de l’aide : la présence systématique et répétée de déjections dans une même zone. Les loups consomment des proies sauvages évidemment mais aussi des moutons, des chèvres et encore, plus rarement, d’autres animaux domestiques. Leur système digestif fait son œuvre et les loups laissent ensuite des excréments. Ces déjections regorgent potentiellement d’informations : "Il faut qu’elles soient les plus fraîches possible pour que l’on puisse y trouver des traces ADN mais ça n’arrive évidemment pas à chaque fois. Mais même sans ADN, nous pouvons déjà nous intéresser au repas du loup", explique Pascal Ghiette, expert du réseau loup wallon et membre du DEMNA, l’administration wallonne en charge du suivi scientifique de l’environnement régional.

Une étude a d’ailleurs démarré l’été passé au laboratoire de l’administration à Gembloux. Les déjections trouvées sur le terrain sont répertoriées, congelées et envoyées sur place. Une fois traitées, désinfectées aussi, elles sont décomposées et triées. Qu’y trouve-t-on ? Des fragments d’os (les loups broient très facilement les os) et des poils. Ces derniers sont triés minutieusement et grâce à des bases de données et à la littérature, Solène Mertens parvient à attribuer chaque poil à son "propriétaire" et donc définir ce qu’à manger un loup et dans quelles proportions. Pour le moment, l’étudiante, qui réalise son mémoire à la Haute école de La Reid, n’a trouvé de la laine de mouton qu’à une occasion sur 70 échantillons analysés "mais on trouve par contre beaucoup de cervidés, des sangliers, des rongeurs, de la martre et même du castor". Peu de moutons, de quoi rassurer les éleveurs. Pourtant il y a eu une vague d’attaque dans la zone de l’unique meute wallonne lors de l’été 2021 avec près de 45 moutons tués, principalement dans la commune de Jalhay, au cœur des Hautes Fagnes : "Cette étude permet aussi de comprendre la dynamique de la meute. Et on voit que cette vague correspond au moment où les jeunes, de quelques mois à peine, commencent à consommer de la viande et donc les parents vont sans doute chercher de la nourriture là où elle est plus facilement disponible, décrit Vinciane Shockert, experte du Réseau Loup. En dehors de cette période, on voit que les attaques diminuent et donc qu’ils se tournent davantage vers les proies sauvages".

Des informations précieuses. Elles vont permettre d’accentuer la vigilance et la protection pour les troupeaux de mouton durant des périodes plus critiques. Des mesures qui doivent permettre de diminuer les prédations, les indemnisations mais aussi la réputation du loup afin qu’il continue à bénéficier d’une image correcte auprès des victimes de son instinct de prédateur.

 

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