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"Ça va bien la RTBF de promouvoir des pratiques illégales ?"

"Rixard tatoo", un reportage Vews qui a beaucoup fait réagir.

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Par Amélie Bruers, journaliste à la rédaction Info, pour Inside

Nous avons reçu plusieurs commentaires et e-mails concernant deux vidéos Vews. L’une donne la parole à une dame qui raconte son "don" de médium (Sophie est médium), l’autre reportage suit un tatoueur-performeur dans l’une de ses performances publiques dans le Bois de la Cambre à Bruxelles (Rixard tatoue avec ses pieds).

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Plusieurs personnes s’étonnent que la RTBF fasse "la promotion" d’activités illégales, de charlatanisme ou encore de danger sanitaire. Nous avons posé la question à Jérémy Giltaire, référent info pour le public "Jeunes Adultes". Au quotidien, il est responsable éditorial et managérial des journalistes qui travaillent pour Vews et Tipik.

Captures d’écran de commentaires sous la vidéo "Rixard tatoue avec ses pieds", publiée sur la page Facebook de Vews.
Captures d’écran de commentaires sous la vidéo "Rixard tatoue avec ses pieds", publiée sur la page Facebook de Vews. © vews_RTBF

Ces contenus sont-ils vraiment de l’information ? 

Jérémy Giltaire : "Pour moi, les deux vidéos ont clairement un intérêt d’information parce que ce sont des phénomènes qui existent autour de nous. Ce sont même parfois des enjeux de société. On ne doit s’interdire de ne parler d’aucun sujet et on doit être le témoin des évolutions, des tendances et de la diversité des gens qui composent la société. Et ce n’est pas parce qu’ils auraient des idées ou activités marginales qu’on doit s’empêcher d’en parler.

Pour la medium, on peut ne pas être d’accord. Il n’y a pas de validation scientifique de cette pratique mais ça existe dans la société. Voilà le quotidien de cette personne, voilà les idées qu’elle défend. C’est un sujet de société au même titre que, par exemple, l’euthanasie ou le parcours d’un prêtre.

Rixard tatoo, c’est de la culture. Est-ce que c’est de l’art ? Est-ce que c’est de la provoc ? On traite cela comme on traiterait une performance d’art contemporain. La même question se pose pour une autre vidéo, celle d’Ecilop, un artiste anti-système qui réalise des performances illégales dans l’espace public".

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Sur la vidéo de Rixard Tatoo, les commentaires portent principalement sur la question de l’hygiène et de la santé. Est-ce que les journalistes doivent montrer cette pratique ?

"D’abord, il est important de signaler qu’on n’a pas créé l’événement. On n’a pas organisé quelque chose, on n’a pas recruté les participants. On a été au courant de cette performance et on s‘est dit qu’on allait l’observer, voir ce qu’il y avait derrière, pourquoi ce performeur est dans cette démarche.

Ensuite, on n’est pas dans une situation flagrante d’événement problématique au niveau du contenu. Les personnes qui se font tatouer n’ont pas pris des risques évidents. Les journalistes sur place ont assisté au déballage des aiguilles neuves et à la stérilisation des appareils. Nous ne sommes évidemment pas des spécialistes du tatouage, je reconnais qu’on n’est pas dans un cadre standard de cette pratique. Mais on a assisté à la mise en place des règles de base d’hygiène. Ce n’est pas parce qu’on ne les voit pas à l’image que ça n’a pas été fait.

Mais si on est interpellés dessus, on répond. On a notamment reçu l’e-mail d’une asbl de tatoueurs qui s’inquiétaient de cet enjeu sanitaire. On leur a répondu en ce sens. Et si ça peut rassurer les personnes inquiètes : les personnes qui ont été tatouées vont bien, on a vérifié. En outre, on n’a pas éludé la question de l’hygiène car on lui demande de se positionner par rapport à ça et il y répond."

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Dans les commentaires, les gens accusent la RTBF de cautionner ces pratiques voire de faire la promotion du charlatanisme.

"On peut parler de tout et tout montrer. La différence, c’est l’approche journalistique qu’il y a derrière. Documenter ce genre de pratiques ou de phénomènes se fait en respectant les règles déontologiques de base. La vérification des propos, la clarté entre le discours qui est subjectif et le propos journalistique.

Pour la médium, à aucun moment, la vidéo ne cautionne la pratique ou ne laisse entendre qu’il y a un consensus scientifique autour de cette pratique. L’interviewée raconte des choses, elle parle en "je". Elle parle de sensations, de ressentis, d’impressions. Elle le dit elle-même dans la vidéo : elle comprend que des personnes n’y croient pas et elle demande le respect des croyances de chacun. C'est même la conclusion du reportage.

Sur Vews, on est dans du témoignage, on documente des phénomènes, des pratiques. On ne pousse pas du tout les gens à aller voir cette médium et surtout, on ne s’interdit aucune question durant le tournage. L’idée n’était pas de l’inviter pour "casser" cette pratique car ce serait un positionnement aussi. Mais on n’interviewe évidemment pas une medium comme on interviewe un chercheur du GIEC parce qu’il n’y a pas la même validité scientifiques derrière le propos".

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Ça veut dire qu’on peut laisser tout le monde parler de ce qu'il souhaite, même si la personne tient des propos racistes ou homophobes?

"Non, là, c’est complètement différent. Tenir des propos racistes ou homophobes, c’est illégal. Se définir comme médium n’est pas illégal. Ce qui serait problématique d’un point de vue déontologique, ce serait de donner à l’activité de médium une base scientifique. Ce qui n’est pas le cas de la personne qu’on interviewe. Une personne qui parle de voyance n’est pas dans l’illégalité. Une personne qui se fait tatouer dans un parc n’est pas dans l’illégalité".

Est-ce que les réactions sur les réseaux sociaux sont plus virulentes que celles engendrées par des sujets diffusés en TV ou en radio ?

"Oui et non. On reçoit quand même beaucoup de réactions suite à des sujets radio et tv. Les personnes écrivent des e-mails mais nous contactent aussi directement sur Messenger, sur les différents comptes de la RTBF. Je pense que les personnes qui suivent l’info sur les médias de la RTBF sont aussi attentifs en TV, en radio, sur le web ou sur les réseaux sociaux.

La différence, c’est que les réseaux sociaux permettent une réactivité plus grande. De notre côté, on doit réfléchir à la meilleure façon de modérer ou de réagir face aux commentaires. Ce sont des discussions qu’on a en amont, en équipe : comment va-t-on aborder des sujets clivants en respectant nos règles déontologiques ? On est très prudents avant même de tourner parce que, pour certains sujets, on peut anticiper les réactions. Parler de croyances, on sait que ça va être clivant et susciter des commentaires. Parfois, on a des surprises. Suite à la vidéo d’une maman qui fait le choix d’allaiter longtemps ses enfants, par exemple. Il y a eu un énorme clivage entre "pro" et "anti" allaitement. On ne s’attendait pas forcément à des réactions aussi virulentes.

Mais sur Vews, on a la chance incroyable d’avoir une communauté qui s’automodère. C’est très particulier, il y a vraiment une autorégulation. Certaines personnes viennent modérer, garder un débat serein. On a fait un statut Facebook sur le ramadan. Il y a eu des discussions intéressantes entre les personnes. C’est aussi ça qui est intéressant : de créer la discussion, dans le respect et la bienveillance. Évidemment, si ce sont des commentaires qui sortent de la légalité ou de notre charte, on va les masquer ou les supprimer.

Mais on est rarement surpris par les commentaires parce qu’on anticipe beaucoup ce qui peut faire réagir sur un sujet. C’est pour cela qu’on est extrêmement attentifs quand on réalise un sujet, à toutes les balises et règles de notre métier".

►►► Cet article n’est pas un article d’info comme les autres… Sur INSIDE, les journalistes de l’info quotidienne prennent la plume – et un peu de recul – pour dévoiler les coulisses du métier, répondre à vos questions et réfléchir, avec vous, à leurs pratiques. Plus d’information : là. Et pour vos questions sur notre traitement de l’info : c’est ici.

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