Depuis plus d'un mois,le Burundi s'enfonce dans la crise. La candidature du président Nkurunziza pour un troisième mandat est jugée massivement contraire à la Constitution, et aux accords de paix d'Arusha. Nombreux sont ceux qui s'inquiètent.
Les manifestations pacifiques, qui ont commencé dès le 26 avril,sont violemment réprimées, une tentative de coup d’État a été déjouée. Dans la foulée, les radios indépendantes ont été détruites. Seule la radio-télévision nationale émet encore, ce qui prive les burundais de toute information indépendante et pluraliste. Des dizaines de militants de la société civile se cachent ou sont partis en exil, et plus de 170 000 Burundais auraient franchi les frontières pour se réfugier dans les pays limitrophes.
Les observateurs envoyés par l'Union européenne ont plié bagage. L’Église catholique s'est désengagée du processus électoral. Deux membres de la CENI, la commission électorale indépendante ont fui le pays. Les pays d'Afrique de l'est ont demandé le report des élections jusqu’à la mi-juillet. Le gouvernement burundais ne s'est pas encore prononcé publiquement sur la question.
La Belgique attentive
La Belgique a posé une série d'actes symboliques forts: suspension de la coopération avec la police burundaise, annulation du financement du processus électoral, et menace de suspension de la coopération bilatérale au cas ou le président Nkurunziza s'obstine et est réélu pour un troisième mandat. Mais quel impact cela aura-t-il sur la population? Ne risque-t-elle pas d'en faire les frais?
La coopération bilatérale belge pèse 50 millions d'euros par an, dont les 2/3 vont a des projets dans l'agriculture, l'éducation et la santé. Pour Peter Moors, chef de cabinet du ministre de la coopération au développement, le défi est d'identifier des partenaires burundais que la Belgique pourra aider directement, sans passer par le gouvernement. L'ambassade de Belgique au Burundi est chargée d'identifier ces associations citoyennes, ces médias ou ces organisations non gouvernementales.
Risques de dérapage
Thomas Van Acker, de l'Université de Gand, rentre d'une mission récente au Burundi. Il dresse le portrait type des manifestants.
"Ce sont surtout de jeunes hommes, de classe inférieure, diplômés, chômeurs, étudiants, hutus et tutsis; il n'y a pas de différenciation ethnique, même si les quartiers contestataires sont plutôt tutsis. Leur point commun, c'est l'absence de perspective d'avenir, le désespoir. Le "non" au troisième mandat les galvanise, mais leurs revendications sont plutôt dictées par la frustration", explique-t-il.
Il précise également qui sont les fameux "Imbonerakure", ces jeunes appartenant à la milice formée par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD".
"Il faut nuancer le terme de 'milice'. Au sein du mouvement, il y a un clivage entre les adhérents récents, et les 'maquisards', ceux qui étaient dans le maquis avant 2008, et qui ont été entrainés de façon militaire. Ils ont des armes et des uniformes. C'est un noyau dur, dangereux. Ils sèment la peur dans les collines, et menacent tous ceux qui osent contester le part au pouvoir. Il y a un risque que ce groupe affilié au cercle du président s'implique dans la répression. Mais il y a également un potentiel de violence du côté des manifestants. Les jeunes réclament des armes dans les quartiers en ébullition", ajoute Thomas Van Acker.
"Le coup d’État manqué a révélé des divisions au sein de l'armée. Il y a eu des défections. Il y a un risque que ces militaires déserteurs fondent ou rejoignent une rébellion, avec tous les risques de dérapage que cela comporte", conclut notre interlocuteur.
Presse muselée
Ernest Sagaga dirige la Fédération internationale des journalistes. Il est d'autant plus sensible à la situation burundaise qu'il est rwandais d'origine.
Il rappelle que depuis le putsch manqué, la situation des médias indépendants a empiré. les radios ont été détruites. Des escadrons de la mort recherchent certains journalistes, 35 d'entre eux ont fui vers des pays limitrophes. C'est le cas de Bob Rugurika, directeur de la RPA, la radio publique africaine. Seul le journal papier Iwacu continue à paraître, avec d'énormes difficultés financières.
Selon Mr Sagaga, depuis 2010, les médias indépendants étaient dans la ligne de mire du pouvoir. A défaut d'une opposition structurée, ils étaient devenus le véritable adversaire politique du régime. D'autant que ces médias avaient pour coutume de fonctionner ensemble, par le biais d'une "synergie", en mettant en commun leurs équipes, pour couvrir les grands événements. Par cette solidarité, les médias burundais étaient devenus un véritable contrepouvoir. Le pouvoir avait bien compris que s'il voulait conserver le monopole du débat politique, il devait casser les médias. C'est chose faite. A l'heure actuelle, deux ONG, PANOS et la Benevolencia s'activent pour ressusciter au moins une radio. Mais, souligne Ernest Sagaga, comment protéger les journalistes qui restent au pays?