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Brésil : les chantiers ardus de Lula, de retour au pouvoir après la présidence de Jair Bolsonaro

Luiz Inacio Lula da Silva, à nouveau président du Brésil, en décembre 2022 peu avant son retour à la tête du pays.

© EVARISTO SA – AFP

Au Brésil, c’est le protocole : lors d’un changement de présidence, le Président sortant retire son écharpe présidentielle verte et jaune et la transmet à son successeur, sous les yeux de la foule. Mais ce dimanche, pas de transmission d’écharpe en bonne et due forme. Le président sortant Jair Bolsonaro est en voyage en Floride. Depuis l’élection d’octobre, sa défaite l’avait rendu mutique. Et en ce jour de transition démocratique, il est absent.

Ceci n’a pas empêché pas Lula de ceindre l’écharpe. Et de reprendre, par là même, le travail qu’il avait entamé sous ses deux premiers mandats présidentiels, de 2003 à 2010. Travail qui a été largement détricoté ces dernières années.

Au fil de ses 77 ans, Luiz Inacio Lula da Silva a surmonté une jeunesse dans la pauvreté, un cancer, 580 jours de prison. Dès ce lundi, il sera en outre confronté à quatre chantiers politiques particulièrement ardus.

Gouverner dans une société clivée

Le retour de la gauche, le Parti des travailleurs, ce 1er janvier s’est joué à peu de choses : 50,9% des voix pour Lula, 49,1% pour Jair Bolsonaro au scrutin présidentiel d’octobre. Les urnes ont désigné Lula mais rappelé la grande popularité de Jair Bolsonaro. Comment Lula va-t-il composer avec les 58 millions de Brésiliens qui n’ont pas voté pour lui ? Avec des citoyens dont le candidat favori refuse ostensiblement de transmettre le symbole du pouvoir présidentiel ?

Lula fait son retour dans un Etat dont les régions ont voté très différemment ("Bolsonaro" dans les états les plus riches, "Lula" dans les états plus pauvres), un pays plus fragmenté et plus polarisé. Les vaccins, la place de la religion, l’affaire de corruption qui a sali le Parti des travailleurs de Lula sont des sujets très clivants et, sous Jair Bolsonaro, la violence verbale a pris ses aises dans le discours public.

Dans ce contexte, Lula va devoir se poser en Président de tous les Brésiliens, même de ceux qui ne veulent pas de lui. Notamment les Bolsonaristes les plus radicaux qui campent devant les casernes du pays depuis l’élection pour réclamer une intervention de l’armée.

Ce travail de cohésion de Lula devra commencer au sein même de son gouvernement.

Pour s’assurer une majorité au Congrès, le nouveau Président brésilien a formé une coalition gouvernementale qui va de la gauche au centre droit. Comment ménager les susceptibilités de cette majorité composite tout en remplissant ses promesses de campagne ancrées à gauche ?

Faire re-reculer la pauvreté

En 2014, 24% des Brésiliens vivaient sous le seuil de pauvreté. Aujourd’hui ils sont 30% à être concernés : les inégalités se sont creusées. Et un paradoxe, aussi : 33 millions de Brésiliens sont aujourd’hui touchés par la faim. Or les ressources alimentaires sont abondantes au Brésil : la première économie d’Amérique latine est grande productrice de café, sucre, mais, soja, viande bovine… Mais accéder à ces ressources est difficile pour une partie croissante de la population.

Pourtant la pauvreté avait reculé sous les deux premiers mandats présidentiels de Lula. Aujourd’hui, il annonce reprendre ce cheval de bataille, vouloir (re) développer des politiques pour que chaque habitant du Brésil mange trois repas chaque jour : augmentation du salaire minimum, baisse du chômage, allocations… Ces politiques devront être financées par de nouvelles recettes, à trouver.

Lula devra rassurer les entrepreneurs, attirer de nouveau investisseurs, poursuivre la reprise économique amorcée après le choc du Covid, pour se donner les moyens de ses ambitions. Son sens politique aiguisé par son passé de syndicaliste lui sera utile pour ces discussions tous azimuts, des acteurs sociaux aux entrepreneurs en passant par les pointures du puissant secteur de l’agroalimentaire brésilien.

Redorer le blason du Brésil à l’étranger

Ce sens politique, loué par des élus de gauche comme de droite sur la scène internationale, sera aussi utile à Lula pour rendre au Brésil une image de partenaire '"fréquentable". Les politiques du Président sortant, Jair Bolsonaro, ont mené à un relatif isolement du pays sur la scène internationale. Qui est venu récemment en visite d’Etat au Brésil ?

Un travail diplomatique conséquent devra s’amorcer pour redorer le blason du Brésil. Et, peut-être dans un second temps, pour revenir sur certains choix diplomatiques de son prédécesseur. Lula a ainsi énoncé son souhait de remettre sur le métier le partenariat commercial conclu entre le "Mercosur" (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) et l’Union européenne. Un accord commercial approuvé par Jair Bolsonaro mais bloqué par plusieurs Etats membres de l’UE. Qu’en sera-t-il ?

Dans ses contacts diplomatiques, Lula se verra rappeler les engagements du Brésil sur les enjeux climatiques, lors de la Cop26 : la neutralité carbone et une réduction de 50% de ses gaz à effets de serre pour 2050. Faire revenir le Brésil sur une trajectoire davantage en phase avec les accords de Paris lui rouvrira des portes.

"Le Brésil est de retour" a déclaré Lula lors de la Cop27. Il devra joindre les gestes à la parole.

Freiner la déforestation de l’Amazonie

En quatre ans de mandat de Jair Bolsonaro, près de 40.000 km carrés de forêt amazonienne ont disparu au profit de surfaces pour de l’agriculture intensive, dont la culture de soja pour le bétail. C’est à peu près la superficie de la Suisse.

Cette déforestation est pourtant loin d’atteindre les niveaux des premières années du premier mandat de Lula. Lorsqu’il a accédé à la Présidence en 2003, 28.000 mètres carrés de forêt par an disparaissaient de la carte. Lula était parvenu à ralentir cette déforestation mais elle a regagné du terrain, cette dernière décennie. Ce puits de carbone essentiel à la planète est à présent directement menacé ainsi que les populations qui l’habitent.

Comment Lula va-t-il aborder cet enjeu ? Comment le Brésil, dont le territoire comprend 60% de la forêt amazonienne, va-t-il gérer l’exploitation de ses sols, entre intérêts économiques et enjeux environnementaux ?

A gauche, Marina Silva, nouvelle Ministre de l’Environnement. A droite, la leader autochtone Sonia Guajajara, nouvelle Ministre des peuples indigènes.

Il a en tout cas déjà donné un signal en intégrant, parmi les onze femmes de son gouvernement, Marina Silva. Afro-descendante, elle était Ministre de l’Environnement de 2003 à 2008, dans le gouvernement Lula qui avait entrepris de freiner la déforestation galopante de l’époque. Elle reprendra ce même poste.

Emblématique également, le gouvernement brésilien comptera désormais un "Ministère des Peuples indigènes". Avec, comme Ministre, la leader autochtone Sonia Guajajara, engagée pour la préservation de la forêt amazonienne.

Sous la mandature de Jair Bolsonaro, les financements avaient été rabotés pour les ONG et les acteurs publics actifs sur ces enjeux de défense de la forêt. Comment Lula compte-t-il gérer ce territoire sous pression économique, propriété du Brésil mais source d’intérêt international ?

Sur les épaules du nouveau président du Brésil ce dimanche soir, il y a une écharpe bicolore et le poids d’au moins quatre chantiers majeurs à amorcer, ou réamorcer.

Sujet JT du 2/01/2023 :

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