Boumediene : "Sans le football j'aurais pu mal tourner, le foot m'a sauvé la vie"

Yahya Boumediene

© CHRISTOPHE KETELS - BELGAIMAGE

Par Pascal Scime

28eme épisode de "Trajectoires" la série consacrée à ces footballeurs au parcours atypique. Pascal Scimè retrace la route de Yahya Boumediene, l’ailier du FC Dordrecht.

C’est l’histoire d’un " gamin des quartiers " qui a fait de sa passion, un métier. Élevé à l’ombre du stade de Sclessin, Yahya a appris le foot dans la rue avec ses propres codes avant de franchir les échelons vers le monde du professionnalisme à force de travail et d’humilité mais toujours avec style. S’il n’a pas encore réalisé son rêve de jouer au Standard, il est déjà rentré dans l’histoire à sa façon… Puisqu’il est le premier belge à avoir joué au Pérou !

Rencontre au parfum de Maté

Bio express :
Yahya Boumediene, né à Liège le 23 mai 1990
Poste : Ailier
Signes distinctifs : Spécialiste de la virgule
Particularités : Unique belge à avoir joué au Pérou

Yahya Boumediene

Te souviens-tu de ton premier contact avec le ballon ?
Je devais avoir quatre ou cinq ans. Je suis issu d’une famille nombreuse. Derrière ma grande sœur, on était cinq garçons… alors, tu t’imagines cinq mecs qui jouent au ballon dans la maison ? On cassait des lampes et des vitres (rires). Ces souvenirs sont gravés en moi.

Tu es né à Sclessin, quasiment à l’ombre du stade.
Oui. J’y suis né, j’y ai grandi et ma famille y vit encore. Sclessin, c’est mon quartier, mes racines. J’habite à 300 mètres du Standard.

Et tu n’y as jamais joué…
Jamais. Tout le monde me le dit. Même mes amis qui y jouent me le disent : "T’es le Prince de Sclessin mais tu n’as jamais joué au Standard !" (Il rit)

C’est tout de même surprenant…  
Mon père était assez strict et voulait qu’on se concentre sur les études. Du coup, le foot n’était pas vraiment sa priorité. Alors je me suis débrouillé dans des petits clubs de ma région comme le DC Cointe. A 16 ans, j’ai eu la chance d’être repéré par le FC Liégeois où je suis resté deux saisons. Un jour lors d’un amical contre Chaudfontaine, une deuxième provinciale. Le club me propose d’y signer en équipe première et j’accepte. Pour moi, c’était nouveau : "Jouer en équipe première contre des adultes, gagner un peu d’argent, j’avais jamais été habitué à ça !"

Comment ça se passe ?
Au début, je suis sur le banc. Là-bas, ce n’est pas mon football… (Il rit) Les terrains sont boueux, le foot ça ressemble à de la bagarre alors que moi, je suis un joueur technique. Ensuite, je rejoins Hamoir en Promotion avec Stéphane Huet comme coach ! Un gars super et un super coach. C’est lui qui me lance en " Première ". J’y joue trois saisons avant de me déchirer les ligaments croisés.

Pour un jeune, une telle blessure, c’est un coup dur…
Je ne faisais pas trop attention à mon hygiène de vie. "Moi, je suis un gars de la rue". Ça veut dire que je combinais foot et futsal. Le mardi et le jeudi, je m’entrainais à Hamoir ; le mercredi et le vendredi, je jouais au " mini " en 2eme nationale où je gagnais un petit peu ma vie aussi.

Yahya Boumediene

Il y a une sorte d’insouciance, voire d’inconscience, non ? Tu sais que tu ne devrais pas mais tu en as envie…
Oui, c’est exactement ça. Je jouais avec mes amis partout, même en rue. Je jouais du lundi au dimanche parce que j’aimais ça, peu m’importait le niveau. Tu sais, tu ne peux pas renier tes origines… Dans le quartier d’où je viens, ce sont nos codes.

A quel moment et comment arrive cette prise de conscience ?
(Pensif)  Je vais te confier un truc que je n’ai jamais raconté. "Un jour, j’avais 19 ans, j’ai fait une bêtise. Une bagarre qui a mal tourné et je me suis retrouvé en prison pendant deux mois." A l’époque, je jouais à Hamoir. Pendant ces deux mois, j’ai beaucoup réfléchi sur ma vie et mon comportement. Je me suis dit " quand je sors d’ici, je vais être sérieux et me concentrer sur un objectif ! " Et cet objectif, c’était de réussir dans le foot.

Tu sentais que tu devais prendre ta vie en mains…
Oui, j’avais déçu mes parents et beaucoup de monde. Je devais me rattraper. J’ai arrêté de jouer au futsal pour me concentrer uniquement sur le football. Je pars en Division 3, à Maasmechelen où je découvre l’ordre, la rigueur flamande. Je m’entraine tous les jours et je prends ça au sérieux.

Tu avais besoin de ça…
Oui et j’ai énormément progressé. En plus, on fait une belle saison en terminant 2eme derrière le Virton de Renaud Emond. Je termine meilleur donneur d’assists de la série. Et Jurgen Baatszch, le président de l’Union Saint-gilloise me propose un contrat pro avec un beau projet sportif à la clé.

L’Union, c’est un club qui te parle ?
Oui, clairement. Un premier contrat pro dans un club de tradition et emblématique comme l’Union avec un président ambitieux, c’était le rêve. On fait une grosse saison mais on rate la montée. On perd en finale du "tour final" contre… Maasmechelen que je venais de quitter.
Franchement, pour un gars qui trois ans plus tôt jouait en 2eme provinciale, je réalise une belle saison et je reçois quelques offres intéressantes.

Yahya Boumediene

Comme celle de Brescia en Série B italienne
Oui, c’est Gilbert Bodart qui se charge du deal. (L’ex-gardien a joué pour le club lombard et y avait gardé d’excellents rapports avec le Président du club, NDLR). En match de préparation, je joue contre le Bayern Munich qui vient de remporter la Ligue des Champions. Tu t’imagines ça ? Je perds le tour final contre le Patro et un mois plus tard, je me retrouve sur une pelouse à affronter des stars mondiales !?! Pep Guardiola venait de reprendre l’équipe et comme il avait joué à Brescia, il avait aligné ses meilleurs joueurs. J’ai même échangé mon maillot avec Ribéry. Après le match, on a même discuté pendant une trentaine de minutes. C’est vraiment un super gars.

Mais le transfert ne se fait pas…
L’entraineur Marco Giampaolo (actuel coach de la Sampdoria, NDLR) m’adorait. Le hic, c’est qu’il se fait virer en préparation alors que je n’avais pas encore signé. Mon transfert prend du temps, ça traine un peu trop à mon goût… On me demande d’attendre mais je suis impatient. Alors, je signe à Seraing en Division 2.

Et au moment où tu t’engages avec Seraing, Brescia te rappelle…
Oui (il soupire) mais c’est trop tard. A Seraing, il y a un grand projet, une belle équipe et un excellent entraineur, Arnaud Mercier. D’ailleurs, je suis sûr qu’un jour, il coachera en Division 1. Ce n’est qu’une question de chance et de temps. On a vraiment une belle équipe avec Dufer, Tirpan, Stevance, Bojovic et Didillon comme gardien de but. On loupe le tour final de quelques points mais on a affolé les stats ! Stevance est sacré meilleur buteur de la série, et je termine, avec Greg Dufer, meilleur donneur d’assists.

Une belle saison qui t’ouvre enfin les portes de la Division 1
Roland Louf, à qui je dois beaucoup, me fait venir à Mouscron. J’arrive au Canonnier avec l’étiquette de bon joueur de D2. Même si je n’ai pas d’expérience du haut niveau, j’étais persuadé qu’après un temps d’adaptation, j’allais casser la baraque. Durant le 1er tour, je reçois du temps de jeu mais après la trêve, les dirigeants m’informent que je dois quitter le club. L’Excel était géré par des agents dont Pini Zahavi et on m’a fait comprendre "qu’il fallait faire de la place pour les joueurs de leur réseau afin qu’ils puissent être revendus."

Yahya Boumediene

Tu prends un coup sur la tête ?
Bien sûr car j’avais refusé d’autres offres pour aller là-bas. Mais je ne le ressens pas comme un échec car, comme d’autres joueurs, j’ai subi le changement de propriétaire.

A la fin de ta seule et unique saison en D1, tu résilies ton contrat et tu signes au Maroc…
A l’IRT Tanger, un club qui allait jouer la Ligue des Champions africaine. Tanger, c’est une ville magnifique : le soleil, la mer… On me propose un gros projet sportif et un contrat auquel je n’aurais jamais rêvé dans ma vie ! (sic).

A peine arrivé, les supporters t’adoptent 
J’étais un peu le chouchou du public. Au Maroc, les fans adorent les joueurs techniques et les dribbles. Ils ont adoré mon style mais en octobre, je me blesse au genou et je reste sur la touche pendant quatre mois. A mon retour, tout se précipite dans le mauvais sens. Le coach se fait virer, on se fait éliminer de la Ligue des Champions et il y a des retards de salaire. Les trois derniers mois, c’était la galère.
Au Maroc, c’est un peu comme en Grèce ou en Turquie… Quand tout se passe bien, la vie est rose. Les supporters t’adulent et tu es payé à heure et à temps. Mais quand t’es dans une mauvaise passe, c’est le début des problèmes.

Là-bas les supporters sont chauds, non ?
Très chauds. Je me souviens d’un match au Raja Casablanca (l’un des plus grands clubs marocains avec le Wydad, NDLR). Il y avait 80.000 personnes dans le stade dont 22.000 supporters de l’IRT !
Nos fans ont fait un gros tifo à Casablanca. Je crois que dans l’histoire du football marocain, il n’y a aucun club qui a réalisé un tifo pareil dans le stade de Casablanca. Ce sont des souvenirs inoubliables. J’ai joué en Afrique, en Guinée ou encore au Nigeria. Il faisait chaud. J’ai joué au foot dans des endroits où je n’aurais jamais imaginé mettre les pieds.   

Est-ce qu’il y a un stade qui t’a marqué en Afrique ?
Le stade du 28 Septembre à Conakry, en Guinée. Ça m’a marqué parce que lorsqu’on rentre dans le tunnel pour aller aux vestiaires, il y a des trous dans les murs du dessus. Tu peux voir les supporters assis en train te lancer des projectiles ou les entendre t’insulter en français.  Des souvenirs indélébiles… De très vieux stades qui peuvent contenir 50 000 personnes mais dont on a l’impression qu’ils vont s’effondrer.

Ensuite, tu vas résilier ton contrat…
Il me restait un an de contrat mais il y a eu trop de problèmes. Des changements d’entraineurs, des salaires versés en retard, ma blessure aussi. J’avais un joli contrat, et quand je me suis blessé, les dirigeants l’ont très mal pris comme si je l’avais fait exprès. J’ai donc résilié en juillet.

Et c’est là qu’un club péruvien te contacte !
Dima Group, une société d’agents pour laquelle travaille Peter Kerremans (ex-gardien du Sporting de Charleroi et du Beerschot, NDLR) me parle de l’intérêt de Melgar. 

Tu as cru à une blague ?    
Non mais au début, je me suis dit que jamais je n’irais là-bas. Le Pérou c’est loin. Et je ne connaissais rien du pays. Le temps passe, la fin du mercato d’été approche et Peter me dit : " vas-y six mois, et puis on avise. C’est un gros club qui paye bien. Il y a des internationaux et vous allez jouer le titre ". J’ai réfléchi et je me suis lancé dans l’aventure.

Comment a réagi ta famille ? 
Quand j’ai annoncé la nouvelle à mes parents, ils étaient en vacances au Maroc. Lorsque je leur ai dit au téléphone que je partais au Pérou pour six mois, ils n’ont pas compris (rires). 
Une fois sur place, je me suis directement rendu compte que c’était un grand club, très professionnel, avec beaucoup de supporters. Tu sens que c’est une équipe avec une histoire. A la sortie du centre d’entrainement ou du stade, il y a toujours une énorme masse de fans. En rue, les gens te reconnaissent... D’ailleurs, je suis déjà resté coincé pendant trois heures dans un centre commercial pour faire des photos avec des fans. Je n’avais même pas encore eu le temps de rentrer dans un magasin. (Rires)
Au Pérou, les gens sont amoureux du football et des joueurs de leur club préféré.

Yahya Boumediene

Tu es le seul joueur belge à avoir joué au Pérou, qu’est-ce que ça te fait ?
C’est fou. C’est une destination inattendue. Je n’aurais jamais cru atterrir dans un tel pays. C’est le charme du football, mon destin était là-bas.

Comment est le football péruvien ?
Il est différent de la Belgique. Le football là-bas est très technique et assez physique. Par contre, tactiquement ce n’est pas terrible. Cet aspect du jeu est négligé. On joue aussi à de hautes altitudes, la façon de respirer et de gérer ses efforts est différente.

Justement, à quelle altitude jouez-vous à domicile ?
À 2600 mètres. Au début, c’est très dur. Je n’ai jamais joué dans des conditions pareilles. J’ai dû m’astreindre à des séances spécifiques avec les préparateurs pour m’acclimater. Le matin, je m’entraînais avec le groupe et l’après-midi, je travaillais individuellement. Il fallait que je m’adapte rapidement à l’altitude. Cela m’a pris un mois pour être "fit". Après cette période, tout s’est passé normalement.

Jouer dans des stades immenses, sentir la ferveur des supporters sud-américains, je suppose que l’ambiance est incomparable…    
Il y a quelques années je jouais en provinciale dans des stades… (il réfléchit) je n’appelle même pas ça des stades. Disons des terrains où il n’y avait même pas trente personnes. Et là, j’évolue souvent devant plus de 50 000 spectateurs, c’est impressionnant. Ça te motive. Quand tu es sur le terrain, tu es concentré sur les résultats, sur l’équipe. Tu ne penses pas vraiment à ce qu’il y a autour mais ça fait plaisir de jouer devant un tel public. 

On t’a donné un surnom au Pérou ?   
Comme j’aime bien rigoler mais coéquipiers m’ont surnommé "el loco" (le fou, NDLR).

Comment est la vie sur place ? 
Le Pérou c’est un pays qui est considéré comme riche par rapport aux autres nations d’Amérique du Sud. Mais c’est un pays à deux facettes. D’un côté, il y a les favelas très pauvres et très dangereuses, et de l’autre, il y a les quartiers riches. C’est un peu 50/50.
Mais c’est exceptionnel d’y vivre, il fait bon tout le temps. Là-bas, t’es tous les jours en short et t-shirt, ça change de la Belgique. Les gens sont très accueillants, ce sont des personnes simples qui aiment s’amuser, c’est tout le temps la fête.

Tu n’as pas eu peur de la délinquance, des enlèvements ?   
Au début, on m’en avait un peu parlé. On m’a dit de faire attention. Mais j’habitais dans un quartier sécurisé et puis je sortais rarement seul. On colle une étiquette à l’Amérique du Sud mais il n’y a pas que des coins dangereux, ce n’est pas partout comme cela.

C’est quoi le truc le plus dingue que tu as vu là-bas ?  
Lorsque l’équipe nationale s’est qualifiée pour la Coupe du monde, je n’ai jamais vu une chose pareille ! C’était de la folie.
Au lendemain de la qualification, le président péruvien a décrété un jour férié parce que les gens avaient fêté ça comme des dingues. A Lima, la capitale, ils ont tellement foutu " le bordel " qu’il y a eu un mini-séisme. La ferveur qu’il y a autour de l’équipe nationale, je n’avais jamais vu ça dans ma vie.

Qu’est-ce qu’on peut attendre du Pérou à la Coupe du Monde ?
En Amérique du Sud, on considère le Pérou comme une des meilleures équipes. Ils ont atteint les demis- finale de la Copa America deux fois de suite et là, ils viennent de se qualifier pour la Coupe du monde. Ca fait plus de 30 ans que le pays ne s’était pas qualifié. Ils ont une super génération. Je suis sûr qu’ils vont passer le 1er tour. La France va passer et le Pérou aussi.

Parle-moi un peu du stade de Melgar   
En général, on joue devant 50 000 spectateurs. Pour les gros matchs comme les derbys, le stade est plein. Le décor autour du stade est magnifique. Quand tu es sur le terrain tu vois les montagnes.
Pour les supporters de là-bas, leur club c’est leur vie. Ils ne vivent que pour ça. Il y a certaines personnes qui préfèrent ne pas manger pour venir au stade. Au Pérou, le football c’est comme une religion.

Comment se prépare un match au Pérou ?
Il y a tout le temps des mises au vert. J’ai pris plus de vingt fois l’avion en moins de six mois, c’est énorme. Tous les déplacements se font en avion, même ceux de 300 kilomètres. On loge toujours à l’hôtel.
À domicile, c’était la même chose. Parfois, on devait rejoindre le club deux jours à l’avance. Ils insistent beaucoup sur la mise au vert. L’équipe devait manger ensemble. Il y avait un vrai esprit de groupe presque comme une famille.

Il y a beaucoup d’embouteillages au Pérou ?
Énormément. Lima, la capitale, c’est quasiment 14 millions d’habitants. Dans cette ville, il y a tout le temps du trafic. Tu peux mettre quatre heures la traverser du nord au sud.

Tu as toujours un thermos de Maté avec toi. Une habitude ramenée de là-bas ?
Le Maté c’est une boisson qui vient d’Argentine. C’est une espèce de thé qui t’apporte énormément d’énergie. Comme le café mais en plus fort. C’est bénéfique pour la circulation du sang, ça protège des maladies. Les Sud-Américains en préparent dès qu’ils se réveillent et ils en boivent jusqu’au coucher du soleil.
En ville, il y a des vendeurs ambulants qui proposent de l’eau chaude pour les thermos. Ils savent bien que c’est un business qui marche parce que les gens ne boivent que ça. Tu peux voir un couple s’asseoir sur un banc avec son maté, là-bas c’est banal. Les grands joueurs sud-américains en consomment aussi beaucoup. J’ai lu que Messi en buvait cinq litres par jour. Suarez et Neymar sont aussi accroc.

Quand tu ne joues pas au football, que fais-tu de ton temps libre ? 
Je me repose beaucoup. Quand j’ai du temps libre, je visite un peu le pays. Il y a beaucoup de choses à voir. C’est un pays très touristique. Le monument le plus touristique c’est le Machu Picchu, une des sept merveilles du monde. Je n’ai pas eu l’occasion de le voir car c’est assez loin de chez moi.
Il y a un tas de choses à voir… des montagnes, des monuments, des cathédrales ou des monastères. C’est un pays qui a une grande histoire.   

Quel est le plat péruvien typique ?
La cuisine péruvienne est très bonne. Quand je rentre en Belgique, on me demande toujours comment est la cuisine péruvienne, ce qu’on y mange. Au Pérou, on mange beaucoup de poisson. Il y a un plat de poisson cru avec une sauce qui s’appelle le "ceviche". C’est très bon.

Et la musique péruvienne, tu la kiffes ?
Les Sud-Américains écoutent beaucoup de reggaeton, de salsa. Ils dansent beaucoup. Je n’emploie pas le mot péruvien parce que dans mon équipe il y avait beaucoup d’étrangers, des Uruguayens, des Brésiliens, des Mexicains, des Colombiens… Ce sont des gens qui aiment la fête et qui n’ont pas une bonne hygiène de vie. Ils sont capables d’avoir un match le samedi et de sortir au casino la veille sans que l’entraineur le sache. Ils prennent de gros risques. Ils aiment bien faire la fête, ils boivent, ils sont tatoués de partout.

Je suppose que la religion y est aussi fort présente… 
Avant un match le prêtre vient à l’hôtel. Les joueurs l’encerclent et se mettent à prier. On ferme les yeux et on écoute le prêtre. Chacun prie son Dieu, j’étais le seul  musulman de l’équipe mais j’ai été très bien accepté. 

Tu as vu des lamas ? 
Il y en a beaucoup. Ils ne se baladent pas en rue mais quand tu vas dans des plaines ou dans des parcs, tu les vois, ils sont là. Ils crachent souvent. C’est vraiment un drôle d’animal (rires).

Pourquoi as-tu refusé de prolonger l’aventure ?
A la base, je n’avais signé que pour six mois parce que je partais un peu à l’inconnu. On m’avait pourtant proposé un contrat d’un an et demi.
Franchement, j’avais de revenir jouer plus près d’ici. C’est difficile de vivre seul à onze heures de vol de la Belgique loin de sa famille, de ses amis. Je me suis bien amusé. On a fait de bons résultats, tout s’est bien passé mais le seul inconvénient, c’était la distance.

De quoi rêves-tu à présent ?
Mon rêve, c’était de devenir footballeur et j’ai réussi. Je n’ai plus de rêves, j’ai des objectifs comme jouer dans un meilleur club. On ne sait jamais…En  football, ça peut aller très vite. J’ai 27 ans et si je ne me blesse pas j’ai envie de jouer jusqu’à 40 ans comme Timmy Simons (rires). 

Qu’est-ce que tu fais de ton argent ? 
Je fais plaisir à mes proches, je les aide beaucoup. Je viens d’une famille nombreuse. Je viens d’un milieu qui est plus proche de la pauvreté que de la richesse. Lorsque mon père est arrivé du Maroc, il a travaillé à la mine. Il est à présent pensionné. Quant à ma mère, elle est  aide ménagère. On a connu des galères mais on a toujours eu ce dont on avait besoin. On ne vivait pas dans l’aisance mais rien ne manquait. 
C’est aussi pour ça que, enfant,  je ne suis pas allé dans des clubs comme le Standard. J’avais les qualités pour y aller mais il fallait payer 500 ou 600 euros de cotisation. Si j’allais dire ça à mon père il me tuait, c’est ce qu’il gagnait en un mois. Il a six enfants, je ne pouvais pas le lui demander. C’est à cause de ça qu’on s’est retrouvé dans des clubs de quartier. C’était le CPAS qui payait la cotisation.

Comment te sens-tu lorsque tu rentres dans ton quartier ?
Je reste un gars simple. Au quartier, je suis toujours avec les mêmes potes qu’avant. Je vais à la maison de jeunes. J’aime bien y rester avec les jeunes du quartier. À ma façon, je suis comme un exemple à suivre ou une sorte de modèle. J’ai connu beaucoup de galères mais j’ai réussi à m’en sortir. 

Sans le foot tu aurais fait quoi ?
Parfois je me pose la question. Sans le football, je ne sais pas ce que j’aurais fait. J’aurais pu mal tourner parce que la plupart de mes amis sont en prison. Je serais devenu un braqueur, un voleur ou un vendeur de drogues (sic) je ne sais pas… on ne peut pas savoir. Le football m’a sauvé.
Même si je fréquentais beaucoup les gars des quartiers, j’ai quand même fini ma sixième secondaire. Mais je n’ai jamais imaginé poursuivre mes études. Dans ma tête, " je me disais que je devais terminer ma sixième secondaire et devenir pro en division 1 ". Je voulais gagner ma vie avec le football. Même s’il y a des métiers que j’aime bien, comme kinésithérapeute, j’aurais bien aimé faire ça dans un club de football.  Animateur ou éducateur dans une maison de jeunes, j’aurais pu le faire aussi.

La technique c’est un don où à ça se travaille ?  
C’est inné mais ça se travaille. Dans la rue quand tu joues entre potes, t’essayes toujours de mettre un petit pont. C’est comme ça. Tu veux toujours être le meilleur. Tu essayes des feintes… Dans les quartiers c’est  comme ça.

Quelle est la feinte que tu réussis le plus facilement ?   
La virgule. Je la maîtrise parce que je l’ai beaucoup travaillé. Il y a d’autres gestes aussi, comme la feinte de frappe, les passements de jambes…  

Avec ce geste, tu mets le stade dans ta poche…  
Au Pérou et au Maroc, ils devenaient fous !

Qui sont tes amis dans le milieu du football ?
Les frères Fellaini. Je m’entends vraiment bien avec eux depuis longtemps. Paul-José Mpoku, Christian Benteke sont mes amis. Je connais aussi Anthony Vanden Borre. Quant à Mehdi Carcela, Zakaria Bakkali et Nacer Chadli, ils sont comme des frères. On a grandi ensemble… on jouait au mini-foot dans les agoras, ça ne s’oublie pas. 

Quand tu vois tes amis d’enfance jouer dans de gros clubs en Belgique ou l’étranger alors que tu étais peut-être meilleur techniquement, ça te fait quoi ?
Je suis content pour eux et j’essaye de regarder tous leurs matches. Tu sais…quand on est ensemble, on ne parle même pas de football mais on continue de jouer ensemble au foot à 5 au soccer club de Benjamin Nicaise. Pendant la trêve, on joue ensemble. Et c’est du sérieux car tout le monde veut gagner. C’est une question de fierté.

Tu comprends qu’à un moment le football peut en écoeurer certains ?  
Bien sûr. Quand tu joues à un certain niveau pendant plus de 10 ans c’est normal d’en avoir marre. Tu veux faire autre chose, passer plus de temps avec ta famille, tes amis. Le football, c’est le boulot. Tu es tout le temps dedans. Moi je suis un vrai passionné.
Je ne me suis jamais réveillé le matin avec la flemme d’aller à l’entrainement. Peu importe le niveau. Je vais te donner un exemple…
Je me souviens être allé jouer un dimanche matin avec mes potes de l’AS Marocaine, un petit club amateur de quartier. Et l’après-midi, je devais jouer à 15 heures à La Louvière avec Hamoir.
Ça n’arrivait pas chaque semaine mais j’allais jouer avec mes amis pour leur faire plaisir ou quand ils avaient un gros match à gagner avec un pari à la clé. Si un pote avait parié une tournée générale à la buvette, je devais aller l’aider
(rires). Si après vingt minutes c’était 3-0 et j’avais marqué tous les goals alors je m’éclipsais.

Jouer un jour au Standard tu as fait une croix dessus ?
Le Standard c’est un rêve. Et ça le restera tant que je serai footballeur. C’est le club de mon cœur, de mon quartier, c’est de loin mon équipe préférée en Belgique. Je ne rate pas un match. Quand je suis à l’étranger, j’allume mon ordinateur et je regarde le Standard en streaming. Je n’ai pas fait une croix sur ce club car dans le foot tout est possible.

Qui est ton modèle dans le football ?
Mon joueur préféré c’est Cristiano Ronaldo. Mon modèle, Luis SuarezIl ne joue pas au même poste que moi mais Luis Suarez, c’est la grinta, il s’est fait tout seul. J’aime la façon dont il joue, il est toujours à 100%. C’est un passionné de football, en plus il boit du maté (rires). Je l’aime bien, même si je n’aime pas Barcelone. Moi, c’est le Real Madrid à vie. Mon sang il est blanc. Enfin, blanc et rouge (rires).

Où te vois-tu dans cinq ans ?
J’aurai 32 ans et j’espère que je serai toujours professionnel. Le football c’est un métier mais c’est aussi quelque chose que j’aime. J’aspire à jouer le plus tard possible. Après ma carrière, j’ai aussi envie de continuer le football en " amateur " avec mes amis. Je continuerai jusqu’à ce que mon corps me dise stop.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Tous les sujets de l'article

Articles recommandés pour vous