Tu es le seul joueur belge à avoir joué au Pérou, qu’est-ce que ça te fait ?
C’est fou. C’est une destination inattendue. Je n’aurais jamais cru atterrir dans un tel pays. C’est le charme du football, mon destin était là-bas.
Comment est le football péruvien ?
Il est différent de la Belgique. Le football là-bas est très technique et assez physique. Par contre, tactiquement ce n’est pas terrible. Cet aspect du jeu est négligé. On joue aussi à de hautes altitudes, la façon de respirer et de gérer ses efforts est différente.
Justement, à quelle altitude jouez-vous à domicile ?
À 2600 mètres. Au début, c’est très dur. Je n’ai jamais joué dans des conditions pareilles. J’ai dû m’astreindre à des séances spécifiques avec les préparateurs pour m’acclimater. Le matin, je m’entraînais avec le groupe et l’après-midi, je travaillais individuellement. Il fallait que je m’adapte rapidement à l’altitude. Cela m’a pris un mois pour être "fit". Après cette période, tout s’est passé normalement.
Jouer dans des stades immenses, sentir la ferveur des supporters sud-américains, je suppose que l’ambiance est incomparable…
Il y a quelques années je jouais en provinciale dans des stades… (il réfléchit) je n’appelle même pas ça des stades. Disons des terrains où il n’y avait même pas trente personnes. Et là, j’évolue souvent devant plus de 50 000 spectateurs, c’est impressionnant. Ça te motive. Quand tu es sur le terrain, tu es concentré sur les résultats, sur l’équipe. Tu ne penses pas vraiment à ce qu’il y a autour mais ça fait plaisir de jouer devant un tel public.
On t’a donné un surnom au Pérou ?
Comme j’aime bien rigoler mais coéquipiers m’ont surnommé "el loco" (le fou, NDLR).
Comment est la vie sur place ?
Le Pérou c’est un pays qui est considéré comme riche par rapport aux autres nations d’Amérique du Sud. Mais c’est un pays à deux facettes. D’un côté, il y a les favelas très pauvres et très dangereuses, et de l’autre, il y a les quartiers riches. C’est un peu 50/50.
Mais c’est exceptionnel d’y vivre, il fait bon tout le temps. Là-bas, t’es tous les jours en short et t-shirt, ça change de la Belgique. Les gens sont très accueillants, ce sont des personnes simples qui aiment s’amuser, c’est tout le temps la fête.
Tu n’as pas eu peur de la délinquance, des enlèvements ?
Au début, on m’en avait un peu parlé. On m’a dit de faire attention. Mais j’habitais dans un quartier sécurisé et puis je sortais rarement seul. On colle une étiquette à l’Amérique du Sud mais il n’y a pas que des coins dangereux, ce n’est pas partout comme cela.
C’est quoi le truc le plus dingue que tu as vu là-bas ?
Lorsque l’équipe nationale s’est qualifiée pour la Coupe du monde, je n’ai jamais vu une chose pareille ! C’était de la folie.
Au lendemain de la qualification, le président péruvien a décrété un jour férié parce que les gens avaient fêté ça comme des dingues. A Lima, la capitale, ils ont tellement foutu " le bordel " qu’il y a eu un mini-séisme. La ferveur qu’il y a autour de l’équipe nationale, je n’avais jamais vu ça dans ma vie.
Qu’est-ce qu’on peut attendre du Pérou à la Coupe du Monde ?
En Amérique du Sud, on considère le Pérou comme une des meilleures équipes. Ils ont atteint les demis- finale de la Copa America deux fois de suite et là, ils viennent de se qualifier pour la Coupe du monde. Ca fait plus de 30 ans que le pays ne s’était pas qualifié. Ils ont une super génération. Je suis sûr qu’ils vont passer le 1er tour. La France va passer et le Pérou aussi.
Parle-moi un peu du stade de Melgar
En général, on joue devant 50 000 spectateurs. Pour les gros matchs comme les derbys, le stade est plein. Le décor autour du stade est magnifique. Quand tu es sur le terrain tu vois les montagnes.
Pour les supporters de là-bas, leur club c’est leur vie. Ils ne vivent que pour ça. Il y a certaines personnes qui préfèrent ne pas manger pour venir au stade. Au Pérou, le football c’est comme une religion.
Comment se prépare un match au Pérou ?
Il y a tout le temps des mises au vert. J’ai pris plus de vingt fois l’avion en moins de six mois, c’est énorme. Tous les déplacements se font en avion, même ceux de 300 kilomètres. On loge toujours à l’hôtel.
À domicile, c’était la même chose. Parfois, on devait rejoindre le club deux jours à l’avance. Ils insistent beaucoup sur la mise au vert. L’équipe devait manger ensemble. Il y avait un vrai esprit de groupe presque comme une famille.
Il y a beaucoup d’embouteillages au Pérou ?
Énormément. Lima, la capitale, c’est quasiment 14 millions d’habitants. Dans cette ville, il y a tout le temps du trafic. Tu peux mettre quatre heures la traverser du nord au sud.
Tu as toujours un thermos de Maté avec toi. Une habitude ramenée de là-bas ?
Le Maté c’est une boisson qui vient d’Argentine. C’est une espèce de thé qui t’apporte énormément d’énergie. Comme le café mais en plus fort. C’est bénéfique pour la circulation du sang, ça protège des maladies. Les Sud-Américains en préparent dès qu’ils se réveillent et ils en boivent jusqu’au coucher du soleil.
En ville, il y a des vendeurs ambulants qui proposent de l’eau chaude pour les thermos. Ils savent bien que c’est un business qui marche parce que les gens ne boivent que ça. Tu peux voir un couple s’asseoir sur un banc avec son maté, là-bas c’est banal. Les grands joueurs sud-américains en consomment aussi beaucoup. J’ai lu que Messi en buvait cinq litres par jour. Suarez et Neymar sont aussi accroc.
Quand tu ne joues pas au football, que fais-tu de ton temps libre ?
Je me repose beaucoup. Quand j’ai du temps libre, je visite un peu le pays. Il y a beaucoup de choses à voir. C’est un pays très touristique. Le monument le plus touristique c’est le Machu Picchu, une des sept merveilles du monde. Je n’ai pas eu l’occasion de le voir car c’est assez loin de chez moi.
Il y a un tas de choses à voir… des montagnes, des monuments, des cathédrales ou des monastères. C’est un pays qui a une grande histoire.
Quel est le plat péruvien typique ?
La cuisine péruvienne est très bonne. Quand je rentre en Belgique, on me demande toujours comment est la cuisine péruvienne, ce qu’on y mange. Au Pérou, on mange beaucoup de poisson. Il y a un plat de poisson cru avec une sauce qui s’appelle le "ceviche". C’est très bon.
Et la musique péruvienne, tu la kiffes ?
Les Sud-Américains écoutent beaucoup de reggaeton, de salsa. Ils dansent beaucoup. Je n’emploie pas le mot péruvien parce que dans mon équipe il y avait beaucoup d’étrangers, des Uruguayens, des Brésiliens, des Mexicains, des Colombiens… Ce sont des gens qui aiment la fête et qui n’ont pas une bonne hygiène de vie. Ils sont capables d’avoir un match le samedi et de sortir au casino la veille sans que l’entraineur le sache. Ils prennent de gros risques. Ils aiment bien faire la fête, ils boivent, ils sont tatoués de partout.
Je suppose que la religion y est aussi fort présente…
Avant un match le prêtre vient à l’hôtel. Les joueurs l’encerclent et se mettent à prier. On ferme les yeux et on écoute le prêtre. Chacun prie son Dieu, j’étais le seul musulman de l’équipe mais j’ai été très bien accepté.
Tu as vu des lamas ?
Il y en a beaucoup. Ils ne se baladent pas en rue mais quand tu vas dans des plaines ou dans des parcs, tu les vois, ils sont là. Ils crachent souvent. C’est vraiment un drôle d’animal (rires).
Pourquoi as-tu refusé de prolonger l’aventure ?
A la base, je n’avais signé que pour six mois parce que je partais un peu à l’inconnu. On m’avait pourtant proposé un contrat d’un an et demi.
Franchement, j’avais de revenir jouer plus près d’ici. C’est difficile de vivre seul à onze heures de vol de la Belgique loin de sa famille, de ses amis. Je me suis bien amusé. On a fait de bons résultats, tout s’est bien passé mais le seul inconvénient, c’était la distance.
De quoi rêves-tu à présent ?
Mon rêve, c’était de devenir footballeur et j’ai réussi. Je n’ai plus de rêves, j’ai des objectifs comme jouer dans un meilleur club. On ne sait jamais…En football, ça peut aller très vite. J’ai 27 ans et si je ne me blesse pas j’ai envie de jouer jusqu’à 40 ans comme Timmy Simons (rires).
Qu’est-ce que tu fais de ton argent ?
Je fais plaisir à mes proches, je les aide beaucoup. Je viens d’une famille nombreuse. Je viens d’un milieu qui est plus proche de la pauvreté que de la richesse. Lorsque mon père est arrivé du Maroc, il a travaillé à la mine. Il est à présent pensionné. Quant à ma mère, elle est aide ménagère. On a connu des galères mais on a toujours eu ce dont on avait besoin. On ne vivait pas dans l’aisance mais rien ne manquait.
C’est aussi pour ça que, enfant, je ne suis pas allé dans des clubs comme le Standard. J’avais les qualités pour y aller mais il fallait payer 500 ou 600 euros de cotisation. Si j’allais dire ça à mon père il me tuait, c’est ce qu’il gagnait en un mois. Il a six enfants, je ne pouvais pas le lui demander. C’est à cause de ça qu’on s’est retrouvé dans des clubs de quartier. C’était le CPAS qui payait la cotisation.
Comment te sens-tu lorsque tu rentres dans ton quartier ?
Je reste un gars simple. Au quartier, je suis toujours avec les mêmes potes qu’avant. Je vais à la maison de jeunes. J’aime bien y rester avec les jeunes du quartier. À ma façon, je suis comme un exemple à suivre ou une sorte de modèle. J’ai connu beaucoup de galères mais j’ai réussi à m’en sortir.
Sans le foot tu aurais fait quoi ?
Parfois je me pose la question. Sans le football, je ne sais pas ce que j’aurais fait. J’aurais pu mal tourner parce que la plupart de mes amis sont en prison. Je serais devenu un braqueur, un voleur ou un vendeur de drogues (sic) je ne sais pas… on ne peut pas savoir. Le football m’a sauvé.
Même si je fréquentais beaucoup les gars des quartiers, j’ai quand même fini ma sixième secondaire. Mais je n’ai jamais imaginé poursuivre mes études. Dans ma tête, " je me disais que je devais terminer ma sixième secondaire et devenir pro en division 1 ". Je voulais gagner ma vie avec le football. Même s’il y a des métiers que j’aime bien, comme kinésithérapeute, j’aurais bien aimé faire ça dans un club de football. Animateur ou éducateur dans une maison de jeunes, j’aurais pu le faire aussi.
La technique c’est un don où à ça se travaille ?
C’est inné mais ça se travaille. Dans la rue quand tu joues entre potes, t’essayes toujours de mettre un petit pont. C’est comme ça. Tu veux toujours être le meilleur. Tu essayes des feintes… Dans les quartiers c’est comme ça.
Quelle est la feinte que tu réussis le plus facilement ?
La virgule. Je la maîtrise parce que je l’ai beaucoup travaillé. Il y a d’autres gestes aussi, comme la feinte de frappe, les passements de jambes…
Avec ce geste, tu mets le stade dans ta poche…
Au Pérou et au Maroc, ils devenaient fous !
Qui sont tes amis dans le milieu du football ?
Les frères Fellaini. Je m’entends vraiment bien avec eux depuis longtemps. Paul-José Mpoku, Christian Benteke sont mes amis. Je connais aussi Anthony Vanden Borre. Quant à Mehdi Carcela, Zakaria Bakkali et Nacer Chadli, ils sont comme des frères. On a grandi ensemble… on jouait au mini-foot dans les agoras, ça ne s’oublie pas.
Quand tu vois tes amis d’enfance jouer dans de gros clubs en Belgique ou l’étranger alors que tu étais peut-être meilleur techniquement, ça te fait quoi ?
Je suis content pour eux et j’essaye de regarder tous leurs matches. Tu sais…quand on est ensemble, on ne parle même pas de football mais on continue de jouer ensemble au foot à 5 au soccer club de Benjamin Nicaise. Pendant la trêve, on joue ensemble. Et c’est du sérieux car tout le monde veut gagner. C’est une question de fierté.
Tu comprends qu’à un moment le football peut en écoeurer certains ?
Bien sûr. Quand tu joues à un certain niveau pendant plus de 10 ans c’est normal d’en avoir marre. Tu veux faire autre chose, passer plus de temps avec ta famille, tes amis. Le football, c’est le boulot. Tu es tout le temps dedans. Moi je suis un vrai passionné.
Je ne me suis jamais réveillé le matin avec la flemme d’aller à l’entrainement. Peu importe le niveau. Je vais te donner un exemple…
Je me souviens être allé jouer un dimanche matin avec mes potes de l’AS Marocaine, un petit club amateur de quartier. Et l’après-midi, je devais jouer à 15 heures à La Louvière avec Hamoir.
Ça n’arrivait pas chaque semaine mais j’allais jouer avec mes amis pour leur faire plaisir ou quand ils avaient un gros match à gagner avec un pari à la clé. Si un pote avait parié une tournée générale à la buvette, je devais aller l’aider (rires). Si après vingt minutes c’était 3-0 et j’avais marqué tous les goals alors je m’éclipsais.
Jouer un jour au Standard tu as fait une croix dessus ?
Le Standard c’est un rêve. Et ça le restera tant que je serai footballeur. C’est le club de mon cœur, de mon quartier, c’est de loin mon équipe préférée en Belgique. Je ne rate pas un match. Quand je suis à l’étranger, j’allume mon ordinateur et je regarde le Standard en streaming. Je n’ai pas fait une croix sur ce club car dans le foot tout est possible.
Qui est ton modèle dans le football ?
Mon joueur préféré c’est Cristiano Ronaldo. Mon modèle, Luis Suarez. Il ne joue pas au même poste que moi mais Luis Suarez, c’est la grinta, il s’est fait tout seul. J’aime la façon dont il joue, il est toujours à 100%. C’est un passionné de football, en plus il boit du maté (rires). Je l’aime bien, même si je n’aime pas Barcelone. Moi, c’est le Real Madrid à vie. Mon sang il est blanc. Enfin, blanc et rouge (rires).
Où te vois-tu dans cinq ans ?
J’aurai 32 ans et j’espère que je serai toujours professionnel. Le football c’est un métier mais c’est aussi quelque chose que j’aime. J’aspire à jouer le plus tard possible. Après ma carrière, j’ai aussi envie de continuer le football en " amateur " avec mes amis. Je continuerai jusqu’à ce que mon corps me dise stop.