Dans son premier roman, best-seller en Allemagne et en Autriche (100.000 exemplaires vendus en grand format), l’Autrichienne Vea Kaiser nous raconte un village d’irréductibles, perché dans les Alpes, à la frontière entre la Bavière et le Tyrol. Contrairement à Astérix, ici, pas de retour dans le passé. Les habitants de Saint-Peter-sur-Anger, ce seraient un peu les Gaulois d’aujourd’hui : le monde entier est gouverné par la modernité; eux seuls résistent, encore et toujours, à l’envahisseur...
Tout commence dans les années cinquante lorsque Johannes, un simple bûcheron destiné à une vie fruste dans ce petit village de quelques dizaines d’âmes, voit sa vie parasitée (c’est le cas de le dire) par un ver solitaire. Décidant de remplacer l’ignorance et la superstition qui sont le lot de sa communauté par le savoir, il passe son temps en bibliothèque, à étudier la vie des vers. Très vite, il en vient à vouloir devenir médecin. À peine marié, il quitte le village pour partir étudier à la ville. Il ne reviendra que dix ans plus tard, avec son diplôme de médecine en poche et sa passion pour les parasites de tout poil. Vea Kaiser nous fait vivre ses tribulations mais aussi, celles de son petit-fils, également prénommé Johannes, que ce grand-père érudit veut sauver de l’ignorance endogène au village. Johannes Junior va quant à lui s’intéresser à l’historiographie avec grand sérieux, si grand sérieux qu’il va être pris en grippe par ses examinateurs lors de son bac. Voilà pour le contexte.
Pour lire un extrait de Blasmusikpop
Vea Kaiser, étudiante en grec ancien et en philologie, avait une petite vingtaine d’années, seulement, lorsqu’elle a écrit cette comédie de moeurs rurale. On ne peut qu’admirer la manière dont elle a réussi à "incarner" ces villageois quasi-autarciques. Tout d’abord, elle leur donne une voix. Les irréductibles (qu’un traité presque ethnographique distillé entre chaque chapitre du livre appelle " Les Barbares "), parlent un dialecte savamment reconstitué et plus vrai que nature. Grâce au talent remarquable de la traductrice, Corinna Gepner, ce patois est restitué avec brio dans sa version française et ne manquera pas d’interpeller le lecteur belge qui y retrouvera des similitudes avec le wallon. Les dialogues ont dès lors un côté savoureux, que tempère dangereusement l’aspect répétitif de l’usage du patois. Car toute formule de ce type a ses limites, dès lors qu’elle devient systématique.
Lorsqu’on referme ce livre joyeux et drôle, même si la sarabande des noms se mélange un peu et qu’on ne sait plus toujours qui était qui, on a en tête une joyeuse bande de paysans à la fois têtus, bourrus, obtus, et... généreux
Au-delà de l’inventivité du langage, il y a celle du récit. Vea Kaiser s’amuse, au départ de son histoire de ver solitaire, à emprunter les chemins les plus improbables. Son histoire foisonne de trouvailles, prend des détours échevelés, se perd, se dilue, éclate et rebondit sans cesse. C’est sûr, Blasmusikpop aurait pu faire l’économie de quelques dizaines de pages. Mais ce foisonnement est si joyeux, si débridé et plein d’une telle vie qu’il m’a au contraire rendu la lecture du livre presque haletante.
En revanche, l’adjonction systématique de pages du récit ethnographique sur "Les Barbares" entre deux chapitres, elle, a freiné mon enthousiasme. Dans tout cela, c’est bien entendu la question des moeurs collectives qui occupe la vedette. Enfermé dans son refus de modernité, le village va se retrouver confronté d’un coup à l’altérité à la faveur d’une simple partie de football. Du coup, Vea Kaiser peut aborder des choses aussi universelles que la peur de l’autre, l’ouverture au monde, l’enclavement, le besoin d’ailleurs. Sa comédie de moeurs n’en devient que plus intéressante. Mais sans jamais verser dans la démonstration.
Lorsqu’on referme ce livre joyeux et drôle, même si la sarabande des noms se mélange un peu et qu’on ne sait plus toujours qui était qui, on a en tête une joyeuse bande de paysans à la fois têtus, bourrus, obtus, et... généreux, préférant la communauté à l’individu. Du maire aux familles régnantes, des femmes consignées au rôle de mère reproductrice aux vedettes de football locales, chacun est à sa place dans cette histoire où le savoir cherche lui-même quelle est la sienne...
Vea Kaiser, Blasmusikpop, Presses de la Cité