Dans quel monde on vit

Blandine Rinkel: " Chère incertitude, chère discrétion, vous défendez la beauté à bas bruit "

Blandine Rinkel: " Chère incertitude, chère discrétion, vous défendez la beauté à bas bruit "

© Capucine de Chocqueuse

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L’incertitude et la discrétion: à notre époque, on cherche bien trop souvent à s’en éloigner ou à s’en débarrasser. Ce qui est pour Blandine Rinkel une grave erreur. Pour l’écrivaine et membre du groupe Catastrophe, l’incertitude et la discrétion sont précieuses. Alors, elle s’adressent à elles pour les encourager et dire leur nécessité.

 

 

Chère incertitude, chère discrétion, 

 

Je vous écris pour vous dire que je vous écoute même si vous narrivez pas à vous faire entendre ces derniers temps. Beaucoup de mes amis vous fréquentent et vous aiment en secret, je le sais. On ne vous le dit pas assez.

L’autre jour au café, vous étiez là, tout le monde parlait fort, vous ne disiez rien. Je sais pourtant que vous nen pensiez pas moins. Seulement vous naviez pas envie de monter sur le ring, de couper la parole, de théâtraliser. Vous ne souhaitiez pas non plus faire semblant davoir un avis définitif sur des sujets de société quau fond, vous saviez ne connaître quapproximativement.

Alors vous vous taisiez. Et j’écoutais votre silence. Ça me semble important de vous le dire, parce que ça ne va plus de soi. Vous n’êtes pas à la mode, disons. Votre famille paraît un peu galvaudée.

Il faut dire que vous êtes peu compatible avec les réseaux sociaux, avec la syncope médiatique. Vite, on vous trouve ennuyantes. Face à la colère, à l’aplomb, vous ne faites pas le poids. Votre charme ne passe pas en 140 signes. Votre voix à du mal à porter, vous ne faites sursauter personne. Vous êtes là, parmi nous, à la manière dun chien calme qui observe le monde sous la table. On vous oublie.

En 2021, je crois même que la société a un peu de mépris pour vous. On vous confond lune-lautre avec la lâcheté, qui nest pourtant que votre cousine très éloignée.

 


Non, vous, vous ne cherchez pas à fuir. Vous défendez : la beauté à bas bruit.

C’est votre grande affaire - comme l’écrit Pierre Zaoui - la beauté nue, anonyme et offerte à tous à condition de savoir la voir.

 

De fait, vous savez voir : 10/10 à chaque œil. Vous savez voir, même si on vous regarde peu en retour. Heureusement, parfois vous voilà, qui nous bouleversez sans prévenir.

Le 19 septembre dernier, Michaela Coël, l’actrice et autrice de la série I May Destroy You a reçu l’Emmy Award du meilleur scénario, et cest comme si son discours était pour vous :

Ecris les histoires qui te font peur, a-t-elle dit, écris les histoires qui te rendent incertain, inconfortable. Si tu l’oses. Dans un monde qui nous encourage sans cesse à parcourir les vies des autres pour conduire la nôtre, un monde qui nous enjoint à être constamment visible — la visibilité semblant désormais équivalente au succès — eh bien dans ce monde, nai pas peur de disparaître. D’entre nous. Pour un moment. Et vois, alors, alors ce qui te vient dans le silence. "

Ch
ère discrétion, chère incertitude, savoir que vous existez - sans bruits, sans flash - me rassure. Je vous entends dans la musique, je vous retrouve dans certains films, je discute avec vous quand je lis. Votre présence maide à vivre mieux.

Et je crois que nous sommes bien plus nombreux quil ny paraît à réclamer vos présences dans nos jours. C’est l’incertitude qui nous charme, tout devient merveilleux dans la brume.

 

Alors gardez confiance, continuez de nous troubler.

A bientôt,

Blandine.

 

Chaque samedi, dans “Dans quel Monde on vit”, un auteur-chroniqueur partage une lettre adressée à une personnalité qui occupe le devant de l’actualité, à un inconnu qu’il a repéré ou à une personne qui le fait rêver…

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