C’est Grégory Motte qui tire ce constat de disparition.
Cet expert du Service public de Wallonie suit de près l’évolution de la biodiversité des rivières. Il a participé aux programmes successifs de sauvegarde (LIFE) cofinancés par l’Union européenne depuis 2002. Des programmes qui tentent de remédier aux multiples causes de la disparition de cette espèce.
Elle ne peut pas avoir été décimée par la pêche : elle ne se mange pas (et tant mieux, puisqu’elle filtre les eaux de nos rivières).
Elle n’a pas non plus disparu pour ses perles, ou alors à la marge : "Localement, sur certains tronçons de cours d’eau, on recherchait la moule perlière pour les perles", explique l’expert, "mais elles ne donnent qu’une perle pour 1000 à 10.000 individus ! Donc il fallait détruire énormément de moules pour espérer trouver une perle. Ces perles aujourd’hui n’ont plus aucune valeur commerciale, elles sont très petites et de forme irrégulière. Donc chez nous, localement, ça a pu aggraver le déclin mais ce n’est pas tout la cause majeure de leur disparition."
La moule perlière a surtout subi les changements des rivières : la plantation de résineux qui ont modifié les berges. L’accès de bétail aux rivières, qui piétinent le fond de l’eau. La raréfaction d’un certain poisson, la "truite fario" dont la moule a besoin pour se reproduire, pour véhiculer ses larves le temps qu’elles grandissent.
Mais une raison fondamentale, c’est la pollution des cours d’eaux : l’arrivée diffuse de pesticides et d’engrais en provenance des champs. Ou le déversement direct d’eaux d’égouts dans les rivières. Fatal.
Pourquoi la moule perlière, même sans perle, a de la valeur
La moule perlière ne survit pas dans ces conditions.
Pour vivre et se reproduire, il lui faut des eaux de grande qualité, bien oxygénées et la proximité de certains poissons et végétaux. C’est pour cela qu’elle suscite tant d’intérêt et de financements. Parce qu’elle fait partie du patrimoine naturel wallon, bien sûr, mais aussi parce qu’elle est ce qu’on surnomme une "espèce parapluie": quand on parvient à la faire réapparaître, en remplissant peu à peu ses conditions très exigeantes de survie, on a permis au passage le redéploiement de nombreuses autres espèces.
Et elle rendra la pareille : elle-même participe au nettoyage de l’eau en la filtrant. Un cercle vertueux. Bien plus subtile qu’elle n’en a l’air, la moule, sous ses dehors rugueux.
Deux décennies d’efforts et un prêt de la BEI
Cela fait donc près de 20 ans que les efforts se succèdent pour le redéploiement de cette espèce, en Belgique et ailleurs en Europe.
Dernière initiative en date : un prêt spécifique contracté à la Banque européenne d’investissement (BEI) par la Société Publique de gestion de l’eau en Wallonie, la SPGE.
4,5 millions d’euros pour construire trois stations d’épurations à proximité de l’habitat de la moule perlière et dont l’assainissement des eaux devrait être à la hauteur des exigences du mollusque, soit au-delà des normes européennes.
Il s’agit d’un prêt atypique de la BEI.
Financer le "Capital naturel"
La Banque européenne d’investissement, basée au Luxembourg, est une institution qui prête de l’argent aux autorités publiques dans l’Union, pour qu’elles puissent financer des investissements en phase avec les priorités européennes.
Mais cette fois c’est un type de prêt particulièrement ciblé, dédié à des projets pointus en lien avec la biodiversité. Un prêt encore peu utilisé, seuls cinq ont été signés jusqu’ici dans l'Union européenne et l'exemple wallon est le premier en Europe dédié à l’eau.
Les autorités publiques qui empruntent via ce mécanisme, appelé "mécanisme de financement du capital naturel", peuvent disposer à la fois d’un emprunt de longue durée (ici 20 ans), et d’une aide technique pour le projet, à hauteur de 10% du prêt:
"C’est un instrument financier mis en place par la Commission européenne pour soutenir les projets qui favorisent la biodiversité", résume l’ingénieur qui a piloté ce prêt à la BEI, Marco Beros. "Ce projet bénéficie d’un don 'en nature' de la Commission européenne : une assistance technique va être fournie, payée de la Commission et appuyée sur l’expertise de la BEI, par exemple pour faire un suivi de la biodiversité sur 5 ans".
La SPGE, qui a déjà emprunté des montants bien plus larges à la BEI pour investir dans la collecte et le traitement des eaux usées (150 millions d’euros signés au printemps 2020), a ajouté à son ardoise ce prêt ciblé. Et les trois chantiers ont commencé.
Epurer les eaux sales en visant le retour des moules
A Rosières, le bruit d’une pelleteuse couvre celui du ruisseau. Dans ce paysage rural de Vaux-sur-Sûre en province du Luxembourg, entre les bois et les champs, le chantier de la nouvelle station d’épuration bat son plein.
"D’ici, on voit le village de Rosières qui surplombe le site de la station d’épuration", commente Quentin Neulens, chef de projet chez Idelux Eau, casque sur la tête. "Toutes les eaux usées du village vont directement dans la rivière. D’où la construction de cette station d’épuration".