Economie

Biocarburants, voulez-vous du cochon dans votre moteur d’avion ?

Airplane over Rapsfeld

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Par Lucie Dendooven

 

" Les cochons ça vole ! ", c’est le titre accrocheur du dernier rapport de l’ONG Transport & Environnement. Le saviez-vous ? Le biokérosène des avions et des bateaux contient de la graisse animale et, notamment, de porc. La demande de cette matière première explose dans ce secteur. En cause, la nécessité de réduire l’utilisation de nos carburants fossiles. En effet, d’ici 2025, le secteur de l’aéronautique aura l’obligation de mixer son carburant fossile avec, au moins, 2% de carburant non fossile. Il peut s’agir d’huiles usagées de cuisine ou encore de graisse d’origine animale. Mais l’ONG nous alerte. Cette ruée vers ce nouveau ‘biokérosène’pourrait bien avoir, à terme, un effet pervers.

De la graisse animale pour les savons, les aliments pour animaux et… Le kérosène des avions

Jusqu’à présent, de la graisse animale de haute qualité était utilisée pour les cosmétiques, dans les savons et les aliments pour animaux. Depuis quelque temps, de la graisse de qualité inférieure est utilisée dans le secteur des transports. Il est connu sous le nom de carburant d’aviation durable (SAF). Mais ses quantités ne sont pas énormes et certainement pas en mesure de répondre aux besoins de la flotte aérienne mondiale. Autre constat, le nombre d’animaux abattus diminue en raison d’une baisse mondiale de la consommation de viande.

Pourtant, l’industrie aéronautique a de grandes ambitions dans ce type de ‘biokérosène’. Ryanair, par exemple, remplit tous les avions de Schiphol depuis le 1er avril avec un mélange de 60% de carburant fossile et de 40% de biokérosène. En conséquence, ces avions émettent 32% de gaz à effet de serre en moins, affirment Ryanair et Neste, le plus grand fabricant européen de biokérosène. Dans sept ans, Ryanair veut utiliser du biokérosène dans un vol sur huit.

" C’est uniquement un effet d’annonce ", nous explique Patrick Hendrick, professeur en aéro-thermo-mécanique à l’Université Libre de Bruxelles. Selon lui, jamais l’industrie aéronautique ne pourra produire de quantités suffisantes de kérosènes issus de graisses animales. L’autre problème, souligne-t-il, tient dans l’appellation ‘biokérosène’. Il insiste : " ces carburants ne sont pas du tout écologiques. Pensez au CO2 nécessaire pour nourrir un porc. C’est illusoire de vouloir augmenter l’élevage de porcs pour produire du soi-disant ‘biokérosène’. "

Des quantités de graisse animale trop minimes pour couvrir les besoins de la flotte aérienne mondiale

L’ONG Transport&Environnement a fait le compte. Il faudrait la graisse de 8800 porcs abattus pour remplir suffisamment le réservoir d’un avion pour voler de Paris à New York. Elle a chiffré à 0,75 mégatonne la quantité disponible de ces graisses animales. Elle couvrirait à peine 1,4% des besoins de l’aviation jusqu’en 2050. Or, le secteur aérien voudrait tripler ce chiffre pour répondre aux ambitions climatiques de l’aviation.

Barbara Smailagic, experte en biocarburants chez Transport&Environnement, explique : " Pendant des années, nous avons brûlé des graisses animales dans les voitures, à l’insu des conducteurs. Bientôt, elles pourront alimenter votre prochain voyage en avion. Mais cela ne pourra pas se faire sans priver d’autres secteurs qui en ont besoin. Ils se tourneront alors probablement vers des substituts nuisibles, comme l’huile de palme. Nous avons besoin d’une plus grande transparence pour que les consommateurs sachent ce qui entre dans leurs réservoirs et alimente leurs vols."

Nos animaux de compagnie contraints de manger végétarien ?

L’Europe a placé une ligne rouge : interdiction de convertir les cultures comestibles en carburant. Cependant l’ONG Transport&Environnement nous alerte : elle craint que les compagnies aériennes n’achètent de la graisse animale actuellement utilisée dans les cosmétiques et les aliments pour chiens. Il semble même que cela se produise déjà. La demande de matières grasses de haute qualité a augmenté de 88% entre 2018 et 2020.

 

Les producteurs d’aliments pour chiens, des aliments pour animaux et des ingrédients cosmétiques ont déjà tiré la sonnette d’alarme. En novembre dernier, elles craignaient déjà une pénurie de graisse animale pour leur secteur. Elles refusent que leur secteur soit sacrifié sur l’autel du verdissement de l’aviation.

 

Elles préviennent aussi qu’elles devront se tourner vers les graisses végétales, comme l’huile de palme si elles ne trouvent plus assez de matière première animale. Pour cela, des terres agricoles précieuses doivent être utilisées, qui ne peuvent alors plus être utilisées pour les cultures vivrières. Cela peut même conduire à la déforestation. Dans ce dernier cas, une grande partie des effets climatiques bénéfiques du biokérosène serait annulée. Dans le cas le plus extrême, le biokérosène deviendrait ainsi 1,7 fois plus nocif pour le climat que le carburant fossile.

 

Le biokérosène n’est plus du tout crédible dans ce cas de figure. Voilà pourquoi, d’autres filières comme les carburants dits de synthèse, qui sont produits chimiquement éventuellement avec de l’hydrogène vert sont aujourd’hui à l’étude.

Sur la même thématique : JT du 27/05/2023

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