Direction un vieux ciné de quartier, en Angleterre, plus exactement.
Nous sommes à Brighton, station balnéaire du sud de Londres qui n’est certainement pas la ville la plus riante du Royaume-Uni. Elle l’est d’autant moins que ce livre se déroule presque intégralement dans un décor décrépi, celui du Breakwater, une ancienne salle de spectacle aussi prestigieuse que gigantesque, dont il ne reste plus que trois salles de cinéma exploitées et dont le dernier étage presque en ruines est le refuge des oiseaux de mer. Si j’ajoute à ce décor le fait que ce roman graphique est dessiné dans un noir et blanc charbonneux, j’en vois déjà qui s’encourent, persuadés que je cherche à leur gâcher la journée.
Pas du tout déprimant : si on devait rapprocher cette comédie douce-amère d’un univers cinématographique, je dirais que c’est la rencontre entre Ken Loach et Stephen Frears.
Dans ce vieux cinéma de quartier, il y a deux personnages auxquels on va s’attacher : Chris est la plus ancienne employée, elle règne sur les lieux avec flegme et empathie. Arrive Dan, un garçon un peu perdu, qui décroche lui aussi un poste d’ouvreur. Il devient donc d’abord le collègue de Chris et bientôt, son ami. Tout le livre va nous montrer la naissance de leur amitié sur les lieux du travail, un sujet peu exploré dans la fiction et qu’ausculte avec brio la dessinatrice Katriona Chapman, dont c’est pourtant seulement le deuxième roman graphique. Au fil des pages, on se prend d’amour pour ces deux personnages presque limités au huis clos du vieux cinéma où ils officient avec quelques autres. Dan apparaît très vite comme un homme fragile, beaucoup plus fragile que Chris. Mais les deux vont s’apporter mutuellement quelque chose.
Un roman graphique qui a immédiatement été remarqué dans le monde anglo-saxon !
''Breakwater'' est paru il y a deux ans en anglais. Il a été élu parmi les 20 meilleurs romans graphiques de 2020 par le prestigieux New York Times. On y découvre des personnages touchants, une approche de la bande dessinée toute en nuances, par une dessinatrice qui s’est d’abord formée à travers l’illustration pour la jeunesse. Au final, sans manichéisme et sans mièvrerie non plus, Katriona Chapman réussit à faire une véritable chronique sociale tout en dressant le portrait d’une grande justesse de ces deux amis qui auraient pu devenir des amants si leur orientation sexuelle les y avait prédestinés. En sous-texte, derrière l’intrigue principale, elle traite de bien de sujets importants, dont celui de la maladie mentale. Et on se rend compte en refermant l’ouvrage que le récit est réellement lumineux.
''Breakwater'' de Katriona Chapman chez Futuropolis