Mon coup de cœur est un comics récemment traduit. Un récit complet d’un peu moins de 150 pages qui nous emmène dans un futur pas si lointain…
Nous sommes en 2044, c’est dans un peu plus de vingt ans, donc. Et le monde n’est pas beau à voir. Quelques milliardaires font régner l’ordre à leur seul avantage. En cas de contestation violente, ils ont tout prévu : au large de la Floride, ils se sont construit une île ultra-protégée, dans des eaux internationales où la loi américaine ne s’applique pas. Des drones High-Tech patrouillent tout autour et détectent la moindre tentative d’intrusion : qu’il s’agisse d’envieux aux intentions malhonnêtes ou de simples réfugiés climatiques. Bienvenue à Billionaire Island, cette île des milliardaires où le scénariste Mark Russel a décidé de planter l’action de son récit. Ce livre, c’est une satire de la vie sociale dans un futur dystopique où tous les travers de notre monde d’aujourd’hui sont grossis à l’extrême.
Rassurez-vous, ''Billionaire Island'' n’est pas seulement un comics à visée politique bien décidé à mettre le doigt où ça fait mal. C’est aussi une histoire à la construction intelligente, puisqu’on va y suivre une journaliste un peu trop curieuse bientôt maintenue prisonnière sur l’île en compagnie d’autres empêcheurs de s’enrichir en rond, dont le comptable d’un des milliardaires, ou encore une jeune cadre bien décidée à faire tout ce qu’il faut pour monter dans l’entreprise en adoptant une parfaite posture de collabo. Bref, ça grince, mais cette étude de personnage qui se superpose à la satire politique fait de ''Billionaire Island'' un excellent thriller qui parvient même à faire rire – souvent jaune, mais vu qu’il parle en quelque sorte de la fin du monde, il n’y a pas matière à se taper la cuisse non plus. D’ailleurs, à propos de la stratégie qui consiste à se barricader à quelques-uns quand on pourrait au contraire améliorer la vie de l’ensemble de l’humanité, voici ce que déclare le scénariste dans la postface qu’il signait en 2020 : " Il est fou de penser qu’un poisson nageant dans les eaux empoisonnées d’un aquarium pourra s’en prémunir en se cachant dans son petit château en plastique ". Tout est dit…
Au sujet de la partie graphique de ce livre, le dessinateur a choisi de mettre en avant les côtés incroyablement cyniques des milliardaires. Son approche des visages est volontiers caricaturale et dit déjà beaucoup sur les motivations de chaque protagoniste. Quant à l’action, quand on parle de bande dessinée américaine, c’est le genre de chose avec lesquelles on ne rigole pas. Il y a pas mal de trouvailles aussi, dans lesquelles le dessinateur parvient à transcender le scénario grâce à une mise en scène musclée, qui fait la part belle aux changements de plan et d’échelle. Par exemple, lorsqu’il s’agit de dessiner le grand patron de ''Billionaire Island'', celui qu’on appelle Le Président et qui est le citoyen le plus riche de l’île. En réalité, il s’agit de l’héritier d’un magnat de l’immobilier, qui a multiplié par dix la fortune qui lui avait été léguée. Comment ? En faisant les bons choix. C’est-à-dire, en allant vers l’écuelle qui porte le nom " acheter " au lieu de celle qui porte le nom " vendre ". Car le Président en question, c’est Business Dog, un chien comme il y en a des millions, ni plus intelligent, ni doté de parole ou de pouvoirs extraordinaires. ''Billionaire Island'', une certaine vision de ce qui nous attend.
''Billionaire Island'', de Mark Russel et Steve Pugh, paru chez Urban Comics