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BD : Angélique Ducoudray et la machine à accoucher

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Cette BD permet de se frotter à l’un des événements les plus tragiques qui puisse briser une vie de femme : la mort en couches. Au XVIIIe siècle, ce type de catastrophe se produit encore très souvent… Trop souvent.

Angélique Ducoudray est sage-femme. Elle ne supporte pas cette souffrance trop fréquente. Elle va donc créer une "machine à accoucher" pour former les sages-femmes. Et au passage, elle va se frotter à ces "Messieurs les médecins" qui n’apprécient pas cette concurrence.

C’est une statistique qui nous échappe souvent : aujourd’hui encore des femmes meurent lors de leur accouchement. En Belgique, chaque année, il y a en moyenne 3,7 décès de mère en couche pour 100.000 accouchements… Une joie promise peut encore se transformer en deuil. En 1750, époque où vit Angélique Ducoudray, la situation est bien plus tragique encore. Il n’y a pas de statistiques claires au XVIIIe siècle, mais toute femme connaît une sœur, une amie ou une voisine morte en couches. Une situation insupportable pour notre héroïne. Une femme à la personnalité puissante que la scénariste Adeline Lafitte a eu la bonne idée de sortir de l’oubli.

La Sage-femme du roi, publié chez Delcourt

"On ne connaît pas grand-chose de sa vie privée" précise la scénariste. "Nous n’avons rien trouvé concernant ses parents. Certaines sources, disent que son père était médecin, mais ce n’est pas vérifié. Il semble cependant vraisemblable qu’elle était baignée dans un milieu qui s’intéressait à la médecine. D’autres questions restent également sans réponse. Était-elle noble ? Venait-elle d’Auvergne ? Autant d’énigmes toujours entières".

Ce moment où donner la vie apporte la mort…
Ce moment où donner la vie apporte la mort… © Delcourt

La machine anatomique

Angélique Ducoudray part d’un constat simple : c’est l’ignorance qui tue les femmes. Trop peu de sages-femmes connaissent vraiment l’anatomie féminine et sont capables d’appliquer les bons gestes, lorsqu’un accouchement tourne mal. Elle veut donc diffuser son savoir pour éviter ces catastrophes humaines. Aujourd’hui, on ferait un site web ou une vidéo pour les réseaux sociaux. Mais à l’époque, la majorité des Français sont illettrés, incapables de lire le moindre ouvrage. Quant à l’image, il n’existe que le dessin et la gravure. Mais réaliser un manuel d’accouchement en utilisant cette technique coûterait une fortune.

Angélique va donc créer sa propre technique pour diffuser son savoir. Elle va créer un mannequin qui imite, avec une précision incroyable, le corps des femmes et le bébé que leur ventre abrite. Les apprenties sages-femmes pourront s’en servir pour s’exercer.

"On parle de la machine de Madame Ducoudray" précise Adeline Lafitte. "On est à une époque, le siècle des Lumières, où on aime tout ce qui est technique, voire technologique, ce qui explique le choix de ce nom. Il y en a toujours un exemplaire au musée Flaubert de l’histoire de la médecine à Rouen. Elle représente tout le système reproductif d’une femme. Il y a l’utérus, le ou les fœtus à l’intérieur de l’utérus, le placenta, la veine obstétricale. Il y a également un système coulissant pour montrer la dilatation du col de l’utérus. Donc, vraiment, c’est très pertinent et très juste anatomiquement. Elle va bien au-delà de sa simple profession. Elle aurait pu se contenter de dire que si certaines femmes ne voulaient pas faire appel à ses services, et bien tant pis pour elles. Mais elle a voulu tout au contraire, ne pas laisser mourir ces femmes. Je trouve ça vraiment touchant".

La "machine Ducoudray" existe toujours
La "machine Ducoudray" existe toujours © Delcourt

Une guerre mercantile

L'argent reste le nerf de la guerre

Mais cette volonté d’Angélique Ducoudray ne va pas plaire à tout le monde. Au XVIIIe siècle comme à toute époque, le savoir, c’est le pouvoir. Et certains n’ont envie de partager ni l’un, ni l’autre. En particulier les médecins et chirurgiens qui, à l’époque, sont évidemment tous des hommes. Ils voient d’un mauvais œil ces femmes empiéter sur leurs prérogatives…

"À l’époque, les chirurgiens ont la tutelle sur la corporation des sages-femmes", explique Adeline Lafitte. "Et il y a vraiment une espèce de guéguerre qui se développe et débouche, par exemple sur une grève des sages-femmes déjà en 1741. Pour bien comprendre, cette guerre des sexes, il suffit de lire l’article de l’encyclopédie consacrée aux accoucheuses, un article évidemment écrit par des hommes. On y découvre qu’un anatomiste qui s’appelle Tarin les qualifie de femmes dangereuses. L’ambiance est donc complètement délétère. Et ce d’autant plus que l’on découvre que les chirurgiens commencent à se faire payer beaucoup plus qu’elle. C’est donc une guerre des sexes sur fond mercantile."

Les matrones

Cela dit, les adversaires d’Angélique Ducoudray ne sont pas que des hommes. Lorsqu’elle se rend en Auvergne, certaines femmes voient d’un tout aussi mauvais œil l’intervention de cette sage-femme parisienne. Il s’agit des matrones. Ces femmes se sont fait une spécialité d’accompagner les accouchements, mais leur savoir est parcellaire, basé uniquement sur leur expérience de terrain. Et leurs réactions, pour accélérer les accouchements difficiles sont pétries d’idées fausses, voire de superstitions…

Adeline Lafitte a découvert que "les matrones voient d’un assez mauvais œil arriver cette donneuse de leçon qui en plus, va se faire payer. Les matrones, elles, ne demandaient rien. Elles agissaient par solidarité entre femmes. Elles sont donc plutôt hostiles. Il faut ajouter à cela qu’Angélique Ducoudray est parisienne, ce qui n’arrange rien aux yeux de ces femmes d’Auvergne. Et puis, il faut ajouter qu’elle a le soutien de l’église locale qui commence à trouver que les matrones ont beaucoup trop d’influence. En conclusion, Angélique Ducoudray, tout comme les matrones ont toutes envie de sauver des femmes, mais elles ne sont pas d’accord sur la façon de faire. Les matrones se sentent en fait mises en accusation".

Les matrones
Les matrones © Delcourt

Un ton féministe digne de notre époque

Un exemple à suivre

La BD est d’une grande rigueur historique, tout en étant agréable à lire. Seule concession à la modernité, Adeline Lafitte fait s’exprimer son héroïne avec un ton proche des féministes d’aujourd’hui. Mais cela a l’avantage de rappeler que ce combat d’Angélique Ducoudray était vital, dans le sens propre du terme, à son époque et le reste encore aujourd’hui dans bien des pays du monde.

Grâce à l’acharnement qu’elle mettra à accomplir sa tâche, Angélique Ducoudray parviendra à répandre son savoir dans la France entière. Des centaines de femmes et d’enfants de l’époque lui doivent la vie. Et ce qui est surprenant, c’est qu’à la fin de l’histoire, elle sera récompensée pour son œuvre malgré la puissance de l’opposition rencontrée !

La reconnaissance royale

"Partout où elle passe pour faire connaître ses techniques d’accouchement, elle rencontre pas mal d’hostilité et de jalousie précise Adeline Lafitte. Mais heureusement, elle est reconnue par le roi Louis XV. Il lui accorde un brevet et l’invite à passer de ville en ville pour former des sages-femmes et des chirurgiens. Il lui verse une pension qui lui permet largement de vivre. C’est sans doute une des plus belles reconnaissances possibles à son époque."

Cette BD nous offre une héroïne puissante, se battant pour l’essentiel et qui parvient à ses fins. On ressort de cette BD avec un seul regret : celui de ne pas pouvoir rencontrer une femme de cette trempe capable de révolutionner son monde.

Le Déclic Culture de Gérald Vandenberghe

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