Journal du classique

Ballades classiques sous le violoncelle de Wednesday Addams

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Par Victoria De Schrijver

En novembre 2022, Wednesday, réalisée par Tim Burton, a pris d’assaut le monde des séries. C’est une Mercredi Addams, interprétée par Jenna Ortega, toute en délicate noirceur, que l’on découvre violoncelliste et mélomane. La série est l’une des plus populaires de cette fin d’année 2022 et est déjà nommée aux Golden Globes dans deux catégories différentes : meilleure série télévisée musicale ou comique et meilleure actrice dans une série musicale ou comique pour Jenna Ortega. Une mini-série de huit épisodes sur laquelle nous revenons en musiques.

La famille Addams est issue des personnages de cartoons créés par Charles Addams (1912-1988) et publiés dès 1938 dans The New Yorker. La famille débarque sur le petit écran, et plus tard le grand, dès les années 1960. Ce sont les films des années 1990 qui ont véritablement propulsé et ancré la Famille Addams dans une culture pop. L’actrice Christina Ricci, que l’on retrouve d’ailleurs dans un tout autre rôle dans cette nouvelle série, y incarnait alors une Wednesday (Mercredi) Addams encore pré-adolescente, au caractère très affirmé. En 2022, Jenna Ortega interprète une Mercredi déjà adolescente et toute aussi indépendante et affirmée.

C’est à Jericho dans le Vermont américain que Mercredi Addams, une adolescente en crise — dans la digne continuité de son enfance — est envoyée dans un internat par sa famille après une énième expulsion d’une école pour des faits très graves. C’est à la Nevermore Academy, où ses parents ont étudié et se sont rencontrés, qu’elle doit maintenant s’intégrer auprès d’autres "outcasts", marginaux et exclus, qui comme elle, ont certaines particularités.

Si le pitch semble être digne de nombreuses séries pour enfants et adolescents, les incursions de noirceur et de terreur se font très rapidement. Accompagnée de La Chose, la main droite de la famille Addams, Mercredi va partir à l’enquête telle l’héroïne de son roman qu’elle tente d’achever. Une bête mystérieuse rôde dans le coin, semant la mort… et une sombre prophétie semble être en passe de se réaliser.

Mercredi a deux principaux exutoires — si on lui retire ses penchants pour la torture —, écrire tout en écoutant un vinyle et jouer avec son violoncelle. C’est avec ce dernier qu’elle se vide la tête ou qu’elle exprime une forme de rage et de détermination qu’elle n’aurait peut-être pas pu exprimer plus tôt.

La musique est une arme d’illustration et d’ambiance sonore, qui couplée à une cinématographie travaillée, permet de plonger le spectateur dans un autre monde. Danny Elfman, compositeur phare de Burton, signe avec Chris Bacon la bande originale de cette série, qui s’entoure de morceaux participant eux aussi à créer cette ambiance si particulière qui séduit tant de spectateurs.

Non, je ne regrette rien

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Le décor est planté dès les premières scènes. Mercredi venge son frère, harcelé par une équipe de waterpolo, en glissant des piranhas dans leur piscine durant un entraînement, le tout sur une musique d’Edith Piaf. Elle ne regrette certainement pas cette tentative d’assassinat, qui lui vaudra une simple expulsion ainsi qu’une obligation de suivi psychologique, grâce aux parents de Mercredi, apparemment experts en relations publiques et en gestion de crise.

Non, je ne regrette rien est une chanson composée à la fin des années 1950 par Charles Dumont, sur un texte de Michel Vaucaire. C’est en 1960 que cette chanson sort et fait sa place dans le paysage sonore populaire, via la voix d’Edith Piaf (1915-1963). L’icône de Paris nous conte ses déboires, passe en revue sa vie dont elle ne regrette rien, faisant table rase de ce passé pour aller de l’avant. Piaf dédie à l’époque l’enregistrement de cette chanson à l’armée française et plus précisément à la Légion étrangère, alors engagée dans la guerre d’Algérie (1954-1962).

Un concerto d’Edward Elgar, comme un songe

Le classique s’invite toujours aux moments propices dans Wednesday. C’est Edward Elgar (1857-1934) qui accompagne un dessin de Mercredi, jouant du violoncelle sur son balcon, peint par un membre de la Nevermore Academy. Ce sont quelques instants d’un concerto fort, où le violoncelle est puissant et affirmé, qui résonnent sous l'archet de Wednesday. Le Concerto pour violoncelle en mi mineur opus 85 a été composé au sortir de la Grande Guerre, durant l’été 1919.

Durant la Première Guerre mondiale, il compose notamment des œuvres pour encourager les soldats et d’autres œuvres patriotiques, dont Carillon (opus 75), écrite en 1914 sous la forme d'une récitation d’un poème de l'auteur belge Emile Cammaerts (1878-1908) accompagnée par un ensemble instrumental. En 1917, il compose une autre pièce en l’honneur de la Belgique patriotique : Le drapeau belge (opus 79), toujours sur un texte du poète Emile Cammaerts.

En 1919, dans sa villa "Brinkwells", située dans un coin isolé du Sussex, il reprend une mélodie qu’il avait déjà écrite sans grande conviction et en fait un concerto pour violoncelle en quatre mouvements qui connaîtra une première au Queen’s Hall dirigée par le compositeur, avec le violoncelliste Felix Salmond (1888-1952) ainsi que l’orchestre symphonique de Londres.

C’est un concerto comme une ode de fin de guerre qu’Elgar compose. Pensif, méditatif mais aussi poignant, le concerto n’est pourtant pas accueilli avec le plus grand enthousiasme lors de sa première. On le dit "dépassé", ou "d’un autre temps", mais il est empreint d'une ambiance spéculative et d'une sensation de chagrin que le violoncelle — cet instrument qui chante comme une voix humaine — parvient à faire ressortir. L’ouverture de ce concerto, au violoncelle solo plein de questions et de tension, a trouvé son chemin jusqu’à Wednesday, permettant à de nombreuses personnes de se familiariser avec la pièce.

Le premier enregistrement du concerto s’est fait peu avant 1920 avec Elgar et la violoncelliste Beatrice Harrison (1892-1965). En 1928, ils enregistrent à nouveau le concerto ensemble. Ces enregistrements sonores, effectués par le compositeur lui-même, ont été restaurés il y a quelques années et présentées en 2016 dans un album par le musicien et ingénieur du son Lani Spahr, également devenu membre honoraire de la Elgar Society pour son travail effectué à la mise en valeur et en lumière d’enregistrements anciens d’œuvres d’Elgar, dirigées ou jouées par le compositeur lui-même ou par d’autres. Parmi ces enregistrements privés retrouvés, celui de l’Adagio par Beatrice Harrison accompagnée de la Princesse Victoria (1868-1935) au piano, Edward Elgar étant devenu Master of the King’s Musick en 1924. Il existe aussi des prises de sons alternatives et rejetées pour plusieurs mouvements, certaines fois à cause de soucis dans l’interprétation, mais très souvent à cause de bruits parasites qui ne plaisaient peut-être pas. Voici ici une version du premier mouvement (Adagio) que le compositeur n’avait pas retenu.

 

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Une saison explosive, comme un cri de colère

Les Quatre Saisons d'Antonio Vivaldi (1678-1741) ont été composées durant le début des années 1720 et font partie du premier livre du recueil de douze concertos L'Epreuve de l'Harmonie et de l'Invention. On retrouve dans Wednesday un Hiver foudroyant et explosif, alors qu'elle a été réquisitionnée pour jouer avec un petit orchestre lors de la présentation d'une nouvelle statue d'un pionnier de Jericho, érigée en plein centre ville.

Véritables tubes de la musique classique, ces Quatre Saisons ont droit à leur lot de nouvelles interprétations chaque année ainsi qu'à leurs "recompositions" par Max Richter en 2012. 

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Un violoncelle au service du rock

Si le classique s’invite, à travers le violoncelle de Wednesday ou dans la bande-son, le rock, lui aussi, a définitivement su s’immiscer dans ce nouvel univers d’une Mercredi adolescente. Armée de son violoncelle, elle interprète Paint it Black des Rolling Stones ou une autre fois Nothing Else Matters de Metallica — groupe légendaire dont la musique a également été utilisée récemment dans une autre série à succès —, sur la terrasse de sa chambre partagée avec sa colocataire Enid.

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L’interprétation de Nothing Else Matters est une reprise de 1998 faite par le groupe finlandais de métal Apocalyptica formé en 1993, composé de plusieurs violoncellistes ainsi que d’un batteur. La reprise de ce tube du groupe Metallica apparaît sur le deuxième album, Inquisition Symphony, sorti en 1998.

Les violoncellistes sont tous issus d’une formation classique et se sont rencontrés lors de leurs études à l’Académie Sibelius de l’Université des Arts d’Helsinki. Ils ont initialement créé ce groupe dans le but de faire des reprises de Metallica dans des versions plus "classiques" sans guitare électrique ni basse mais avec le son de leur violoncelle, qui, grâce à leur maîtrise et virtuosité, est brut et versatile.

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De Dua Lipa à La Mamma Morta

Wednesday parvient à continuer son mélange des genres et à créer une atmosphère toute à elle. Si pendant un bal organisé à l'école, tous les personnages semblent s'amuser sur Physical de l'artiste pop Dua Lipa, ce moment de grâce est interrompu par un événement sanguinolant, laissant place aux vocalises de La Mamma Morta, un air de l'opéra en quatre actes Andrea Chénier du compositeur italien Umberto Giordano (1867-1948) dont la première eut lieu en 1896 à La Scala de Milan. Maria Callas a grandement participé à la popularisation de cet air durant le vingtième siècle.

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Une gnossienne de Satie pour l'inspiration

Wednesday écrit en écoutant Satie. Si cette première gnossienne rêveuse et nocturne n’est pas au piano, elle est interprétée à la guitare. Les cordes appelant les cordes, Erik Satie (1866-1925) qui n'était ni un amateur de formes musicales, ni un amateur de conformisme, ne serait certainement pas gêné par une telle démarche. Satie compose entre 1889 et 1897 entre six et sept Gnossiennes, des morceaux d'une avant-garde mystérieuse assumée au nom tout aussi mystérieux, découlant du grec gnose (connaissance). Le compositeur, inspiré par la mythologie grecque, avait déjà créé ses Gymnopédies en référence à des danses rituelles spartiates.

 

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Une actrice violoncelliste ?

L'actrice Jenna Ortega a révélé avoir commencé le violoncelle deux mois avant le tournage de la série en Roumanie. Deux mois de cours intensifs, qui ont aidé l'actrice à interpréter le mieux possible cette Mercredi Addams pleine de fougue et de passion derrière son violoncelle et qui lui ont aussi permis d'avoir un "grand respect" pour les violoncellistes, selon une interview de l'actrice par Wired

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