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#BalanceTonYoutubeur : les journalistes sont-ils soumis à la présomption d’innocence ?

#BalanceTonYoutubeur : les journalistes sont-ils soumis à la présomption d’innocence ? A gauche, le youtubeur Norman, à droite Léo Grasset.

© Getty Images & RTBF

On l’apprenait ce 5 décembre, Norman Thavaud, youtubeur français aux 12 millions d’abonnés, a été placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête préliminaire pour viol et corruption de mineurs, ouverte en janvier 2022. La procédure, confiée à la brigade de protection des mineurs (BPM), concernait "six plaignantes". Depuis, la garde à vue a été levée "pour poursuite d'enquête".

Parmi elles, Maggie Desmarais, fan québécoise, qui, en 2020, accusait Norman de l’avoir manipulée pour obtenir des photos et vidéos à caractère sexuel, alors qu’elle était âgée de 16 ans, selon elle, au moment des faits. Elle avait indiqué avoir porté plainte au Canada avant de témoigner à visage découvert auprès du média Urbania. Les cinq autres supposées victimes accusent le trentenaire de viol. Deux étaient mineures au moment des faits.

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S’il a été relâché le lendemain et n’est pas poursuivi à ce stade, l’animateur de la chaîne "Norman fait des vidéos" n'en est pas moins visé par d'autres accusations. En effet, Norman Thavaud avait déjà été ciblé par des témoignages, à la suite du #BalanceTonYoutubeur, lancé dans la foulée de #MeToo et de #BalanceTonPorc par Squeezie, lui-même youtubeur (17,6 millions d’abonnés).

En 2018, ce dernier dénonçait sur Twitter les youtubeurs "qui profitent de la vulnérabilité psychologique de jeunes abonnées pour obtenir des rapports sexuels". La polémique avait toutefois fini par s’éteindre.

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Depuis l’annonce de sa garde à vue, d’autres témoignages ont été rapportés par le youtubeur "Le Roi des Rats", connu pour ses vidéos de sensibilisation sur des sujets tels que le revenge porn (ou pornodivulgation), l’utilisation malsaine du réseau social TikTok ou encore l’exploitation des animaux.

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La présomption d’innocence au regard de la déontologie journalistique

Outre Norman Thavaud, Léo Grasset, connu sous le pseudonyme "DirtyBiology" sur la même plateforme, a lui aussi été visé par deux enquêtes préliminaires, à la suite d’accusations de viol et de harcèlement sexuel. YouTube a par ailleurs assuré ne pas exclure de potentielles sanctions à l'égard de deux créateurs. Autre personnalité publique concernée : le vidéaste "InThePanda", Victor Bonnefoy de son vrai nom; il est accusé depuis de nombreuses années d’attouchements, de relations sexuelles avec des mineures et de viol.

Présumés innocents des faits qui leur sont reprochés, les trois hommes peuvent-ils dès lors être présentés comme coupables par la presse ? Autrement dit, la présomption d’innocence, selon laquelle "toute personne qui fait l’objet d’une enquête pénale sera toujours présumée innocente aussi longtemps que le juge n’aura pas rendu son jugement", s’applique-t-elle aux journalistes ? 

"Non, il s'agit d'un principe qui ne s’applique qu’aux corps judiciaires et juridiques, donc les journalistes n’y sont pas soumis", répond d’emblée Muriel Hanot, secrétaire générale du Conseil de Déontologie journalistique (CDJ), organe belge d’autorégulation. Une manière d'éviter de museler la liberté de la presse.

Par conséquent, les journalistes, selon le Code de conseil déontologique"possèdent la pleine et entière liberté de présenter des personnes comme responsables de certains faits à l’issue d’une investigation journalistique, pour autant que celle-ci aura été menée dans le respect des règles déontologiques".

Comment traiter ce genre d’informations ?

Tout journaliste peut donc présenter la personne accusée comme coupable dès lors qu'il en apporte les preuves. Toutefois, "il doit être attentif à la manière dont il rend compte des procédures judiciaires, car il est tenu à sa déontologie. Rechercher activement et respecter la vérité, distinguer nettement les faits des opinions ou encore donner un droit de réplique à la personne qui fait l'objet d'une accusation ou à quelqu'un qui la représente", précise Muriel Hanot. Si le journaliste ne parvient pas à les joindre ou n'obtient pas de réponse, il se doit de le mentionner dans son article. 

Dans le cas de Norman, il s'agit d'une personnalité publique qui utilise sa notoriété pour parvenir aux faits qui lui sont reprochés.

Par ailleurs, il incombe aux professionnels de l'information de faire la balance entre les droits individuels des personnes citées et l’intérêt général de l’information. "Dans le cas de Norman, il s'agit d'une personnalité publique qui utilise sa notoriété pour parvenir aux faits qui lui sont reprochés. Il est donc d'intérêt général que les journalistes s'y intéressent", note la représentante du CDJ. D'autant qu'ici, certaines des présumées victimes étaient mineures au moment des faits. Un argument supplémentaire pour Muriel Hanot.

Le choix des mots aussi a toute son importance. "Il y a une sensibilité particulière depuis quelques années sur l’importance de la parole des victimes et sur l’incapacité de la justice à rendre des décisions parce que 'de toute façon, dans 80% des cas, il n’y a pas de suite donnée aux plaintes, il n’y a pas de condamnation, donc la présomption d’innocence est un leurre'", constate François Jongen, avocat spécialiste en droit des médias et professeur à l’UCLouvain.

Pour autant, si ce discours "peut être tenu d’un point de vue politique, il ne tient pas la route d’un point de vue juridique", pour l’enseignant. "La protection de l’honneur et de la réputation, et donc de la présomption d’innocence, reste un principe essentiel", appuie-t-il.

Pour ce dernier, la difficulté réside avant tout dans le secret des sources, lequel "est un droit du point de vue de la législation belge, mais il est aussi considéré comme une obligation du point de vue de la déontologie du journaliste. [...] Donc tout dépend de la nature de la preuve que détient le journaliste et de l’origine de ces preuves (un enregistrement, un document, etc.). Il doit évidemment être attentif à ne pas s’exposer à devoir révéler lui-même une source qu’il est censé protéger", relève François Jongen.

Des possibles sanctions en cas de diffamation

En ne respectant pas les règles déontologiques qui lui incombent, le journaliste risque d’être accusé de diffamation. "Porter atteinte à l’honneur et atteinte à la considération de quelqu’un peut être une faute pénale, considérée comme une calomnie, mais en Belgique, on ne poursuit pas les fautes pénales à l’égard de la presse parce que c’est la compétence de la cour d’assises et qu’on saisit très rarement la cour d’assises pour ça. Mais c’est une faute civile à tout le moins, qui pourrait entraîner des dommages et intérêts", détaille l’avocat.

Par ailleurs, le Conseil de déontologie journalistique peut, de son côté, constater qu’une norme déontologique n’a pas été respectée. Le cas échéant, il remettra un avis, qui devra être publié par le média dans lequel l’information a été divulguée. Si "ce n’est pas tant une mesure de réparation", pour François Jungen, il s’agit "avant tout une sorte de mise au pilori pour le journaliste", pour Muriel Hanot.

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