#BalanceTonBar : retour sur un mouvement qui a secoué 2021

Laura Baiwir de la collective les Sous-Entendu.e.s est aussi à la base de l’UFIA, l’Union Féministe Inclusive Autogérée créée dans la foulée de #BalanceTonBar.

© Christophe Blitz

Alors qu’on s’apprête à lui dire au revoir, jetons un coup d’œil dans le rétro et penchons-nous encore un peu sur l’année 2021. Elle aura été marquée notamment par le mouvement #BalanceTonBar, un véritable tremblement de terre pour le monde de la nuit qui a démarré au cimetière d’Ixelles vers le milieu du mois d’octobre dernier.

Plusieurs plaintes pour viols et agressions sexuelles

Dans ce quartier très prisé par les étudiants qui aiment y faire la fête le soir venu, on apprend que plusieurs jeunes femmes ont porté plainte. Elles affirment avoir été droguées puis violées ou agressées sexuellement dans deux bars du cimetière d’Ixelles. Elles mettent en cause un serveur qui travaillait dans ces établissements qui appartiennent au même propriétaire.

J’étais au bout de ma vie alors que je n’avais bu qu’un verre

À l’époque nous avions recueilli plusieurs témoignages. Une seule jeune femme avait accepté d’être enregistrée. Elle n’avait heureusement pas été violée ou agressée sexuellement, mais elle a certainement été droguée.

"Un jour je vais au El Café avec ma sœur et je commande un verre de Sangria, confiait-elle à une de nos équipes. Je regarde en général toujours mon verre pour que personne ne mette quelque chose dedans parce que j’ai déjà entendu des histoires du style. Tout à coup ce dont je me souviens, c’est que j’étais par terre dans les toilettes du El Café et je n’arrivais plus à me lever. J’étais au bout de ma vie alors que j’avais bu un verre".

Du fait divers au phénomène de société

Suite à cette affaire, un compte Instagram est lancé. Il s’appelle #BalanceTonBar, et très vite, des dizaines de témoignages similaires se succèdent. Ils ne concernent pas que les deux cafés du cimetière d’Ixelles. On est en train de passer du fait divers au phénomène de société.

Des dizaines de témoignages ont été recueillis et publiés par le compte #BalanceTonBar sur Instagram
Des dizaines de témoignages ont été recueillis et publiés par le compte #BalanceTonBar sur Instagram © Tous droits réservés

Laura Baiwir, militante à l’époque pour la collective féministe Les Sous-Entendu.e.s, répercute les premiers témoignages avant même la création du compte Instagram.

"Très vite on s’est rendu compte de l’ampleur, du nombre de repartages et de la sensibilité à vif de beaucoup de femmes et de minorités de genre par rapport à ces témoignages. On a eu un sentiment d’angoisse et de nécessité d’agir vite pour ne pas laisser ça s’effondrer", se souvient-elle.

Exprimer le ras-le-bol dans les rues

Des femmes agressées sexuellement dans des bars ou droguées, c’est visiblement loin d’être rare. De nombreuses femmes se reconnaissent dans les témoignages et des manifestations s’organisent rapidement. Le 14 octobre, 1300 personnes, essentiellement des femmes, défilent dans les rues d’Ixelles.

Manifestation à Ixelles

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Beaucoup témoignent d’un paradoxe : c’est toujours aux filles qu’on demande de faire attention quand elles sortent, et pas aux garçons de bien se tenir. Depuis qu’elles sont petites, elles subissent des injonctions : fais attention, ne rentre pas seule, surveille ton verre… Et ça, comme le dit Laura, ce n’est pas normal.

"Ce n’est pas normal qu’on doive faire attention, parce que ce n’est pas normal qu’on doive se méfier de… 50% de la population si on veut des chiffres ! Depuis qu’on est petites, on nous dit que c’est nous le problème, que c’est nous qui représentons une source de désir et que c’est à nous de nous adapter pour lutter contre ça. Alors qu’en fait le problème doit être pris dans l’autre sens et il est grand temps de questionner les hommes sur pourquoi vous nous violez, pourquoi vous nous agressez et pourquoi vous considérez que nous ne sommes que des objets ?", fait-elle remarquer.

Être une femme aujourd’hui, ce sont des oppressions permanentes

Après la première manifestation à Ixelles, d’autres rassemblements ont été organisés dans les semaines qui ont suivi et des militantes ont même appelé au boycott du monde de la nuit mi-novembre. Le mouvement s’est étendu à Liège, Gand, mais aussi dans plusieurs villes de France et d’Espagne. Il a fait parler de lui jusqu’au Brésil et au Canada.

Le problème est donc systémique. Les militantes comme Laura Baiwir n’étaient d’ailleurs pas surprises quand les premiers témoignages sont sortis, et pour elle, ce n’est que la pointe de l’iceberg.

"Ce qui est le plus interpellant, c’est beaucoup de personnes qui nous font mais on ne s’en doutait pas du tout ! Or si on demande dans notre entourage, on sait que minimum une personne subit des oppressions, des agressions, des violences… En fait, être femme à l’heure d’aujourd’hui ce sont des oppressions permanentes. Là, c’est le milieu de la nuit qui est mis en avant, mais on ne va pas s’amuser à lancer des hashtags en permanence, on va juste se dire qu’on va attaquer de manière systémique ce problème et que toutes les violences faites aux femmes peu importe à quel niveau vont être traitées et résolues", s’engage la militante.

Les militantes féministes ont de nombreuses revendications
Les militantes féministes ont de nombreuses revendications © Christophe Blitz

Améliorer la prise en charge des "survivantes"

Pour faire changer les choses, les militantes féministes ont de nombreuses revendications en matière d’éducation à court et moyen terme, mais aussi dans la prise en charge des victimes, qu’elles préfèrent appeler les survivantes au regard du traumatisme qu’elles ont vécu.

En Belgique aujourd’hui, il existe cinq centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS). À Bruxelles, Liège, Charleroi, Anvers et Gand, ce sont des centres pluridisciplinaires qui accueillent les victimes de viols ou d’agressions sexuelles et qui leur garantissent un soutien médical, psychologique, mais aussi juridique et policier. Le gouvernement fédéral a annoncé que six autres centres de ce type vont être créés. Pour Laura, c’est une bonne nouvelle bien sûr, mais il faut aller plus loin encore !

"Si aujourd’hui les chiffres ont l’air si faible par rapport aux agressions, que ce soit les violences conjugales, les agressions sexuelles ou les violences machistes globalement, c’est parce qu’en fait on ne va pas porter plainte, regrette Laura. Parce qu’on n’ose pas et surtout parce qu’on n’y croit plus".

Il est temps que la peur change de camp

"Quand on voit le nombre de plaintes et les non-lieux qui en ressortent, en fait on n’a pas confiance en la justice. On se dit que notre histoire va être étouffée… Pourquoi souffrir en racontant 10 fois mon histoire pour qu’on me dise au final : ha mais non, sans doute que vous aviez une jupe trop courte ! Il faut rappeler que les violences sexuelles sont un crime et que c’est puni par la loi. Tant que la justice ne fera pas correctement son travail pour appliquer cette loi, les agresseurs continueront en toute impunité puisqu’ils n’ont pas peur… Et il est temps que la peur change de camp !", ajoute-t-elle.

Sensibilisation des bourgmestres

Aujourd’hui, les deux bars incriminés par les premières plaintes à Ixelles sont toujours ouverts, même si les militantes ont tenté de les faire fermer, avec l’appui du bourgmestre d’Ixelles, Christos Doulkeridis.

Il faut dire que l’enquête n’a pas beaucoup avancé. Une information judiciaire a été ouverte, et un suspect aurait été entendu par la police, mais personne n’a encore été inculpé et le parquet de Bruxelles se refuse à tout commentaire.

Les militantes, elles, ne baissent pas les bras, elles se sont d’abord rassemblées au sein de l’Union Féministe Inclusive Autogérée, l’UFIA, parce qu’elles ne veulent pas se laisser diviser. Une association dont Laura fait désormais partie et qui a pris contact avec tous les bourgmestres des communes bruxelloises.

"Tous les bourgmestres n’ont pas encore répondu, loin de là, regrette la jeune femme. Certains ont envoyé des échevines ou échevins de l’égalité des chances, mais il y a encore beaucoup de communes où on n’a toujours pas de réponse. Ceci dit, avec ceux et celles qu’on a pu rencontrer, on est quand même en train d’entamer des modifications et des choses intéressantes qui peuvent être mises en place. Ça va peut-être inspirer les autres", espère Laura.

Message aux hommes

Les militantes veulent aussi que les choses bougent pour la responsabilisation des tenanciers. Pour elles, il est inconcevable que des patrons ne soient pas au courant de ce qui se passe dans leurs bars ou leurs cafés. Elles restent donc vigilantes, et espèrent aussi ne pas mener ces combats seules. Laura lance d’ailleurs un appel aux hommes :

"Il est temps que vous aussi vous soyez fatigués, et que ce ne soit pas juste nous à être en train de crier dans la rue. Quand vous êtes témoin, vous êtes complice. Il est temps que les hommes prennent part au combat, parce que le féminisme existe depuis très longtemps. On a toujours l’impression que c’est un truc par et pour les femmes et les minorités de genre, et pourtant non. Il est temps qu’on ait des alliés actifs. Vous avez des privilèges, il est temps de les déconstruire pour qu’on ait tous et toutes les mêmes privilèges".

Voilà peut-être quelques bonnes résolutions pour entamer l’année 2022.

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