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AWARE, la base de données pour (re)découvrir les femmes artistes et leurs histoires

La peintresse Anna Elizabeth Klumpke, photo issue de la base de données AWARE

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Par Une chronique de Sandra Zidani

Il n’est pas rare, lors d’une interview, que l’on me demande, pourquoi, selon moi, il y a de plus en plus d’humoristes femmes. Et je réponds à cela que les femmes commencent - enfin - à être mieux représentées dans de nombreux domaines. Je reste néanmoins toujours très surprise de constater l’étonnement que procure la présence féminine au sein de notre société.

C’est que les femmes ne sont toujours pas reconnues dans leurs métiers et activités et en particulier dans leur inventivité.

De facto, dans le domaine des arts plastiques les femmes sont sous-représentées et trop souvent absentes des cimaises.

Durant cette année 2021, et ce malgré une situation fort contrariée, les expositions dédiées aux femmes artistes se sont multipliées. A mon tour d’être surprise. Car en dehors des grands noms de femmes artistes célèbres comme Sarah Moon, Cindy Sherman, Louise Bourgeois ou encore Kara Walker, il y avait de nombreuses expositions consacrées à des artistes femmes dont le travail n’avait pratiquement, voire jamais, été montré.


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Parmi elles citons, l’extraordinaire exposition consacrée à Magaret Harrison, au BPS (Musée d’Art de la Province du Hainaut - de février à mai), "Elles font l’abstraction" au Centre Pompidou (de juin à août 2021 et et au Guggenheim Bilbao d'octobre 2021 à janvier 2022 ), "Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat" au Musée du Luxembourg, "The Power of My hands. Afrique(s) : artistes femmes" au MAM  Musée d’Art Moderne de Paris - de mai à août 2021). Si ces expositions ont pu voir le jour, c’est qu’elles sont le résultat d’un travail conséquent, souvent réalisé par des femmes afin de réhabiliter définitivement ces artistes et corriger une histoire de l’art qui réduit le rôle des artistes femmes à une parenthèse.

Une histoire tronquée

Une histoire de l’art tronquée, fausse car remplie de trop de male gaze, de regard masculin. C’est pourquoi je voudrais vous parler de "AWARE".

Je rassure chacun, je ne compte pas disserter sur l’expression favorite de notre compatriote Jean-Claude Van Damme mais plutôt d’une association essentielle fondée en 2014 à Paris, par Camille Morineau, conservatrice du patrimoine, et dont les buts sont la mise en lumière et la réhabilitation des artistes femmes peu ou pas représentées dans l’histoire de l’art, les ouvrages d’art, collections et musées. L’aventure commence en 2009 avec "elles@centrepompidou", un accrochage thématique de mai 2009 à février 2011, essentiellement dédié aux artistes femmes et dont Camille Morineau fut l’initiatrice.

Cet événement créé un précédent et sera déterminant dans l’intérêt croisant que le grand public va porter désormais à l’histoire des femmes artistes.


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Des femmes dans l'ombre

En effet, "elles@centrepompidou" a eu la particularité de souligner qu’il existe bien des artistes femmes et (pas que) des artistes hommes, permettant ainsi de rappeler la minorisation constante des femmes dans le monde de l’art contemporain.

Avant cette exposition de 2009, Camille Morineau avait souhaité tant bien que mal de mettre en place des expositions "féministes" mais ce fut sans succès. Elle s’est alors rendu compte de l’immense zone d’ombre autour des "artistes femmes". La plupart n’avaient pratiquement bénéficié que de peu de publications, voire même aucune et certaines œuvres n’étaient jamais sorties des réserves des musées.

Après le succès de "elle@centrepompidou", Camille Morineau quitte Beaubourg pour créer AWARE, l’achronyme de Archives of Women Artists, Research and Exhibitions. AWARE est visible sur la toile sous forme d’un site.

Sa base de données réunies méthodiquement à partir d’archives, constitue un dispositif remarquable qui permet de lutter contre le processus d’invisibilisation des femmes dans le monde de l’art. AWARE propose aujourd’hui pas moins de 700 artistes femmes des 19ème et 20ème siècles sur un site bilingue, remarquablement documenté et illustré.

C’est un outil exceptionnel et qui sera aussi utile au grand public que aux spécialistes de la question. Universel, il devient un support de communication riches de rencontres, d’échanges avec tous ceux et celles unis par ce même combat.

La dimension pédagogique n’est pas en reste et on trouvera par exemple "Petites histoires de grandes artistes", des animations (entre 3 et 4 minutes chacune) produite par AWARE et s’accompagnant chacune d’un dossier pédagogique. Ces vidéos sont visibles également sur le site de la BNF et dans le cadre de son exposition documentaire "Be Aware. A history of women artists" du 14 juillet au 19 septembre 2021.

Réhabilitation

Depuis 2017, AWARE propose également deux prix : l’un pour une artiste émergeante et un prix d’honneur pour une artiste reconnue. L’école des Beaux-Arts en France est devenue mixte en 1897 mais les femmes n’étaient pas autorisées aux ateliers et aux concours et elles devaient payer les cours alors qu’ils étaient gratuits pour les hommes. Aujourd’hui, évidement ces inégalités ont disparues, et +/ 60 % des diplômés des écoles d’art sont des femmes, mais peu d’entre elles accèdent aux prestigieux prix du monde de l’art. C’est dans cette perspective que les prix AWARE ont été mis en place.

Si l'on fait bouger les lignes dans les musées, on les fait bouger dans les mentalités aussi  

Fabienne Dumont, historienne de l’art

Le travail de réhabilitation, de reconnaissance du travail de l’artiste femme, est un long chemin qui ne fait que commencer. Si ces expositions sont très encourageantes, le labeur est encore long, car en arts plastiques, la présence des femmes ne représente qu’un très faible pourcentage et sur le marché de l’art les inégalités persistent elles aussi. Le rôle des médias est en ce sens déterminant pour établir une parité. Car une artiste dont l’œuvre n’a pas été montrée ou publiée va tomber dans l’oubli.


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Une étude publiée en mars 2019 dans PLOS ONE (revue en ligne) montre que les hommes représentent 87% des artistes dans les grands musées des Etats-Unis. Le Louvre ne compte qu’une trentaine de peinture de femmes artistes dans les collections. Parmi les 500 artistes les mieux côtés au monde, on trouve seulement 19 créatrices. Le 16 juin 2016  Christie’s France organise à Paris une première vente aux enchères entièrement dédiée aux femmes artistes et créé ainsi un événement historique dans le monde de l’art. Dans cette perspective, aucune exposition, action, écrit, publication ne seront inutiles.

Chaque action sollicite notre conscience car si nous voulons un monde plus juste et équilibré, le combat est quotidien et vital.

Je terminerai par les mots de Louise Bourgeois :

L’expression du soi est sacrée et fatale. C’est une nécessité

Sandra Zidani est humoriste et historienne de l’art.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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