Avorter chez soi, une possibilité depuis le confinement

Woman Hand Taking Pill With Glass Of Water, Healthcare And Medical Concept

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Par Daphné Van Ossel

Le premier confinement avait mis la Belgique à l’arrêt. Les centres qui pratiquent l’avortement ont alors cherché des solutions pour qu’il reste accessible. Les patientes étaient restreintes dans leurs déplacements, et certains centres voulaient éviter d’avoir trop de personnes en même temps dans leurs locaux.

Ils ont alors commencé à proposer aux femmes de pratiquer l’IVG médicamenteuse à domicile, une pratique déjà courante en France ou aux Pays-Bas. “C’est une option qui était déjà en discussion avant la pandémie, se souvient Cécile Olin, directrice du centre Louise Michel, à Liège. Ça a été l’occasion de la concrétiser.” Cela n’allait pourtant pas de soi, certains médecins étaient réticents. “Pour une IVG médicamenteuse, la patiente reste normalement chez nous pendant une demi-journée, donc on se disait que ce n’était pas l’idéal”, poursuit Cécile Olin.

C’est une option qui était déjà en discussion avant la pandémie, ça a permis de la concrétiser

Il existe deux méthodes pour procéder à l’interruption d’une grossesse. La méthode chirurgicale, par aspiration, qui nécessite une anesthésie locale ou générale et se pratique toujours en centre, par un médecin. Et la méthode médicamenteuse. Celle-ci se passe en deux temps : la prise d’un premier comprimé qui stoppe l’évolution de la grossesse, et, environ 48 heures plus tard, la prise de comprimés qui entraînent l’expulsion.

Un accompagnement par téléphone

C’est ce deuxième temps de l’IVG médicamenteuse qui se passe normalement en centre, avec un accompagnement (par un médecin et une accueillante). “L’accompagnement est important, défend le docteur Nathalie Carlier, coordinatrice de l’activité médicale du centre Louise Michel. On pense souvent qu’il suffit de prendre un médicament et puis que c’est fini, mais il peut y avoir des douleurs, des crampes, des saignements. Les complications sont rares mais c’est important d’être là pour rassurer les patientes.


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Pour que cette deuxième étape puisse se faire à domicile, les centres ont donc mis en place un accompagnement par téléphone. “On définit ensemble le moment de la prise des comprimés, et nous appelons systématiquement, explique Dominique Roynet, médecin généraliste qui pratique au planning familial de Rochefort. La patiente peut appeler elle aussi.

A certaines conditions

Le centre de Rochefort proposait, lui, déjà cette possibilité avant la pandémie. “Il y avait une demande de certaines femmes, donc on avait déjà commencé à expérimenter.” Avec des conditions : la patiente doit déjà avoir une expérience obstétricale ou de fausse couche, elle ne doit pas habiter trop loin du centre pour pouvoir s’y rendre en cas de besoin, elle ne doit pas être seule pour pouvoir se faire conduire si besoin.

Pas plus de danger

Selon le docteur Isabelle Bomboir, qui pratique à Watermael-Boitsfort, Ixelles et au City Planning de l’Hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, l’IVG à domicile n’est pas plus dangereuse, elle n’entraîne pas plus de complications et n’est pas moins efficace. “On a fait la comparaison, au City Planning, entre 2019 – quand il n’y avait pas encore d’IVG à domicile — et 2020, précise-t-elle, et il n’y a pas eu de changement. Une étude réalisée en Angleterre et au Pays de Galle sur 29.000 patientes arrive aux mêmes conclusions. Or, là tout se fait par téléconsultation : contrairement à chez nous, même le tout premier rendez-vous de prise de contact se fait par téléphone.”

Désormais, la plupart des centres continuent à offrir la possibilité d’avorter à domicile.” Beaucoup de femmes sont très positives, estime la directrice du centre Louise Michel, mais ça ne convient pas à toutes, certaines n’ont pas les conditions idéales chez elles, c’est difficile à faire quand les enfants sont là, par exemple.”

Ça a complètement changé nos habitudes

"Ça a complètement changé nos habitudes, déclare de son côté Yannick, gynécologue, chef de clinique et responsable du City planning de Saint-Pierre, ça nous a permis de passer le pas. Pour moi, c’est une grande avancée parce que, pour beaucoup de femmes, c’est un vrai confort. Mais il n’y a pas d’option meilleure qu’une autre, l’important c’est que les patientes aient le choix, et là elles en ont un de plus.

La part d’IVG médicamenteuse ne cesse d’augmenter

Dominique Roynet est aussi positive quant au fait de rendre possible l’IVG à domicile, mais elle tient à nuancer. La part d’IVG médicamenteuse, qu’elle soit pratiquée en centre ou à domicile, ne cesse d’augmenter. Pour les centres du GACEHPA (Groupe d’Action des Centres Extra hospitaliers Pratiquant l’Avortement), elle est passée de 30 pourcents en 2015 à 40 pourcents en 2020. (On observe la même tendance à la hausse dans les chiffres nationaux, mais dans une moindre mesure).

Or, Dominique Roynet n’est pas spécialement favorable à cette méthode : “En réalité, c’est une fausse couche, ce n’est pas simple à vivre. En dehors des saignements et des douleurs, il y a aussi le contact visuel avec la poche ou parfois le tout petit fœtus, ça a un impact psychologique. Par ailleurs, certaines femmes expriment un sentiment de culpabilité parce qu’elles se sont avortées elles-mêmes.

Certaines femmes expriment un sentiment de culpabilité parce qu’elles se sont avortées elles-mêmes

Pour la généraliste, l’IVG médicamenteuse est notamment proposée par des médecins qui ne savent pas faire d’IVG chirurgicale : “On manque de médecins praticiens, et donc on fait la promotion de l’IVG médicamenteuse, mais en réalité ce n’est pas un vrai choix.”

Les femmes viennent consulter plus tôt dans leur grossesse

L’augmentation du nombre d’IVG médicamenteuse s’explique aussi par le fait que les femmes viennent consulter de plus en plus tôt dans leur grossesse. Elle n’est pratiquée que jusqu’à environ 9 semaines d’absence de règles. Si les femmes viennent plus tôt, elles ont donc plus de chances d’avoir accès à cette méthode.

Il n’existe pas encore de chiffres globaux officiels, mais tous les centres que nous avons contactés observent cette tendance. Dominique Roynet pratique des avortements depuis 40 ans, et elle assure qu’elle n’a jamais vu une telle évolution des pratiques en si peu de temps. Pour elle, cela a été progressif, cela fait quelques déjà quelques années. Pour les autres, c’est surtout propre à l’année 2020.

Des femmes plus informées ? Plus centrées sur leur corps ?

Chacun cherche des explications : au Centre Louise Michel, comme à Rochefort, on fait le lien avec l’attention médiatique portée à la question de l’avortement ces dernières années. La loi a changé en 2018, et on a aussi beaucoup parlé du projet (qui n’a finalement pas abouti) de la modifier à nouveau. “Les femmes sont probablement plus informées, plus conscientes de leur droit”, suppose Cécile Olin.

Autre hypothèse avancée : la période de confinement aurait permis une sorte de retour sur soi, les femmes auraient été plus attentives à leur propre corps.

Au CHU Saint-Pierre, on a une explication plus concrète, mais qui ne correspond pas à la réalité des autres centres : en période de confinement, le centre ne fait plus que ça, les autres activités sont suspendues, et du coup le temps d’attente avant d’avoir un rendez-vous est moins long.

La pandémie aura eu un impact sur la pratique de l’avortement

Il faudra probablement attendre d’avoir plus de recul pour y voir plus clair. Quelles que soient les explications sur ce point précis, la pandémie aura eu un impact sur la pratique de l’avortement. Elle aura permis l’accès à l’IVG à domicile, elle a peut-être permis aux femmes de consulter plus tôt, et, dans certains cas, elle leur aura aussi permis d’avorter plus vite après le premier rendez-vous.

Avorter le jour même

C’est le cas au centre de planning de Rochefort, où les femmes ont pu avorter le jour même. “Celles qui n’avaient pas besoin de réfléchir plus longtemps passaient des examens le matin et pouvaient avorter l’après-midi même, détaille Dominique Roynet. On voulait éviter aux femmes de trop se déplacer puisqu’il fallait une autorisation pour bouger en voiture et que, chez nous, les patientes viennent souvent de loin.”

La loi impose normalement un délai de 6 jours, sauf s’il existe une raison médicale urgente pour la femme d’avancer l’interruption volontaire de grossesse. “On a estimé que nos patientes étaient dans l’urgence”, défend la généraliste. “Et maintenant, on continue à offrir cette possibilité, on a décidé que c’était une avancée et qu’on ne ferait pas marche arrière car c’est un plus pour certaines femmes.

Les pratiques ont donc changé, définitivement. “C’est la genèse du progrès dans le marasme”, conclut Dominique Roynet.

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