Monde

Avortement en Pologne : la mort d’une nouvelle femme enceinte relance le débat

Une femme tient une bougie lors de manifestation en soutien à Izabela, à Varsovie, en novembre dernier

© AFP et Belga

Par Lisa Rouby

La nouvelle loi sur l’avortement en Pologne, entrée en vigueur il y a tout juste un an, vient probablement de faire une autre victime. Interdisant toute interruption volontaire de grossesse sauf en cas de viol, d’inceste, ou de mise en danger de la mère, elle compte parmi les plus restrictives en Europe. Ainsi, même en cas de malformation grave du fœtus, l’avortement reste impossible.

 

L’Etat a du "sang sur les mains"

Le 21 décembre dernier, une femme nommée Agnieszka. T se rend à l’hôpital dans la ville de Częstochowa, au sud du pays. Enceinte de jumeaux, cette mère de trois enfants est au premier trimestre de sa grossesse, et se plaint de fortes douleurs abdominales. Elle est toutefois "en bonne forme physique", selon sa famille.

Un premier fœtus meurt deux jours après mais les docteurs refusent de lui retirer, citant notamment la nouvelle loi adoptée par le gouvernement. A partir de là, "son état s’est rapidement détérioré", et le cœur du second fœtus arrête finalement de battre une semaine après. Pourtant, ce n’est que deux jours plus tard, le 31 décembre, que les médecins procèdent enfin à un avortement.

Le 25 janvier, et après avoir survécu à un arrêt cardiaque, Agnieszka meurt à l’hôpital, probablement d’un choc septique lié à sa grossesse d’après sa famille. Dans un communiqué, l’hôpital dit cependant n’avoir pas identifié les causes de sa mort, et précise qu’elle était positive au coronavirus à sa mort, bien qu’elle ait été testée deux fois négative lors de son admission.

Dévastée, la famille d’Agnieszka estime dans un post Facebook que sa mort est la faute du "gouvernement actuel, qui a du sang sur les mains". Elle précise également qu’une fois l’avortement effectué, l’équipe médicale de l’hôpital a convoqué un prêtre afin de réaliser un service pour les deux fœtus.

Un cas loin d’être isolé

Si les autorités ont annoncé avoir ouvert une enquête pour déterminer les causes de sa mort, le cas d’Agnieszka est loin d’être isolé.

En septembre dernier, Izabela (prénom d’emprunt) décède après le refus des médecins de pratiquer une IVG sur elle, malgré des scans démontrant de multiples anomalies et déficiences chez son fœtus, notamment l’absence de liquide amniotique. Au lieu d’intervenir, ils préfèrent attendre que le fœtus meure avant de le retirer par césarienne. Elle meurt finalement d’un choc septique. Une fois révélée, l’affaire provoque une vague d’indignation ainsi que de nombreuses manifestations à travers le pays.

Interrogé, l’hôpital où Izabela a été traitée a tenu à souligner que "toutes les décisions médicales ont été prises en prenant en compte les dispositions légales et standards de conduite effective en Pologne".


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Par peur de poursuites, les médecins n’osent désormais plus pratiquer d’avortements, y compris dans les cas où la vie de la mère est en danger. Comme l’explique Ursula Grycuk, de la Fédération des Femmes et du Planning Familial en Pologne (Federa), "Le cas d’Izabela montre clairement que la décision du tribunal Constitutionnel (la nouvelle loi) a eu un effet paralysant chez les médecins". Ainsi, "même un enjeu qui ne devrait pas être remis en question -la vie ou la mort d’une mère- n’est pas toujours reconnu par les docteurs parce qu’ils ont peur".

Manifestation après la mort d’Izabela (sur la photo), le 6 novembre 2021, à Varsovie.
Manifestation après la mort d’Izabela (sur la photo), le 6 novembre 2021, à Varsovie. © AFP et Belga

Les Polonais révoltés

Les femmes ont peur de tomber enceintes"

Désormais, "les femmes ont peur de tomber enceintes", traumatisées par les histoires d’Izabela et d’Agnieszka, explique Ursula Grycuk.

Weronika (prénom d’emprunt), est abattue par la situation et craint pour son futur. "En tant que femme en Pologne, je m’inquiète. Pas seulement d’être rejetée par les hôpitaux si jamais j’ai besoin d’avorter, mais surtout que ma voix ne soit pas entendue par la société". Attristée par la mort d’Agnieszka, elle espère voir les manifestations repartir de plus belle : "je me sens fière de mes amis, filles et garçons, qui choisissent de manifester contre les nouvelles restrictions, mais qui ont également partagé l’info sur Internet. Notre génération aurait dû le faire (manifester) depuis longtemps, puisque les femmes méritent d’avoir la liberté de choisir".

Comme de nombreuses femmes, elle estime que cette loi est "principalement faite pour faire taire les femmes, les priver de leur liberté d’expression, de choix, et même de vie en général". "J’ai l’impression que nous vivons au Moyen-Age, je veux dire… Nous sommes en 2022".

Maciej (prénom d’emprunt), jeune étudiant à Poznan à l’ouest de la Pologne, fait également part de son mécontentement. "Certains sont persuadés qu’un enfant est un cadeau de dieu, mais lorsqu’il est très malade… Alors ils comprennent qu’on puisse choisir d’avorter".

Manifestation en solidarité avec les femmes polonaises à Bruxelles, en novembre 2020.
Manifestation en solidarité avec les femmes polonaises à Bruxelles, en novembre 2020. © Belga

Ces craintes, elles sont partagées par de nombreux couples souhaitant construire une famille. En juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a révélé avoir reçu plus de 1000 plaintes de Polonais au sujet de la loi, et a exigé que Varsovie soumette des réponses à douze d’entre eux.

Parmi eux, une femme âgée de 27 ans exprime son appréhension à propos du traitement médical qu’elle pourrait recevoir en cas de complications. Son partenaire souffre en effet d’une maladie liée aux chromosomes, plaçant ainsi ses chances de grossesse à l’issue positive en dessous de 50%. La CJUE précise que la jeune femme est "inquiète que cette situation puisse affecter sa grossesse de manière négative". "Elle est tellement inquiète qu’elle a choisi de mettre de côté ses plans de fonder une famille".

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