L’opéra de Claude Debussy, sur un livret "malmené" de Maeterlinck a pratiquement éclipsé le texte original, plus nuancé, plus suspendu, plein de failles mystérieuses. Magnifié par une musique d’une beauté nouvelle et unique, bénéficiant d’une aura universelle, porté par des mises en scène souvent exceptionnelles (comme celle de Katy Mitchell à Aix en 2016) l’opéra a pratiquement mis à l’arrière-plan la pièce de théâtre.
Comme tout auteur de livret soumis à la férule du compositeur, Maeterlinck avait laissé éclater publiquement sa colère dans Le Figaro en 1902 : "On parvint à m'exclure de mon œuvre, et dès lors elle fut traitée en pays conquis. On y pratiqua d'arbitraires et absurdes coupures qui la rendent incompréhensible ; on y maintint ce que j'avais l'intention de supprimer ou d'améliorer… En un mot, le Pelléas en question est une pièce qui m'est devenue étrangère, presque ennemie ; et, dépouillé de tout contrôle de mon œuvre, j'en suis réduit à souhaiter que sa chute soit prompte et retentissante".
Le souhait rageur de Maeterlinck ne s’accomplit heureusement jamais mais on craignait un peu en abordant la version théâtrale de Julie Duclos de rester sur notre faim. Au contraire, le respect du texte original (non sans coupures !) assez intemporel, hormis quelques références moyenâgeuses faciles à diluer, est la force première de cette version qui va à l’essentiel. A partir d’un trio amoureux classique (compliqué par la jalousie entre deux demi-frères), c’est un drame antique qui est à l’œuvre où tous sont pris dans le filet tragique de l’amour, du destin et de la fatalité.