Les débuts du III è Reich scannés à travers la décadence d’une riche famille industrielle allemande, partiellement inspirée par la famille Krupp, c’était le thème des " Damnés ", film culte de Visconti, à la fin des années 60. Cinquante ans plus tard, le metteur en scène flamand Ivo Van Hove reprend le scénario du film mais pas son esthétique.
Van Hove est un sculpteur d’espaces théâtraux capables d’accueillir des histoires fortes. Peu importe l’origine : théâtre ou cinéma, textes anciens ou contemporains. Seule importe l’intensité : Shakespeare, Arthur Miller, Bergman ou Visconti, du moment que ces textes continuent à nous interpeller, à nous hurler des vérités dérangeantes dans un langage visuel et sonore percutant.
Soit "Les damnés" de Visconti ou la chute de la dynastie industrielle des von Essenbeck. Les débuts de l’ascension hitlérienne sont toujours utiles à se remettre en mémoire. Quelques brèves minutes d’images d’archives, projetées sur un immense écran, viennent donc rappeler, à des moments clés du drame familial, le contexte de l’ascension d’Hitler, parvenu au pouvoir par les urnes. De l’incendie du Reichstag, le Parlement élu, en 1933 à la " Nuit des Longs Couteaux " en 1934 -où il élimine une partie de ses forces spéciales, les SA, en passant par le premier camp de concentration, à Dachau et l’autodafé symbolique des livres " décadents ", négation de la culture : ces moments "historiques" sont devenus des symboles négatifs universels.
Dans ce contexte le vrai noyau dramatique, d’une intensité flamboyante, est le portrait, implacable, d’une grande famille en pleine dislocation interne. Le père, Joachim von Essenbeck , encore fort proche des valeurs allemandes traditionnelles, méprise Hitler et ses sbires. Il sera exécuté le jour de l’incendie du Reichstag. On assistera à sa mise en bière dans le premier des 6 cercueils immenses, alignés côté…cour, où une caméra viendra nous plonger dans son agonie. Le même sort et le même rituel funèbre seront réservés à d’autres membres de la famille, une petite fille juive, Lisa, un couple de juifs, Elisabeth et Herbert. Exécuté aussi, Konstantin, l’héritier le plus " hitlérien ", membre des S.A .Exécutés enfin au moment de leur mariage, Sophie et Friedrich, fort proches des nazis, dont les cendres seront dispersées par le dernier survivant, Martin. Un tourmenté, à la tête creuse qui agit pour se venger de sa mère, plus que par adhésion profonde à la doctrine nazie. Un témoin extérieur, Von Aschenbach, vrai nazi, froid calculateur, manipule ces marionnettes familiales et les utilise tour à tour pour donner aux nazis le pouvoir économique et militaire.