Le mug

Avec 'Psychopompe', Amélie Nothomb nous montre que la frontière avec la mort n’est pas infranchissable

Le Mug d’ouverture

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Par RTBF La Première via

"Ecrire, c’est voler", écrit Amélie Nothomb dans son nouveau roman Psychopompe, paru aux éditions Albin Michel. Un livre qui raconte son enfance et sa passion dévorante pour les oiseaux, nous amenant à nous interroger sur le métier d’écriture et le rapport que nous entretenons avec nos morts. Elle nous en parlait dans Le Mug.

Petite, Amélie Nothomb annonce un jour à ses parents : "J’ai découvert les oiseaux".

"Cela signifie que je comprends leur importance et que je comprends qu’ils vont être le centre de ma vie, sans que je comprenne pourquoi, explique-t-elle. Il m’a fallu beaucoup, beaucoup de temps pour comprendre pourquoi l’oiseau serait la clé de ma vie."

L’oiseau qui sauve ses plumes

Le roman démarre avec un conte japonais très connu, La grue blanche, "l’histoire atroce d’une très belle grue qui se sacrifie pour un plouc, sauf qu’à la dernière seconde, elle sauve ses plumes."

"La cruauté de ce conte provoquait en moi une épouvante voluptueuse."

Amélie Nothomb se réjouit que l’on commence enfin à remarquer que les oiseaux ne sont pas qu’une mignonne petite espèce. "Non, c’est une espèce brillante, organisée, inquiétante. Je comprends mieux le film de Hitchcock, 'Les oiseaux', que les gens qui font des petites porcelaines avec des petits oiseaux mignons. Que les oiseaux soient une illustration du mignon, pour moi, c’est un non-sens. Les oiseaux, c’est une illustration du génie. Moi, ce qui me frappe le plus au sujet des oiseaux, c’est leur intelligence".

"Je me suis rattrapée de la mort"

Dans ce roman, Amélie Nothomb évoque très pudiquement le viol qu’elle a subi, à 12 ans, au Bangladesh. Elle a développé ensuite différents types de traumatisme, dont l’anorexie ; elle écrit à ce sujet qu’elle a eu envie "de rejoindre la morte en moi".

C’est là qu’apparaît le terme de psychopompe, le guide des âmes, qui fait la transition entre la vie et la mort.

Dans la mythologie gréco-latine, "le psychopompe est celui qui peut accompagner les âmes des morts et traverser le fleuve des enfers dans les deux sens. Donc, c’est celui qui prouve que la frontière avec la mort n’est pas infranchissable. Cela m’a fascinée très tôt."

Petite, tout cela s’est passé dans son inconscient, explique-t-elle. "À l’époque, cet épisode a été frappé d’irréalité par l’absence totale de langage qui a été appliqué dessus. Vous comprenez bien que je n’en veux à personne, c’est comme ça que ça se passait à l’époque. Mais je remercie quand même profondément ma mère d’avoir prononcé ces deux mots ("pauvre petite"), qui m’ont garanti que je n’étais pas toute seule dans mon délire".

Par la suite, elle a réinterprété toute cette aventure de l’anorexie comme une expérience psychopompe.

Je me suis mise à mort et je me suis rattrapée de la mort au tout dernier instant. Tout ceci avait à voir avec l’oiseau.

Ne pas mourir, voler

Ne pas mourir et voler sont deux thèmes qu’Amélie Nothomb croit profondément reliés.

"Il y a une obsession mythologique planétaire pour relier l’oiseau au psychopompe, à celui qui peut aller chez les morts et qui peut en revenir. Les Mayas, les Aztèques ont vu dans les oiseaux des psychopompes. Le Saint-Esprit, chez nous, qui a un peu ce rôle-là dans la religion catholique, est représenté par une colombe."

Il y a quelque chose chez l’oiseau qui nous suggère, qu’à condition de s’en donner les moyens, il n’existe pas de frontière infranchissable, même pas la plus terrible, à savoir la mort.

Ecrire, c’est voler, écrit-elle. Il a fallu qu’elle écrive pendant des années pour tout à coup avoir cette impression. C’est ce que Cocteau appelle 'la ligne de l’écrivain'.

"C’est vrai qu’écrire, c’est s’aventurer sur la corde raide. Quand on écrit, on sent tout le temps le danger de tomber. Et comment est-ce qu’on ne tombe pas ? C’est grâce au style. Le style, c’est la façon que chaque écrivain a de voler".

Parler avec les morts

Nos morts continuent à exister en nous et une forme de dialogue s’installe avec eux, affirme Amélie Nothomb. Elle invite tous ceux qui ont perdu un être cher à tendre l’oreille en eux. On peut vivre des expériences absolument étonnantes avec certains morts qui ont des choses à nous dire, dit-elle.

"Le plus fou, c’est quand j’ai perdu mon père, au printemps 2020. Presque aussitôt, il a commencé à me parler. Il me parlait tout le temps. C’était d’autant plus étonnant que c’était un homme qui, de son vivant, me parlait extrêmement peu. C’est comme s’il avait attendu d’être passé de l’autre côté pour me parler. C’est extraordinaire. Ça me confirme dans l’idée que la mort n’est absolument pas une frontière infranchissable".

Une trilogie

Amélie Nothomb s’est aperçue, assez tard, qu’elle écrivait en réalité une trilogie.

"C’est parti sur une boutade. Mes lecteurs m’ont fait observer qu’avec 'Soif', j’avais écrit le fils, et qu’avec 'Premier Sang', j’avais écrit le père. Qu’est-ce que vous attendez pour écrire le Saint-Esprit ? C’est là que je me suis rendu compte que c’était le troisième côté du triangle et que c’était absolument essentiel."

Le psychopompe, c’est peut-être un peu prétentieux à dire, mais en fait c’est moi, dans cette histoire. […] Je ne suis ni le père, ni le fils, je suis le psychopompe, c’est-à-dire celui qui fait la communication entre les deux.

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