Fenêtre sur doc

« Au temps où les Arabes dansaient » : un documentaire aussi magnifique que nécessaire

Au temps où les Arabes dansaient

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Par Anne Schiffmann via

Le réalisateur belgo-marocain Jawad Rhalib met ici en lumière toute la richesse de la culture arabe parfois oubliées en Occident comme au Moyen-Orient. Il part à la rencontre d’artistes rebelles qui oeuvrent à contre-courant de l’islamisme. Un film dédié à l’Art, symbole de liberté et de lutte contre l’intégrisme; un documentaire qui résonne toujours avec l’actualité. 

Un documentaire à voir dans Fenêtre sur doc le samedi 14 janvier à 23h15 sur La Trois et à revoir  sur Auvio

Extrait du documentaire "Au temps où les Arabes dansaient"
Extrait du documentaire "Au temps où les Arabes dansaient" © R&R Productions

Le film s’ouvre sur des archives familiales et le témoignage des parents du réalisateur qui lui racontent leur Maroc d’antan. C’était au temps où sa mère dansait et chantait librement ; au temps où son père pouvait sortir en rue au bras de sa femme maquillée et habillée comme elle le voulait. " Aujourd’hui, ils veulent t’interdire ce que tu es " déclare son père.

En visitant d’étonnantes archives, témoins d’une époque insouciante, ce film nous montre à quel point l’art, la danse et la musique, mais aussi la littérature et la science ont toujours fait partie de l’identité arabe. En partant à la rencontre d’une génération d’artistes rebelles, il nous montre aussi comment le monde arabo-musulman, jadis insouciant, a été transformé par la montée d’un intégrisme qui n’aime ni l’art ni les artistes.

Avec ce film, aussi magnifique que nécessaire, Jawad Rhalib interroge ce qu’il appelle le fascisme islamiste. En donnant la parole aux artistes, il entend défendre la liberté de pensée et de créer. Une manière pour lui de refuser de se taire.

Une production R&R Productions en coproduction avec la RTBF / Zonderling / Canvas / Wallonie Image Production et Free Son Production

Rencontre avec le réalisateur Jawal Rhalib

Le réalisateur Jawad Rhalib
Le réalisateur Jawad Rhalib © Tous droits réservés

Le film commence avec le témoignage de vos parents. C’est eux qui vous ont transmis l’amour de l’art et aussi de la liberté ?

C’est surtout ma mère qui m’a transmis ce besoin vital de liberté, elle refusait de se soumettre aux diktats des hommes et de la société. Elle dansait, elle aimait son corps…elle a fait fi des contraintes sociales et religieuses de la société, du qu'en-dira-t-on pour mener sa vie comme elle l'entendait. Mon père, lui, m’a inculqué l’acceptation de la différence, l’ouverture et la tolérance. Grâce à l’Egypte, j’ai découvert Taha Hussein précurseur génial de la liberté et de la laïcité, le libre penseur Naguib Mahfouz, Youssef Chahine fervent défenseur de la liberté d’expression et qui va me donner l’envie de faire du cinéma.

Vous avez dit " je vais mettre les mains dans le cambouis et prendre part au combat que mènent les partisans de la raison contre l’islamisme ". Faire ce film était pour vous un engagement ? Une urgence ?

Oui, parce que l’enjeu est de taille, il y va de notre survie. On arrive aujourd’hui à cet honteux renoncement total à la tradition de liberté d’expression qui était, je dis bien " qui était " la base de nos civilisations. Le grand prétexte de ce renoncement est la lutte contre " l’islamophobie ". Mais au fond, nos gouvernants ont tellement peur de faire des vagues, de se faire traiter de racistes, d’islamophobes qu’ils préfèrent renoncer à nos valeurs de liberté, ils se soumettent aux fascistes islamistes au lieu de prendre part au combat. Il faut dire aussi que beaucoup de politiques ferment les yeux sur ce chaos en échange de la mobilisation des électeurs musulmans. Je peux vous dire que parfois je me sens seul dans ce combat.

Les témoignages de vos parents et de tous les artistes que vous rencontrez, sont des paroles que l’on a peu l’habitude d’entendre. Comment expliquez-vous cela ?

Des musulmans modérés ou laïcs existent et ils sont nombreux, mais, ils ne savent pas quelle attitude adopter face à ce fascisme islamique. Dès qu’une voix se lève pour dénoncer les forces obscurantistes, elle est très vite tuée dans l'œuf sous le regard indifférent voire complice de nos politiques, de certains journalistes et d’associations dites de défense des droits de l’homme. Ils laissent ainsi le terrain libre à une minorité intégriste, qui au nom d’un Dieu qui n’a rien demandé, tue, menace, lapide, harcèle, intimide, viole, violente…des artistes, des journalistes, des écrivains…qui " osent " défendre notre liberté d’exister.  

" L’Art en général, le cinéma, la littérature :  c’est plus percutant qu’un missile ou que la police qui ne font que nourrir la haine de l’autre. "

Vous avez écrit " la barbarie ne va pas disparaître avec mon film, mais j’ambitionne de participer à son anéantissement ". Le cinéma et l’art en général, sont pour vous le début de la solution ?

Oui, face à cet extrémisme qui frappe nos penseurs, nos savants, nos artistes, ici comme à l’autre bout du monde, comment faut-il réagir ? Répliquer plus fort que l’autre ? Ce sera l’escalade. S’entendre avec les fondamentalistes ? Ce sera la fin de nos libertés. Rester indifférent ? C’est se soumettre et donc perdre. Si on ne peut avoir recours aux armes, à l’entente ou au silence, que reste-t-il ? Quel est ce moyen dont dispose la majorité silencieuse et pacifique pour lutter contre la minorité hurlante et belliqueuse ? Je pense qu’il nous faudrait revenir à un discours de savoir, d’éducation et de culture à travers l’Art en général, le cinéma, la littérature... C’est plus percutant qu’un missile ou que la police qui ne font que nourrir la haine de l’autre.

" Mon film est là pour rappeler que plus on laissera ce " virus islamiste " se propager, plus il sera difficile pour nous de vivre ensemble, plus la peur sera notre quotidien "

Votre film date de 2018 et résonne toujours aussi fort dans l’actualité. Comment le voyez-vous aujourd’hui à la lumière des derniers évènements ?

Depuis des années, je tire le signal d’alarme à travers mon cinéma et mes publications, mais j’ai l’impression que ma voix se dilue dans le temps et dans l’espace. Avec ce film, je suis allé à la rencontre d’énormément d’élèves et de profs qui assistaient à des projections. Cela donnait lieu souvent à des débats houleux et des réactions fortement radicalisées quant à la musique, à la danse et à l’art en général… Je me souviens avoir invité à plusieurs reprises des journalistes pour assister aux séances. Je leur ai donné accès à voir et à faire voir comment et pourquoi des jeunes sont conditionnés, radicalisés. Je n’ai jamais eu de retour, aucune réaction. Mais à chaque fois qu’un terroriste s’attaque à notre liberté d’expression, c’est toujours la même mécanique qui s’installe, nous nous indignons, nous rendons des hommages aux victimes et nous promettons des réponses à la mesure de l’acte, mais cela finit toujours par se diluer. Mon film est là pour rappeler que plus on laissera ce " virus islamiste " se propager, plus il sera difficile pour nous de vivre ensemble, plus la peur sera notre quotidien.

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