Le calcul politique de Poutine
Politologue au Crisp et chargé de cours invité à l’UC Louvain, Benjamin Biard précise quant à lui que Vladimir Poutine y trouvait lui aussi un certain intérêt. "Cela lui permettait, si pas de fragiliser l’Union européenne, tout au moins de la déstabiliser, toujours dans une perspective géopolitique, et notamment dans sa relation avec les Etats-Unis."
"Il souhaite aussi, même si c’est évidemment plus compliqué depuis quelques semaines, entretenir et privilégier de nouvelles relations entre la Russie et l’Europe au sens large et singulièrement l’Union européenne", ajoute-t-il. "Et là où on voit que la majeure partie des formations traditionnelles exprime une certaine réticence à cet égard, il trouve aussi, au-delà du fait que c’est pour lui une opportunité de déstabiliser l’Union européenne, des acteurs et des partenaires potentiels à travers ces formations d’extrême droite, et pas seulement d’extrême droite d’ailleurs, avec lesquelles il y a ce partage d’un fond idéologique."
Poutine, le modèle
Selon Jean-Yves Camus, la Russie symbolise aux yeux des formations d’extrême droite et de droite radicale un contre-pouvoir à ce qu’ils considèrent comme l’omnipotence des Etats-Unis.
"Il ne faut pas oublier que les droites radicales européennes sont, dans l’ensemble, assez antiaméricaines. Cela a un peu bougé lorsque Donald Trump est arrivé au pouvoir, notamment chez les plus radicaux des partis d’extrême droite. Mais les Etats-Unis, cela reste ceux qui ont vaincu l’Allemagne nazie et le fascisme italien. Et puis c’est le symbole du melting-pot, de la société multiraciale, des grands intérêts économiques, de la grande banque, d’une communauté juive puissante dont ils s’imaginent qu’elle oriente la politique intérieure et extérieure du pays, bref, il n’y a pas un grand amour pour les USA."
"Et puis la Russie représente pour eux l’Europe traditionnelle, celle qui n’a pas abandonné ses valeurs, que sont la famille traditionnelle – il n’est pas question de mariage homosexuel en Russie – le patriotisme, la volonté de puissance, le retour de la religion, après 70 ans de communisme, l’osmose qui existe, au moins en surface, entre l’Etat et la religion orthodoxe. Toutes ces valeurs dont les extrêmes droites considèrent que nous les avons trahies et abandonnées en Europe."
Rester en phase avec l’opinion publique
Dès le lendemain de l’invasion russe, les différents responsables politiques qui ne cachaient pas leur proximité avec Poutine n’ont pas vraiment eu d’autre choix que de faire marche arrière, particulièrement en France, puisque se profile l’élection présidentielle.
"On a en effet observé un retirement total qui s’explique de différentes manières", précise Benjamin Biard, "mais la principale, c’est d’être au diapason avec l’opinion publique européenne, qui est très nettement favorable à soutenir l’Ukraine dans le cadre de cette guerre. Cela coûterait aux formations qui classiquement s’affichent proches de Vladimir Poutine et de son régime de ne pas remettre en cause la responsabilité russe et un certain nombre d’autres éléments derrière, dans le contexte actuel."
"Cela dit, comme la majorité des responsables d’extrême droite en Europe, Tom Van Grieken en Belgique, Marine Le Pen en France ou Eric Zemmour, même s’il y a eu quelques hésitations, ont souligné la responsabilité russe, 'honteuse' comme cela a été dit, mais ils contrebalancent leur discours avec des propositions visant à s’opposer ou tout au moins à demander des nuances dans les sanctions appliquées à l’égard de la Russie de la part de l’Union européenne. Il y a donc, sinon un double discours, une volonté de trouver un équilibre dans un discours plus classique, plus traditionnel de leur part et puis un discours aujourd’hui qui doit tenir compte de la réalité et des événements actuels."
Personne ne peut dire aujourd’hui comment va évoluer la situation et moins encore comment elle va se terminer. Ce qui fait peu de doute, en revanche, c’est que la proximité avec l’homme qui restera dans l’histoire comme celui qui a déclenché cette guerre se révèle bien embarrassante.