L’épicentre de la pandémie de Covid-19 n’est plus aujourd’hui en Europe, mais en Amérique latine. Le Brésil en particulier compte le plus grand nombre de victimes dans la région, avec plus de 52.000 morts. Le Dr Bart Janssens a été le coordinateur d’urgence de Médecins sans frontières durant 6 semaines au Brésil. Il a participé à la mise en place de centres de prévention et de traitement à Sao Paolo et à Manáos, en Amazonie.
Il témoigne du chaos auquel il a assisté dans les services de soins intensifs, dépassés par l’afflux de malades : "Au moment du pic de l’épidémie dans les grandes villes, comme Sao Paulo et Manáos, la situation était par moments catastrophique. Il est clair que ces hôpitaux ont été submergés par les cas graves. J’ai vu des dizaines de malades avec peu de suivi. Il y avait même des listes d’attente pour être admis en soins intensifs et être mis sous respirateur artificiel. A ce moment, c’était un chaos total, un effondrement du fonctionnement des hôpitaux brésiliens."
Un taux de mortalité qui a atteint 100%
Le taux de mortalité était alors particulièrement élevé dans ces services submergés. L’hôpital de Manáos était parvenu à tripler rapidement le nombre de lits en soins intensifs. Mais le personnel n’a pas pu suivre correctement autant de patients : 80% des malades qui y entraient n’en sortaient pas vivants. Dans une autre ville de la province, la mortalité atteignait 100% : aucun patient ne survivait à l’intubation.
Lorsqu’on demande au Dr Bart Janssens pourquoi la maladie a autant frappé le Brésil, il reste modeste : le Covid-19 conserve une part de mystère. Mais plusieurs facteurs ont pu aggraver la situation, comme les énormes inégalités sociales et le manque de financement des services de santé. Il y a aussi l’attitude du président Jaïr Bolsonaro, qui a constamment minimisé la gravité de l’épidémie.
Le ministère de la santé a cessé de fonctionner
Le gouvernement fédéral n’a mis en place aucune mesure de prévention, aucun conseil de prudence n’est donné aux habitants. Bart Janssens est persuadé que l’attitude du président a joué un rôle dans la détérioration de la situation sanitaire : "Les messages contradictoires, l’hyperpolitisation du Covid et l’absence de mesures de prévention ont semé de la confusion. Durant mon séjour au Brésil, j’ai vu changer deux fois le ministre de la Santé. Nous savons que les services du ministère ont cessé de fonctionner de manière normale."
On voit des Bolsonaristes, drapeau brésilien sur les épaules, qui exigent qu’un bar ou un magasin ouvre
Pour certains militants, le non-respect des consignes de sécurité devient même un message politique de soutien au président populiste : "On voit des Bolsonaristes, drapeau brésilien sur les épaules, qui exigent qu’un bar ou un magasin ouvre. Le principal débat entre le gouvernement fédéral et les Etats tourne autour de la réouverture complète de l’économie, alors que l’épidémie n’est pas maîtrisée. On ne sait pas où se trouvent les nouveaux foyers. Il n’y a pas beaucoup de tests et pas de traçage des cas."
Il reste en effet difficile d’évaluer l’ampleur exacte de l’épidémie dans ce pays immense : "C’est une accumulation de petites épidémies et de clusters. Ça diminue à certains endroits, mais de manière générale la courbe des nouveaux cas ne baisse pas. Il y a encore eu hier (23 juin) 39.000 nouveaux cas notifiés. Et on sait qu’avec le manque de tests, le chiffre réel est plus élevé. Le nombre de morts reste impressionnant : plus de 400 morts hier dans le seul Etat de Sao Paulo."
L’épidémie, comme une traînée de poudre
L’épidémie a d’abord touché les classes aisées, celles qui voyagent. Des Brésiliens riches ont probablement ramené le virus d’Europe. Le Covid a d’abord circulé dans les beaux quartiers des grandes villes. Il a ensuite débordé vers les quartiers pauvres et les zones rurales. "Et là, ça a été très vite. Un mois après l’arrivée du Covid au Brésil, il y avait déjà des cas dans une petite ville comme Tefé, en pleine forêt amazonienne, à 500 km de Manaos. Le système de santé n’avait pas la capacité d’empêcher la propagation du virus et sa mortalité."
Les tribus indigènes d’Amazonie constituent d’ailleurs des communautés particulièrement fragiles. Mais les autorités ont empêché MSF de travailler avec elles. On sait que l’exploitation intensive de la forêt détruit rapidement leur environnement. "C’est un sujet sensible dans le pays, note Bart Janssens. Tout le monde s’inquiète de leur sort. Dans le passé, des épidémies ont décimé des communautés indigènes, comme la grippe ou la rougeole. Le gouvernement fédéral ne voit pas d’un bon œil l’accès d’un acteur comme MSF auprès de ces communautés."
Les indigènes se confinent dans leur forêt
Certains indigènes ont d’ailleurs préféré quitter leurs villages et s’enfoncer dans la forêt pour se mettre à l’abri du coronavirus. "L’idée de confinement particulier, qu’on appelle shielding, est probablement une des meilleures solutions pour ces communautés en limitant les contacts avec le monde extérieur. Mais après, il faudra les aider, parce qu’ils ont tout de même besoin de denrées alimentaires ou matérielles. Il faudra les approvisionner pour leur éviter de devoir venir dans les villes de province."
Personne ne peut prévoir l’évolution de l’épidémie au Brésil. Mais MSF, qui est l’un des rares acteurs humanitaires extérieurs présents au Brésil, prévoit d’y rester encore plusieurs mois pour pallier les lacunes du système de santé brésilien.