Patrimoine

Astérix aurait-il vraiment pu aller en Chine au temps des Romains ?

Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu

© Christophe Brachet

Vous n’avez pas pu passer à côté. Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu, c’est la grosse sortie du moment pour le cinéma français. Si les aventures des célèbres Gaulois, sur grand écran ou en BD, présentent quantité de peuples et civilisations antiques, les erreurs historiques et anachronismes assumés sont toujours légion. Alors Astérix qui se rend en Chine en 50 avant J.-C., est-ce crédible ?

Il n’aura sans doute jamais voyagé aussi loin. Après s’être rendu en Egypte pour prêter main-forte à Cléopatre, avoir traversé la Manche, ou s’être même baladé du côté de l’Ukraine au temps des Sarmates dans son dernier album, Astérix atterrit donc en Chine, pour contrer les rêves expansionnistes de Jules César.

On a du mal, en Europe, à associer l’Antiquité gallo-romaine et la civilisation chinoise. Pourtant, en 50 avant notre ère, il existe bel et bien un empire en Chine, alors que Rome est encore une république. Mais des contacts entre les deux civilisations ont-ils eu lieu ?

Recadrons d’abord les choses. Les aventures d’Astérix prennent place sous le règne de Jules César, donc à la toute fin de la république romaine. Et non, Jules César n’a jamais été empereur, puisque c’est quelques années après sa mort que sera créé l’Empire. A cette époque, en Chine, nous sommes sous la dynastie Han, qui règne depuis 170 ans sur l’Empire du Milieu, et perdurera encore deux siècles et demi après cela. L’empire romain, lui, a duré 502 ans. Quand on parle de relations entre Rome et la Chine antique, on parle donc d’une période de plusieurs siècles, et pas seulement de l’an -50.

Des contacts indirects

On pourrait se dire que sur une si longue temporalité, les deux civilisations ont forcément dû entrer en contact. Et bien, pas forcément. On sait que tant Rome que la Chine ont eu vaguement conscience de leur existence mutuelle durant très longtemps. On sait qu’il y a, là-bas, très loin, un pays dont on connaît certains produits.

Fresque datant du 1er siècle ap J.C., retrouvée dans la Casa del Naviglio à Pompeii, et représentant un personnage vétu de soie.

Car indirectement, des marchandises chinoises sont parvenues dans l’empire romain et inversement. Depuis 130 avant J.-C. déjà, la fameuse route de la soie amène le précieux textile asiatique vers la ville éternelle. Rome fait plutôt parvenir de la verrerie. "Ce sont des produits d’hyperluxes. Ce n’est pas un commerce généralisé" nous le souligne Cécile Evers, conservatrice des Antiquités étrusques, romaines et gallo-romaines au Musée Art & Histoire de Bruxelles.

Mais pour arriver jusque-là, ces produits luxueux passent par des intermédiaires qui n’ont aucun intérêt à voir la Chine et l’Europe commercer directement. C’est surtout le cas des Parthes, empire notamment situé sur l’actuel Iran. Ces intermédiaires achètent les marchandises en Asie pour les revendre ensuite à l’ouest. Selon certaines sources chinoises, les Parthes auraient même découragé les émissaires de l’Empire du Milieu d’entrer en contact avec la puissance méditerranéenne.

Carte de l’Eurasie en l’an un. En rouge l’empire romain, en brun l’empire parthe, en jaune l’empire des Han.
Carte de l’Eurasie en l’an un. En rouge l’empire romain, en brun l’empire parthe, en jaune l’empire des Han. © Gabagool – Wikimedia Commons

Impossible donc que les deux peuples se soient livré bataille, comme le décrit le film. Un tel événement aurait nécessairement laissé des traces soit archéologiques, soit dans les sources écrites. Que Jules César se soit déplacé, avec troupes et armes, jusqu’en Chine, cela reste de la pure fiction. Il aurait d’ailleurs fallu des dizaines d’années aux troupes romaines (et aux héros gaulois) pour atteindre cette partie de l’Asie. Cependant, une telle expédition aurait pu exister. Comme le dit Cécile Evers : "si César n’avait pas été assassiné, qui sait jusqu’où il aurait pu aller ?". L’Antiquité ne manque pas de grandes conquêtes qui s’étendent sur plusieurs continents, à commencer par celle d’Alexandre le Grand qui atteint l’Inde deux siècles et demi avant le règne de César.

Romains contre Chinois ? Tout bonnement impossible.
Romains contre Chinois ? Tout bonnement impossible. © Christophe Brachet

Une histoire d’appellation

Cependant, toute relation entre l’empire romain et la dynastie Han n’est pas exclue. Auguste, fils adoptif de César et tout premier empereur romain, aurait reçu des ambassadeurs de régions très éloignées du monde connu durant son règne. Parmi ces diplomates, les auteurs latins mentionnent la présence de "Sères", un peuple déjà connu des Grecs et qui vient de l’Est. Seraient-ce des Chinois ?

Et bien peut-être, mais peut-être pas. Le problème, c’est qu’on ne peut pas dire aujourd’hui avec certitude que ces Sères les désignent eux ou un autre peuple asiatique. Le terme a sans doute été utilisé de manière générique pour cataloguer plusieurs peuples originaires du continent, sans que l’on sache précisément lesquels. La Chine n’a, après tout, pas le monopole du commerce et de l’avancée civilisationnelle en Asie antique.

Des contacts plus forts se font probablement à partir du 2e siècle. Les sources chinoises disent envoyer des ambassades auprès de Rome, et on sait que des marchands asiatiques arrivent au moins jusque Palmyre, qui appartient à l’empire. Les liens deviennent directs et établis sous l’empire Byzantin, bien plus tard que la période décrite dans Astérix.

Et les Gaulois dans tout ça ?

Dans le film, le personnage joué par Jonathan Cohen demande à ses camarades gaulois "vous savez où c’est, la Chine ?". Mais était-ce possible que le village d’irréductibles, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, ait pu seulement entendre parler de l’Empire du Milieu ?

Cécile Evers précise qu’il "est hautement improbable" que des Gaulois aient eu le moindre contact avec la Chine. Déjà pour le peuple plus avancé que sont les Romains, il y a peu de connaissances au sujet d’un pays si lointain. "L’élite romaine connaissait l’existence d’un pays dans cette région surtout par des textes grecs. Mais le Romain moyen, comme le Gaulois moyen, n’en avait a priori aucune idée puisqu’ils ne lisaient pas cette littérature."

On connaît bien moins de choses sur les Gaulois que sur leurs contemporains romains ou chinois, tout simplement car il existe moins de sources, et que la langue n'a pas vraiment produit de textes littéraires. De manière générale, on sait que les peuples celtiques ont eu bien moins de contacts avec les autres continents que les Grecs, les Romains et les autres Méditerrannéens.

Cela étant, comme le souligne Cécile Evers, "ce n’est pas parce qu’on ne sait pas que ça a eu lieu que ça n’a pas pu avoir lieu". Le manque de sources laisse la porte ouverte à la possibilité. Si une épopée similaire à celle d’Astérix et Obélix est très improbable, elle n’est néanmoins pas totalement impossible. Alors qui sait, peut-être trouvera-t-on un jour des preuves de la présence de Gaulois en Chine ?

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