Belgique

Asile : des avocats font part symboliquement du "décès de l’Etat de droit" au ministre de la Justice

L'invitée dans l'actu: l’avocate Marie DOUTREPONT

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"La démocratie, les droits fondamentaux et le respect de la dignité humaine ont l’immense douleur de vous faire part du décès de l’État de droit en Belgique — 1830-2022 — après plus d’un an d’une longue et douloureuse agonie suite au non-respect de décisions de justice en matière d’accueil des demandeurs d’asile" : c’est le faire-part envoyé ce jeudi au ministre de la Justice par des avocats.

 

Des funérailles symboliques ont eu lieu, jeudi en début d'après-midi, devant la Tour des Finances abritant le cabinet du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne. Des avocats du cabinet Progress Lawyers Network y ont "enterré" l'État de droit belge. L'action visait à dénoncer le non-respect des droits des demandeurs d'asile à être hébergés, en dépit des 7.000 condamnations judiciaires de Fedasil.

Sous un froid glacial, quelques dizaines de personnes vêtues de noir se sont rassemblées autour d'un cercueil orné de couronnes de fleurs et d'une pierre tombale sur laquelle était gravé: "R.I.P. État de droit, 1830-2022". Le tout, sous l'air de la célèbre marche funèbre de Chopin.

L'État de droit belge est mort, estiment Progress Lawyers Network et diverses associations et ONG venant en aide aux réfugiés. Les manifestants dénonçaient également l'inaction du gouvernement fédéral dans ce dossier.

"Les demandeurs d'asile ont droit à un hébergement en attendant le traitement de leur dossier, et ce, dès l'introduction de leur demande", rappelle Marie Doutrepont, avocate au cabinet Progress Lawyers Network. Ceux-ci peuvent s'adresser au Tribunal du travail si ce droit n'est pas respecté par l'État belge. "Les hommes seuls et les personnes ayant déjà demandé l'asile dans un autre pays européen sont souvent laissés pour compte", constate Mme Doutrepont. Et ce, en raison du manque de place. "De plus, Fedasil, donne la priorité aux familles et aux mineurs non accompagnés", poursuit-elle.

Fedasil a déjà été condamné 7.000 fois par le tribunal francophone du travail de Bruxelles. A cela s'ajoutent 150 condamnations par la Cour européenne des Droits de l'homme, précise l'avocate qui déplore que "l'État belge persiste dans son refus de respecter le droit belge et la directive européenne concernant l'accueil des demandeurs d'asile".

Interrogée sur La Première, l’avocate Marie Doutrepont estime qu’il s’agit de "la chronique d’une mort annoncée, puisque ça fait plus d’un an que la situation perdure et que nous constatons qu’au bout de 6000 ou 7000 décisions de justice qui ne sont pas respectées, la situation n’a toujours pas changé. Donc, à partir du moment où l’exécutif ne respecte pas la loi qui dit qu’il faut accueillir les demandeurs d’asile et ne respecte pas non plus le pouvoir judiciaire qui l’y condamne systématiquement, il y a vraiment un souci en matière d’État de droit. Quand l’équilibre des pouvoirs n’est plus respecté, c’est l’État de droit qui est en péril. À ce stade, on peut donc considérer, en cette matière-là en tout cas, qu’il est malheureusement décédé".

Le droit d'asile sera toujours respecté en cas de procédure, mais cela prend du temps

Cette action a "évidemment un côté un peu provocateur", admet-elle : "C’est un message que nous avons envoyé parce que nous demandons au ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, quel est son point de vue par rapport à la situation et ce qu’il compte faire pour y remédier. Mais sur le fond, je suis convaincue qu’en ce qui concerne la crise de l’accueil, dès lors que la loi qui dit qu’il faut accueillir les demandeurs d’asile est systématiquement violée depuis un an, il faut systématiquement introduire une procédure pour essayer de faire respecter leur droit à l’accueil, que cette procédure est systématiquement gagnée par les avocats et les avocates qui l’intentent, mais qu’il faut ensuite quatre à cinq mois pour que Fedasil s’exécute, et ce sont donc quatre à cinq mois où les gens sont à la rue, sans aucune perspective, et quand on sait que l’État belge a aussi été condamné 150 fois dernièrement par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui lui a dit 'vous devez mettre en place des solutions d’urgence', j’estime que l’État de droit est, si pas complètement décédé, en tout cas en grave péril, et ça nous inquiète énormément, nous, avocats et avocates qui travaillons dans la matière, mais en général aussi, par rapport à l’état de nos démocraties".

© Julius Adamek / EyeEm

Fedasil plus le seul organisme mis en cause, la responsabilité est portée sur l'État belge

Jusqu’il y a peu, "le tribunal du travail, qui est donc la juridiction compétente, a exclusivement condamné Fedasil, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile chargée concrètement par l’État belge d’organiser cet accueil. C’était systématiquement Fedasil qui était condamnée, sous peine d’astreinte, et la difficulté est que ces astreintes ne servaient à rien puisque Fedasil est un organisme insaisissable", indique-t-elle.

Mais désormais une décision "vient dire qu’il s’agit d’une responsabilité de l’entièreté du gouvernement, et pas uniquement de madame de Moor, de Fedasil ou de l’Office des étrangers. C’est l’État belge, et donc le gouvernement dans son ensemble, qui est responsable de cette crise et il serait temps qu’il traite cette crise comme ce que c’est, à savoir une crise. Pour l’instant, les seules réponses qu’on a, c’est 'on y travaille, il y a des solutions qui vont être trouvées dans les semaines ou les mois qui viennent'. Mais ça, ça n’est pas une réponse acceptable à opposer à des personnes qui dorment à la rue alors qu’elles ont le droit d’être hébergées. Le tribunal du travail renvoie donc la balle à l’ensemble du gouvernement en disant 'c’est l’État belge dans son ensemble qui est responsable' et qui dit aussi que les astreintes peuvent aussi être cherchées chez l’État belge, chez le gouvernement dans son ensemble, et donc dans le cabinet de madame de Moor ou dans le cabinet de monsieur de Croo si c’est nécessaire. Ce n’est évidemment pas mon but ni le but de tous les avocats et avocates qui s’épuisent depuis un an à essayer de trouver des solutions. Nous, ce qu’on veut, c’est que nos clients dorment au chaud et qu’on arrête de recevoir des messages à 11 heures du soir en disant : 'Maître, j’ai faim, j’ai froid, j’ai peur. Qu’est-ce que vous allez faire pour m’aider ?'. On est complètement impuissant pour les aider. On veut que ces gens puissent être accueillis. Donc, s’il faut, pour ce faire, aller saisir des tableaux dans les cabinets des ministres pour payer des chambres d’hôtel, évidemment qu’on le fera, mais j’espère vivement qu’on n’y sera pas amenés parce qu’on a autre chose à faire. On voudrait simplement que l’État de droit soit respecté et que ces gens soient accueillis", conclut-elle.

L’avocate Marie Doutrepont
L’avocate Marie Doutrepont © RTBF

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