Les Grenades

Asia Argento sur #MeToo : "C’était mon devoir de parler"

© Frakas Productions

Par Elli Mastorou pour Les Grenades

Cette semaine dans Sans Soleil, film de science-fiction belge visuellement audacieux, Asia Argento signe son retour au cinéma cinq ans après l’affaire Weinstein et la déferlante MeToo.

Elle a souvent mis sa vie en scène dans sa filmographie, notamment dans L’incomprise (2014), l’histoire d’une enfant ballottée entre des parents artistes, toxiques et violents, ou Scarlet Diva (2000) sur les mésaventures d’une jeune actrice en devenir qui se fait agresser sexuellement par un producteur dans une chambre d’hôtel – directement inspiré des violences commises par Harvey Weinstein.

En 2017 d’ailleurs, elle accusera publiquement Weinstein. Aux côtés de 93 autres femmes, elle est une des figures principales du mouvement #MeToo, avec Tarana Burke (créatrice du hashtag), Alyssa Milano ou Rose McGowan. Le contrecoup misogyne de la presse italienne envers elle sera si violent qu’Argento quittera l’Italie.

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En 2018, elle marque de nouveau la Croisette par un discours contre le sexisme et l’hypocrisie de l’industrie. Une année qui sera marquée aussi par la tragédie du suicide de son compagnon, le chef Anthony Bourdain, et deux ans plus tard, par celle de sa mère, l’actrice Daria Nicolodi.

Disparue des écrans depuis, elle revient peu à peu au cinéma – de passage à Liège lors d’un tournage, Les Grenades l’ont rencontrée.

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Sans Soleil est un film de science-fiction visuellement impressionnant, avec un propos sociétal sur la destruction de la Terre. Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce projet, et dans ce rôle de Léa, la mère toxicomane du héros ?

Quand j’ai lu le scénario, il m’a beaucoup plu. Ensuite j’ai rencontré Banu Akseki (la réalisatrice du film, NDLR), et elle m’a beaucoup plu aussi. On a parlé du film, et je voyais à travers ses mots la vision qu’elle en avait. Je me suis dit que je n’ai jamais vu de film comme ça, que j’ai vraiment envie d’en faire partie. Je croyais en sa vision. Et pour moi, jouer le rôle d’une accro, d’une toxico, c’est important, si on veut utiliser ce mot, politiquement. J’ai grandi avec une mère alcoolique, j’ai moi-même eu et aurai toujours des problèmes d’addiction. Et c’est vu par la société comme quelque chose qu’on contrôle, qu’on choisit de faire. On nous dit des choses comme "tu n’as qu’à arrêter" ou "fais-le pour tes enfants"… Mais ce n’est pas vu comme une maladie. Alors que ça l’est, c’est prouvé. Les gens qui ont le cancer, on a plein d’empathie pour eux. On n’a aucune empathie pour les toxicos, et ce sont des personnes qui elles aussi, génétiquement et physiologiquement, ne peuvent pas s’arrêter de consommer.

C’est une vraie tragédie, et j’ai perdu beaucoup d’ami·es à cause de ça. Dans le film, mon personnage est en recherche d’une réponse spirituelle, mais elle ne la trouve pas, donc elle se tourne vers la drogue pour remplir ce vide, et oublier la douleur qu’elle ressent. Je connais beaucoup de parents junkies, j’ai de l’empathie pour eux et pour la tragédie qu’ils vivent, donc je voulais infuser de l’humanité dans ce personnage, et cette histoire. Ça me tenait à cœur.

Après le "scandale", entre guillemets, ce n’était pas facile pour moi de trouver du travail

© Lara Gasparotto

A côté de ce film-ci, vous êtes en Belgique pour le tournage de La Saveur de la Mort de Jean-Luc Herbulot avec Joey Starr (en mars 2022, NDLR), et on vous verra bientôt dans Seule de Jérôme Dassier, avec Jeanne Balibar… C’est la première fois que vous travaillez autant depuis 2018 et l’affaire Weinstein. Est-ce un choix, ou une conséquence de ce qui s’est passé avec #MeToo ?

Ça a commencé comme un choix, je voulais faire une pause à la base, depuis mon dernier film L’incomprise (2014). J’avais fait beaucoup de films avant ça comme actrice, que j’avais acceptés juste pour l’argent. Pas vraiment les bonnes raisons pour faire un film, mais j’avais deux enfants à nourrir ! Mais à un moment, j’en ai eu assez. Je joue depuis que j’ai 9 ans, j’avais perdu mon désir, ma motivation. Et puis j’ai fait un peu de théâtre, et ça m’a fait tomber amoureuse de mon travail, à nouveau. Donc après ça, je me suis dit que j’avais envie de retravailler…

Après le "scandale" entre guillemets, ce n’était pas facile pour moi de trouver du travail. Je pense que le film de Banu est le premier que j’ai fait depuis. Comme je l’ai dit, cette affaire était un grand choc. C’était un choc pour la société tout entière, donc vous pouvez vous imaginer à quel point c’était un choc pour moi personnellement de traverser tout ce que ce tsunami a créé… Je n’avais aucune idée quand j’ai pris la parole, que ça allait prendre ces dimensions, parce que je ne pense jamais aux conséquences quand je fais les choses.

Si vous aviez su, vous ne l’auriez peut-être pas fait…

Peut-être. Mais peut-être que si. Parce que je me souviens très bien du moment où j’ai décidé de le faire. Quand ce journaliste m’a dit qu’il y avait d’autres femmes qui avaient toutes peur de parler, et qu’il leur était arrivé la même chose… A ce moment-là, ma conscience m’a dit que c’était mon devoir de parler.

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Avant de pouvoir parler, il faut déjà pouvoir se l’admettre à soi-même, et #MeToo a permis à de nombreuses personnes de réaliser des choses qu’elles, et la société, avaient normalisées…

Absolument, c’est ce qui m’est arrivé aussi. C’est aussi dû à la façon dont les violences et agressions sexuelles sont vues : ma mère m’avait expliqué que ça arrive dans la rue, violemment, par un homme inconnu… On est nombreuses à avoir eu cette image, qui n’est pas forcément la réalité. Donc je crois que ça a ouvert les yeux sur le fait que c’est beaucoup plus nuancé que ça, et qu’il y a l’abus de pouvoir, l’emprise psychologique… Aujourd’hui, ma fille a une meilleure chance face à cela.

C’était un choc pour la société tout entière, donc vous pouvez vous imaginer à quel point c’était un choc pour moi personnellement

Aujourd’hui, peut-on dire que vous avez trouvé la paix, en quelque sorte ?

Oui. On me disait toujours que je devrais méditer et j’avais déjà essayé avant, mais ça n’avait pas marché. Depuis, j’ai trouvé la bonne technique, et ça fonctionne, vraiment. J’ai trouvé la paix et la sérénité. Je me rends compte que je souris beaucoup plus. Je ressens de la gratitude, ce qui, je l’ai découvert, est une clé de la vie. Je prenais sans doute beaucoup de choses pour acquises. Apprendre à méditer a changé ma vie – doucement, lentement, mais aujourd’hui, je vais bien grâce à cela. J’ai perdu beaucoup d’ami·es et de gens autour de moi, et aujourd’hui j’accepte la mort comme faisant partie de la vie. D’ailleurs, la première chose à laquelle je pense quand je me réveille matin, c’est la mort. Je médite sur la mort tous les jours, et ça me rend reconnaissante tous les jours d’être vivante.

Sans Soleil de Banu Akseki. Avec Asia Argento, Louka Minnella, Sandrine Blancke, Astrid Whetnall… sortie en salle le 15 juin. Durée 1h40.

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