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Arrestations, tortures, avion Ryanair détourné : en Biélorussie, un an de répression féroce

Manifestation de l’opposition à Minsk le 16 août 2020

© Photo by Sergei GAPON / AFP

Le 9 août 2020, la commission électorale biélorusse proclamait la réélection d’Alexandre Loukachenko pour un sixième mandat consécutif à la présidence du pays, avec plus de 80% des voix. Un résultat immédiatement contesté par l’ensemble de l’opposition, fédérée autour de la candidate adverse Svetlana Tsikhanovskaïa, la femme d’un célèbre opposant lui-même envoyé en prison avant le scrutin.

C’est le début d’une année de manifestations, de répression, de crise et de tensions internationales comme la Biélorussie n’en avait jamais connues. Retour ici sur les événements les plus marquants de cette année écoulée et bilan de la situation actuelle, loin d’être pacifiée.

Au départ : une élection comme une autre ?

Ce 9 août 2020, la réélection du président en exercice depuis 1994 n’est pas une surprise pour les électeurs biélorusses. Cela ressemble au contraire beaucoup trop à ce qu’ils ont l’habitude de voir : "Les résultats des élections ont toujours été truqués en Biélorussie", avertit d’emblée Ekaterina Pierson-Lyzhina, chercheuse à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste de la Biélorussie. "C’était le cas en 2001, 2006, 2010 et 2015 déjà. Ce qui était différent cette fois-ci, c’est que la population s’est intéressée, s’est politisée et a suivi de très près ces élections. Notamment parce qu’il y avait des candidats intéressants", poursuit-elle.

De son côté, le régime aussi s’attend à des manifestations post-électorales : "L’opposition 'classique' manifestait toujours après les élections. Ici il va y avoir une mobilisation beaucoup plus large que pendant les élections précédentes mais on ne peut pas dire que les autorités ont été surprises parce qu’ils avaient déjà constaté l’ampleur de cette mobilisation pendant les élections", se remémore Ekaterina Pierson-Lyzhina.

Chaînes humaines en faveur de l’inscription des candidats, descentes en groupe devant les bureaux le jour du vote, plate-forme numérique pour signaler les cas manifestes de fraude électorale, etc. Cette élection ne ressemblait en effet à aucune autre et le pouvoir l’avait d’ailleurs bien senti en empêchant très tôt les principaux leaders de l’opposition de concourir.

Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que la figure de Svetlana Tsikhanovskaïa, contrainte de se porter candidate "par amour", à la place de son mari emprisonné, parviendrait à fédérer à la fois le vote protestataire et les aspirations démocratiques du pays. Résultat, en 2020 c’est l’élection truquée de trop.

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Un cycle mobilisation – répression toujours en cours

Le jour même de l’annonce des premiers résultats, les Biélorusses sont dans la rue : "Au départ, c’est une mobilisation pro-démocratique, anti-Loukachenko pourrait-on dire. C’est une mobilisation qui traduit le désir de la Biélorussie d’avoir des élections libres et démocratiques et d’éjecter du pouvoir le président en place depuis 26 ans déjà", explique Ekaterina Pierson-Lyzhina. Mais le régime était lui aussi prêt : un important dispositif sécuritaire a été déployé dans la capitale et très vite l’internet mobile est coupé.


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Torture

Mais lorsqu’après trois jours l’internet est rétabli, les témoignages d’arrestations se multiplient et on se rend compte qu’il y a eu des milliers cas de torture dans les centres de détention. "Cela devient évident qu’il y a eu une violence démesurée à l’égard des manifestants. Donc ce qui se passe c’est que le 12 août, il y a une mobilisation des femmes, toutes vêtues de blanc, qui sortent dans les rues pour protester contre la violence policière", continue Ekaterina Pierson-Lyzhina.

Pendant un moment, le pouvoir est surpris mais les réflexes répressifs vont très vite reprendre le dessus et même s’intensifier. Après les femmes, ce sont les retraités qui organisent une manifestation, pensant ne courir aucun risque. Une mobilisation des handicapés sera même organisée pour voir jusqu’où le pouvoir est prêt à aller mais à chaque fois les manifestants seront violemment dispersés.

"Et donc depuis décembre 2020, il n’y a plus de manifestation de masse à Minsk, ce n’est plus possible aujourd’hui […] Le mécontentement ne disparaît pas mais il prend d’autres formes, plus discrètes. Avec des petites manifestations dans les quartiers par exemple, où les gens commencent à cacher leurs visages […] Encore récemment, en juillet, il y a eu des purges au sein des médias indépendants et des associations de la société civile qui ont mené à nouvelle vague d’arrestations et de départs vers l’étranger", analyse Ekaterina Pierson-Lyzhina.

Le bilan de la répression est lourd : environ 35.000 arrestations, des milliers de personnes parties en exil, une dizaine de morts avérées et un nombre important, mais inconnu, de cas de torture.

La Russie et l’Europe s’en mêlent (un peu)

À l’instar de la rue biélorusse, les réactions de la communauté internationale et particulièrement des voisins européens seront très rapides : le 10 août le Premier ministre polonais appelle déjà à la tenue d’un sommet extraordinaire de l’Union européenne sur la situation en Biélorussie, après les heurts à Minsk. Le jour même, l’ex-candidate à la présidentielle, et qui conteste sa défaite, Svetlana Tsikhanovskaïa est accueillie dans la Lituanie voisine.

La présidente de la Commission européenne et le gouvernement allemand notamment mettent en doute le résultat des élections et le 19 août le président du Conseil Européen, Charles Michel, annonce que l’UE ne reconnaît pas ces résultats. "En termes de soutien à la population biélorusse et de soutien aux forces démocratiques, la réaction européenne a été très rapide", souligne Ekaterina Pierson-Lyzhina. Un soutien qui se limite alors à des manœuvres diplomatiques, à verser des fonds à différentes associations de soutien et à des sanctions très ciblées contre des responsables du régime.

Les sanctions économiques arriveront plus tard, lorsqu’en mai 2021 le régime biélorusse franchit un nouveau palier en détournant un vol Ryanair reliant Athènes à Vilnius pour arrêter un jeune opposant en exil. L’Union européenne s’accorde alors sur une interdiction de vol de son espace aérien par l’aviation biélorusse et surtout sur de lourdes sanctions sectorielles. Les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni suivront.

Aide de la Russie

Mais un autre pays continue, lui, envers et contre tout de soutenir Alexandre Loukachenko : la Russie de Vladimir Poutine. Dès le 15 août 2020, les deux hommes s’entretiennent par téléphone et le président biélorusse annonce avoir reçu l’assurance d’une aide militaire en cas de risque pour "la sécurité du pays". Ils se revoient d’ailleurs un mois plus tard à Sotchi, en Russie, pour conclure "plusieurs engagements militaires" et depuis le président russe n’a jamais lâché son homologue biélorusse.

Mais il est aussi devenu évident au fil du temps que ce soutien était loin d’être total : "Je dis toujours que ce n’est pas un soutien très généreux, parce que Loukachenko n’a reçu qu’un milliard et demi en prêt de Moscou, ce qui n’est pas beaucoup, et continue de payer le prix demandé par les Russes pour le gaz et l’électricité qu’ils reçoivent d’eux", tempère Ekaterina Pierson-Lyzhina.

"Vladimir Poutine aurait préféré une réforme constitutionnelle et que Loukachenko partage ses pouvoirs avec le Parlement par exemple, parce qu’il pense que les partis seraient plus faciles à contrôler", complète-t-elle.

Pour le président Poutine, la crise en Biélorussie est surtout l’occasion de "renforcer l’intégration des deux pays" comme il aime à le dire. En d’autres termes, de renforcer son emprise sur son voisin affaibli.

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Et maintenant ?

Évoquée dès la fin du mois d’août 2020, cette réforme constitutionnelle dont l’idée est soutenue par la Russie est toujours officiellement en cours de préparation. En novembre, Loukachenko suggérait même son départ de la présidence une fois que cette réforme aurait été mise en œuvre. Mais l’échéance est constamment repoussée et le pouvoir évoque maintenant la tenue d’un référendum au printemps 2022 pour se laisser du temps.

Cela alors que la répression s’étend maintenant au-delà des frontières du pays comme on l’a vu pour l’affaire de l’avion Ryanair détourné ou plus récemment avec la découverte du corps inerte d’un jeune opposant dans un parc de Kiev, la capitale ukrainienne où il s’était réfugié.


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Dernier épisode en date : la fuite en Autriche (grâce à un passeport humanitaire polonais) d’une athlète biélorusse présente aux JO de Tokyo après que l’on ait tenté de la faire revenir de force au pays, au prétexte qu’elle avait critiqué sur les réseaux sociaux une décision de son comité olympique national (qui souhaitait la faire courir une épreuve qu’elle n’avait pas préparée).

"C’est un régime qui demeure très tendu, qui sait qu’il n’a pas supprimé le mécontentement et dont on peut voir qu’il n’est pas sûr de lui-même. Ce qui l’amène à faire des erreurs, y compris sur la scène internationale", conclut Ekaterina Pierson-Lyzhina.

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