Football

Arnaud Bodart : "Gardien des Diables ? Je n'ai jamais caché mon ambition…"

Trois générations de gardiens et un nom prédestiné. Anonyme voici 18 mois, il incarne le projet jeune du Standard et s’est installé entre les perches de nos Diablotins, à une encablure de l’Euro. Il évoque son style sobre, Iker Casillas, une galère en Moldavie, Tonton Gilbert, ses visites chez le coach mental, Guillermo Ochoa et les pénos de sa jeunesse. Mais aussi la solitude du gardien, Dieumerci Mbokani, le cocon de l’Académie, Sinan Bolat, la banderole Defour et Jean l’ambianceur. Et bien sûr les cris de Zinho. Arnaud Bodart passe " Sur Le Gril ".

Poli, ponctuel au rendez-vous et peigné façon Tintin sage, il a tout du collégien modèle. Car c’est à force de patience et de taf qu’il est là, parmi les Diablotins logés à Genk avant la dernière chausse-trappe vers l’Euro, mardi soir en Bosnie.

On est forcément boostés à bloc : c’est le seul match de notre trêve internationale et c’est un rendez-vous décisif… " explique Arnaud Bodart. " C’est pour des matches pareils qu’on fait ce métier. On n’a pas le choix, il faut gagner après le couac du mois dernier en Moldavie. On avait eu trois heures de vol, on avait joué ce match sans s’être entraîné sur le terrain du match, on jouait avec de nouveaux ballons : ce n’est pas une excuse, mais quand même... Oui, on avait battu deux fois l’Allemagne auparavant, mais c’est aussi la beauté du foot : on ne peut jamais rien dire à l’avance. Sinon, on ne devrait même pas les jouer, ces matches ! " (Il rigole)

Un truc de famille

La pression, il la vit aussi chaque semaine dans les bois rouches, où il s’est imposé depuis une grosse année. Précédé par quels glorieux aînés…

C’est vrai que mon grand-père (NDLA : Jean Bodart) a joué en D1 à Tilleur, et mon père (NDLA : Vincent Bodart) un peu au Standard comme doublure de mon oncle Gilbert. Je ne me souviens pas avoir évolué à un autre poste, c’était comme une évidence. C’est un rôle unique, on sait que chaque erreur peut coûter un but… mais ça rend fort dans la tête. C’est un poste de pression et de responsabilité, et ça me correspond. Après chaque match, je fais mon auto-analyse : je suis un perfectionniste… mais je ne ressasse pas non plus, il faut pouvoir tourner le bouton quand les choses sont passées. La saison dernière au Standard, je parlais régulièrement avec le coach mental Rudy Heylen : il avait tracé le profil psychologique de chaque joueur, certains plus introvertis, d’autres moins. Moi, je suis quelqu’un qui aime échanger : je suis ouvert aux feedbacks et aux critiques, ça me fait progresser. Mais il ne faut non plus trop réfléchir et écouter les avis extérieurs, hein, sinon vous n’arrêtez jamais ! " (sourire)

" Pas surpris du niveau que j’ai atteint "

Ayant supplanté Mile Svilar dans les bois diablotins, Arnaud Bodart a vu cette semaine sa doublure Gaëtan Coucke aller faire le nombre chez les Diables A, suite aux forfaits de Hendrik Van Crombrugge (blessé) et Thomas Kaminski (Covid positif).

Franchement, je préfère jouer mon match avec les Diablotins qu’aller faire le 4e chez les Diables. Même si je n’ai jamais caché mon ambition : je veux progresser… et jouer pour les Diables un jour est évidemment dans un coin de ma tête. Mais ça viendra… si ça doit venir, et pour l’instant je me focalise sur le Standard et les Espoirs. Si je rêve la nuit de jouer à la place de Thibaut Courtois ? (Il rigole) Non, la nuit je dors comme un bébé… Honnêtement, je ne suis pas surpris du niveau que j’ai atteint. Au Standard, on m’a toujours laissé tranquille, on m’a toujours laissé progresser à mon rythme. J’ai connu des moments difficiles, mais j’ai aussi fait des choix et des sacrifices : mes copains sortaient, moi je m’entraînais. Si j’étais étonné d’être là, ça voudrait dire que mes choix de bosser pour progresser n’étaient pas les bons. Donc non : je ne suis pas là par hasard. "

Arnaud Bodart : "Gardien des Diables ? Je n'ai jamais caché mon ambition…"
Arnaud Bodart : "Gardien des Diables ? Je n'ai jamais caché mon ambition…" © YORICK JANSENS - BELGA

Pas de piston

Premier portier titulaire, depuis… Gilbert Bodart, issu de la formation rouche, Arnaud Bodart est affilié à Sclessin depuis ses 8 ans !

S’appeler Bodart au Standard ? Franchement, c’est un… avantage. Mais on m’a toujours traité comme… Arnaud : pas de passe-droit, pas de piston, pas d’amalgame avec mon oncle Gilbert. Et non, ce dernier ne me parle pas de son parcours, il ne me donne pas de conseils… (Il marque une pause, apparemment les liens sont très ténus…) Moi, j’ai toujours privilégié un style sobre et efficace. C’est lié à ma formation : en U21, j’ai été amené à faire un choix entre le foot et les études… et ayant opté pour le foot, j’ai mis tous les atouts dans mon jeu pour réussir. Chez les pros, il faut être efficace, réfléchi et sobre : je n’ai jamais fait de show, ce n’est pas comme ça que je vais aider l’équipe. Et sortir une envolée dans la lucarne pour faire lever la foule, ce n’est pas mon style. D’ailleurs, avec les huis clos, ce sera difficile ! " (rire)

" Signer à Anderlecht ? Pas possible ! "

Cette semaine, l’actualité rouche a été marquée par le retrait de François Fornieri, candidat investisseur du Matricule 16. Au point que la situation financière du Standard s’inscrit plus que jamais en pointillé...

Les finances, ç’est le boulot des dirigeants, moi je ne me tracasse pas. Mais avec la crise sanitaire et les stades vides, tous les clubs souffrent. Je m’occupe de mon boulot sur le terrain, mais forcément tout cela me touche, car le Standard est le club de mon cœur. J’ai l’âme d’un Liégeois et du Standard : je sais ce que supporters ressentent, je sais comment résonne un derby. Je suis motivé et imprégné par toutes ces choses : si je devais jouer dans un autre club, je serais plus tourné sur ma propre prestation… Signer à Anderlecht ? Non évidemment, ce ne serait pas possible… (Silence) Et voir ma tête sur une banderole à la Defour ? Je ne sais comment je réagirais : ça ne doit pas faire plaisir… mais on connaît les relations entre les deux clans de fans, c’est de bonne guerre. Et si le Standard devait un jour me montrer la porte de sortie ? Impossible de vous dire ma réaction. Je préfère ne pas imaginer… et je n’ai pas le temps d’y penser : on a trop de matches, celui à l’Antwerp était déjà mon 20e de la saison ! " (Il sourit et élude le sujet)

" Standard champion ? Ben oui… "

Une saison de Pro-League que le Standard façon Philippe Montanier gère très honorablement, malgré son extrême jeunesse.

Faire l’Euro avec les Diablotins ou gagner le titre avec le Standard ? Gagner le titre évidemment ! Oui, c’est possible : on est des compétiteurs et nos jeunes ont prouvé à Charleroi et à l’Antwerp qu’ils savaient briller, même dans la souffrance. Quand j’ai commencé, petit, au Standard, l’Académie venait d’ouvrir ses portes. On était dans un cocon : des terrains, des vestiaires et des douches magnifiques. Alors oui, parfois, les jeunes tournent nonchalants et développent des goûts de luxe. Mais c’est la société actuelle qui est comme ça : on se plaint parfois pour des broutilles. Et c’est dans les moments durs qu’on prend conscience de sa chance. "

Admirateur d’Iker Casillas, de Thibaut Courtois (" Une référence mondiale ! ") et Marc-André ter Stegen (" Je les visionne mais je ne veux pas les imiter : je veux, comme chaque gardien, créer mon propre style "), Arnaud Bodart se souvient aussi qu’un soir de décembre 2009, il créchait derrière le but d’AZ Alkmaar quand un portier chauve se mit en tête de placer sa boule…

J’étais ramasseur de balles ce soir-là, je vois encore la tunique blanche du gardien visiteur Sergio Romero. Je vois aussi le coup franc excentré de Benjamin Nicaise et la tête de Sinan Bolat… qui a fait ensuite le tour du stade en courant comme un fou. Chez les jeunes, je marquais parfois… mais seulement des pénos, jamais des actions spéciales ! (rires) C’était le foot de l’amusement et des copains… Aujourd’hui, on lit des choses bizarres sur le milieu du foot pro, on se demande comment c’est possible… mais on apprend à vivre avec. Et sur le terrain, on oublie tout, le match reprend le dessus… "

Arnaud Bodart : "Gardien des Diables ? Je n'ai jamais caché mon ambition…"
Arnaud Bodart : "Gardien des Diables ? Je n'ai jamais caché mon ambition…" © BRUNO FAHY - BELGA

" Mes gants sont mes bébés "

Gardien de gabarit moyen (" C’est avec les attaquants grands de taille que j’ai le plus de souci, sur les coups francs et les duels aérien, Dieumerci Mbokani est le plus malin et le plus complet dans ce domaine "), le dernier descendant des Bodart a aussi ses petits rituels, typiques, de portier.

Nos gants sont nos bébés, c’est notre outil de travail, il ne faut pas l’oublier. On en prend soin, on les bichonne. Moi, quelques heures avant un match, je les trempe dans un évier, je les tords et je les mets à sécher. Mais il faut qu’ils soient encore humides pour le match : mes gants, je les aime mouillés ! "

Témoin actuel du mystère Mehdi Carcela à Sclessin (" Mehdi est le meilleur joueur que j’ai côtoyé, quand il est revenu en Belgique il était intenable, son niveau était extraordinaire, il savait tout faire… "), Bodart n’a pas non plus oublié les cris de douleur, contre Ostende, de Zinho Vanheusden, avec lequel il a fait ses classes d’âge.  

J’entends encore la souffrance de Zinho, j’ai eu très mal pour lui. Je le connais depuis longtemps : il a déjà connu deux grosses blessures au genou, et là il avait enfin une préparation complète derrière le dos. Il ne s’était jamais senti aussi bien, il avait intégré le groupe des Diables… et boum, le coup sur la tête. Mais il a un énorme potentiel, il est très ambitieux et je sais qu’il reviendra plus fort. Mieux vaut peut-être que ça lui arrive à 21 ans que plus tard dans sa carrière… "

" J’aurais été stupide de faire des coups bas "

Éclos chez les pros rouches dans l’ombre de Guillermo Ochoa (" Un top professionnel et un top mec ! "), Arnaud Bodart vit aussi avec Jean-François Gillet la vraie solidarité des portiers : concurrents pour une seule place… et pourtant si unis.

" Jean (sic) est un type exceptionnel, il a la main sur le cœur. Il m’a appris plein de choses et à 41 ans, il reste le premier ambianceur du vestiaire. Il va nous manquer quand il arrêtera… Mais c’est vrai que cet esprit de clan entre gardiens est vraiment typique : on vit les mêmes choses, on a les mêmes sensations, ça unit. Avec Guillermo et Jean, au début, je ne pouvais pas rivaliser en tant que petit jeune : j’aurais été stupide de faire des coups bas ou d’espérer qu’ils se blessent… Et c’est cette belle dynamique et leur aide quotidienne qui m’ont fait progresser et être où je suis aujourd’hui. Moi, je n’aime pas les embrouilles et les coups de gueule… On est sur Terre pour vivre des moments de joie, non ? "

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