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Après le départ des forces étrangères, les talibans redeviendront les maîtres de l’Afghanistan

Lors de récentes discussions à Moscou, la délégation des talibans était conduite par le mollah Abdul Ghani Baradar, l’un des cofondateurs du mouvement.

© Alexander Zemlianichenko / POOL / AFP

Annonce du retrait des troupes américaines d'Afghanistan

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Vingt années d’opérations militaires en Afghanistan se soldent par un cruel retour à la case départ. Septembre 2021 ne sera certes pas identique à septembre 2001, lorsque le groupe al-Qaïda avait réussi à concevoir en Afghanistan les attaques simultanées sur les tours du World Trade Center de New York et le Pentagone à Washington.

L’organisation terroriste n’est plus que l’ombre d’elle-même. Mais leurs parrains talibans sont eux bien là, et prêts à reprendre les rênes du pays. "La situation sur le terrain n’a pas fondamentalement évolué", constate François Géré, le président de l’Institut français d’analyse stratégique à Paris. "Nous retrouvons les mêmes seigneurs de la guerre, avec leurs mêmes clans, nous retrouvons les talibans et nous retrouvons des cellules d’al-Qaïda qui parfois s’appellent Etat islamique. Fondamentalement, rien n’a changé. Ce qui est le plus terrible, c’est que les efforts qui ont été faits pour la reconstruction, pour la promotion de la démocratie, pour le droit des femmes, pour l’éradication de la culture du pavot, rien de tout cela n’est parvenu un succès. Aujourd’hui, on voit que des femmes engagées pour changer la société font à nouveau l’objet d’attaques directes et d’assassinats."

Les militaires américains ne sont pas enthousiastes à l’idée de lâcher trop rapidement le terrain. Ils savent pertinemment ce qui va se passer : une véritable ruée des talibans

Le président américain Joe Biden a décidé que les troupes américaines quitteraient le pays d’ici le 11 septembre, jour du 20e anniversaire des attentats qui avaient provoqué l’intervention occidentale dans le pays. Le délai fixé par son prédécesseur Donald Trump est ainsi allongé de quatre mois, le temps de mettre sur pied un départ coordonné de l’ensemble des troupes de l’Otan. La mission Resolute Support compte encore 9600 militaires de 36 pays, dont environ 70 Belges.

"Les militaires américains ne sont pas enthousiastes à l’idée de lâcher trop rapidement le terrain, commente François Géré. Ils savent pertinemment ce qui va se passer : une véritable ruée des talibans. Ils voudraient donner un petit peu de temps au président Ghani pour organiser les forces de sécurité, mais 4 mois, ça ne va rien changer. On va voir s’intensifier les actions des talibans."

Pas de solution militaire

Ce délai offre néanmoins un peu de temps pour tenter d’arracher un accord politique sur la direction du pays. "Il n’y a pas de solution militaire aux problèmes qui rongent l’Afghanistan. Nous concentrerons nos efforts sur le soutien au processus de paix en cours", explique un haut responsable américain.

Pour mettre fin à la plus longue guerre de l’histoire américaine, Donald Trump avait conclu un accord avec les talibans. Il prévoyait le retrait des forces américaines et étrangères avant le 1er mai, à condition que les talibans empêchent à l’avenir aux terroristes d’opérer depuis l’Afghanistan. Les insurgés devaient aussi entamer des négociations de paix avec le gouvernement de Kaboul.

Ashraf Ghani renâcle

Ces pourparlers, ouverts en septembre, piétinent. Les Américains ont soumis aux belligérants un projet d’accord qui prévoit la formation d’un gouvernement de transition incluant les talibans. Cette équipe dirigera le pays le temps qu’une nouvelle Constitution soit adoptée et que des élections soient ensuite organisées.

Mais le président afghan Ashraf Ghani a sèchement rejeté ce projet américain. Il a présenté son propre plan qui donne la priorité à l’élection présidentielle. Selon des observateurs à Kaboul, le président tient coûte que coûte à se maintenir à la tête du pays, alors que la corruption atteint une ampleur inégalée. "Il fera tout pour rester au pouvoir le plus longtemps possible. Il sait qu’il ne fait pas partie de la future solution", confie un diplomate étranger à Libération.

Coup de Poker

Ashraf Ghani a joué au poker : il a cru qu’une nouvelle fois le départ annoncé des Américains serait reporté aux calendes grecques. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a dû hausser le ton. Dans une lettre très sèche rendue publique, il ne laisse guère le choix au président Ghani, le menaçant de ne plus assurer la sécurité du pays et de lui couper les fonds.

Les vraies négociations sur l’instauration d’un gouvernement provisoire devraient avoir lieu à partir du 24 avril en Turquie, en présence de représentants du gouvernement afghan et des talibans. Mais les talibans refusent de participer à ces discussions tant que les forces étrangères n’ont pas quitté le pays. Pourtant, l’objectif américain est d’installer un gouvernement intérimaire avant leur départ. L’adoption de la constitution et les élections seraient organisées en 2022.

Eviter l’offensive de printemps

Ni le président ni les talibans ne semblent vraiment souhaiter d’élections qu’ils risquent de perdre si elles sont organisées correctement. Les scrutins des dernières années ont été entachés par des fraudes massives et une faible participation.

Réduit à arbitrer la mauvaise volonté des uns et des autres, Washington a dû demander aux talibans de renoncer à leur offensive de printemps pour faciliter leur retrait militaire. S’ils se sont abstenus d’attaquer les forces étrangères depuis leur accord avec l’administration Trump, les insurgés ne se privent pas de harceler les forces afghanes.

Il n’y a pas d’alternative à un gouvernement de coalition à majorité pachtoune, entièrement noyauté par les talibans

Et ils ne comptent pas leur laisser de répit, alors que leurs forces sont aux portes de plusieurs grandes villes. "Kaboul continue à enregistrer des revers sur le champ de bataille et les talibans sont confiants de parvenir à une victoire militaire", écrivent les services de renseignement américains dans un rapport adressé au Congrès.

François Géré confirme que le retour des talibans à Kaboul est inéluctable, une fois les forces étrangères parties : "Il n’y a pas d’alternative à un gouvernement de coalition à majorité pachtoune, entièrement noyauté par les talibans, avec quelques compromis avec les seigneurs de guerre. Peut-être les talibans vont-ils interdire la culture de l’opium, mais on a vu lorsqu’ils étaient maîtres du pays que cette interdiction était détournée pour leur permettre d’acheter des armes. Il n’y a pas lieu d’être optimiste."

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