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Après Jean-Marc Bosman, Lior Refaelov : le foot belge fait vaciller l’UEFA

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Le football européen tremble à nouveau sur ses bases. Ce jeudi, l’Avocat Général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) rendra ses conclusions dans l’affaire qui oppose l’UEFA aux défenseurs d’une Super League européenne, qui mettrait fin à la Champions League actuelle. Et en mars prochain, c’est sur la fameuse question des quotas de joueurs formés localement que sera prise une décision. L’enjeu, c’est, au bas mot, un nouveau séisme façon Arrêt Bosman (décembre 1995), qui avait démantelé tout le système de transferts du football mondial.

Ces 3 prochains jours, on vous raconte aussi comment la fin de la FIFA et de l’UEFA sont peut-être programmées… Episode 1 : et si ce bon vieux Lior Refaelov remettait les clubs belges sur la carte du foot européen ?

Crochet court, passe diagonale, double contact, vista : malgré ses 36 ans et demi, Lior Refaelov conserve les beaux restes du joueur déroutant que toute la Belgique footeuse connaît. L’Antwerp y croit très fort : quand il engage le Brugeois en août 2018, il l’embauche comme joueur " belge " car l’Israëlien dispose d’un double passeport. Le détail est d’importance : depuis 2005, l’UEFA impose dans chaque noyau professionnel de 25 joueurs un quota de 8 joueurs à statut national. Argument avancé par l’UEFA : il faut protéger la formation locale et les pépites des clubs nationaux face à l’invasion de joueurs étrangers, profitant de la libre circulation.

Lior Refaelov, Soulier d'Or 2020
Lior Refaelov, Soulier d'Or 2020 © BELGA

Sauf qu’un peu plus tard, l’Union Belge modifie son règlement et conditionne ce statut au seul fait d’avoir été formé en Belgique… durant au moins 3 saisons entre 15 et 21 ans (transposition du Règlement UEFA), et plus – alternativement – au fait d’être " belge ".. Conséquence : d’un jour à l’autre, Lior Refaelov n’est plus considéré comme " formé localement " ! L’Antwerp doit recomposer son noyau… et décide d’attaquer l’URBSFA et l’UEFA, car il juge le règlement contraire à la libre circulation des travailleurs. C’est le début de l’affaire qui nous occupe.

Le mythe de la " formation locale "

Imaginons la situation suivante : Charleroi dispose d’une jeune pépite belge, mais très jeune, ce garçon rejoint le club de Reims. Même chose avec un talent belge de l’Excelsior Mouscron qui rejoindrait, très jeune, et quelques kilomètres plus loin, le LOSC lillois. L’exemple vaut aussi pour des produits du Standard ou de Genk qui fileraient, avant leurs 16 ans, à Aix-la-Chapelle et au PSV Eindhoven, juste derrière la frontière. Après 3 ans de formation, ces jeunes Belges seraient dès lors considérés comme… français, allemand et néerlandais (homeground players, " joueurs formés localement ") ! Ne cherchons pas très loin : c’est exactement le cas d’Eden Hazard, de Divock Origi et autre Kevin Mirallas qui, partis très tôt pour Lille, avaient le statut de joueur français…

Le jeune Eden Hazard, produit... français car formé à Lille
Le jeune Eden Hazard, produit... français car formé à Lille © BELGA

C’est le cœur de l’affaire Refaelov : les avocats de Antwerp avancent que, sous couvert de protection de la formation locale, la législation UEFA favorise en fait les grands marchés ! Car c’est statistique : les grands pays ont, du fait de leur taille, un vivier bien plus large pour détecter les talents.

" Le système actuel appauvrit les petits pays "

Et, tiens, tiens, c’est le père de l’Arrêt Bosman (1995), Jean-Louis Dupont (associé à Martin Hissel) qui défend ce dossier pour le Great Old... " Depuis l’arrêt Bosman, le foot professionnel européen évolue dans un marché unique " explique l’avocat liégeois. " Sauf que l’UEFA oblige toujours les clubs à produire dans les limites de leur pays. Les meilleurs joueurs des petits Etats membres ont donc migré vers les grands Etats, et les clubs de ces petits pays (NDLA : plus de 20 sur les 27 de l’Union Européenne…) se sont donc appauvris : plus question pour des clubs comme Anderlecht ou le Steaua Bucarest, voir même pour l’Ajax, de simplement rêver de gagner une compétition européenne ! Quand l’UEFA impose à tous les clubs d’avoir 8 de leurs 25 joueurs " formés localement ", c’est la double peine pour les clubs des petits Etats. Ainsi, le pool de recrutement de l’Antwerp est 8 fois plus petit que celui de Dortmund… Et comme les meilleurs jeunes Belges, dès 16 ans, vont se former à l’étranger, les clubs belges forment bel et bien des jeunes Belges… mais ce ne sont pas les plus prometteurs ! "

Jean-Louis Dupont, le père liégeois de l'Arrêt Bosman
Jean-Louis Dupont, le père liégeois de l'Arrêt Bosman © BELGA

Déjà défavorisés par leur superficie, les petits pays (comme la Belgique) ont donc un vivier d’autant plus réduit… que les meilleurs talents locaux partent très tôt. C’est l’exemple, cité plus haut, des Hazard, Origi et Mirallas. A l’arrivée, les clubs belges seront contraints de se tourner vers des jeunes joueurs belges (ou étrangers, car souvent moins chers pour raisons fiscales…) de 2e ou 3e garniture.

C’est l’argument-choc de l’Antwerp : sous couvert de protéger la formation locale et de soutenir la compétitivité des petits championnats, le modèle territorial de l’UEFA défavorise les clubs des petits Etats et les empêche de rivaliser avec les grands. Pire : l’UEFA creuserait ainsi le fossé avec les grands championnats, impact détonnant d’une autorité s’attribuant comme mission première " la promotion et le développement du football en Europe ".

Villareal touche 10 fois plus en droits TV que l’Ajax... et l’Antwerp !

Revenons à l’Antwerp façon Paul Gheysens : un milliardaire ayant fait fortune dans la brique se met en tête d’investir lourdement dans le Matricule 1 pour en refaire un grand de Belgique et, à terme, un club à visée européenne. Malgré le statut de plus grande ville du pays et la présence du Port d’Anvers (premier port d’Europe depuis sa fusion avec Zeebrugge) et du secteur diamantaire, le Great Old bute sur une réalité financière qui est celle des petits pays : les droits de télévisions (première source de financement des clubs pros aujourd’hui) ne décollent pas, limités par l’exigüité du marché.

Paul Gheysens (à droite), Président de l'Antwerp, avec Bart De Wever (à gauche), Bourgmestre d'Anvers
Paul Gheysens (à droite), Président de l'Antwerp, avec Bart De Wever (à gauche), Bourgmestre d'Anvers © BELGA

Illustration frappante : un gros village comme Villareal (40.000 habitants) en Espagne voit son club jouer les demi-finales de la Champions League car il touche chaque saison de la Liga 65 millions d’euros de droits TV pour bâtir une équipe compétitive… alors que l’Ajax assiste chaque saison à l’exode de ses meilleurs joueurs car ses droits TV plafonnent à seulement 6 (!) millions d’euros – comme, d’ailleurs, l’Antwerp. Traduction : il vaut mieux porter les couleurs d’un hameau au sein d’un grand marché… que d’une grande ville d’un tout petit pays. C’est d’ailleurs la vocation de la Beneleague portée par les grands clubs belges… mais qui ne convainquent pas les petits : élargir le vivier de compétition pour booster les droits de télévision.

Le retour du spectre ESL

Élargir le terrain de jeu : c’est ce que réclame les conseils de l’Antwerp Maîtres Dupont et Hissel qui (rien n’arrive par hasard compte tenu de leur expertise en droit du sport européen...), sont aussi ceux de l’European Super League (ESL) ! Rappelez-vous l’ESL, ce grand projet de Coupe d’Europe 2.0 porté par les grands clubs européens et qui, en avril 2021, a mis l’UEFA et son Président Aleksander Ceferin au bord de l’infarctus.

Martin Hissel (à gauche), acolyte de Jean-Louis Dupont, lors d'une audience à l'Union Belge
Martin Hissel (à gauche), acolyte de Jean-Louis Dupont, lors d'une audience à l'Union Belge © BELGA

Un an et demi plus tard, le torchon brûle toujours et le dossier reviendra devant la Cour de Justice européenne dès ce 15 décembre. On attend les conclusions de l’Avocat Général sur ces questions… et elles menacent d’être sanglantes pour l’UEFA. Et sachant que les magistrats de la Cour suivent généralement la ligne tracée par l’Avocat Général, on est sans doute ici au pied d’un nouveau schisme pour le football européen.

Avec quelle solidarité entre les riches et les pauvres ? Et un vrai risque de mise à mort du football de proximité ?

 

Ce mardi : "Les grands clubs européens s’attaquent à l’UEFA – vers un nouvel Arrêt Bosman… au nom de la solidarité avec le plus pauvres ?"

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