Sophie Creuz nous parle du roman de Colum McCann qui paraît aux éditions Belfond et qui a pour titre "Apeirogon".
Le deuil parental en plein conflit israélo-palestinien
Apeirogon n’est pas le nom d’un apéritif ou d’un purgatif, non c’est une forme géométrique, au nombre infini de côtés.
Colum McCann, écrivain irlandais bien connu et auteur d’une œuvre abondante, se plonge ici dans le conflit israélo-palestinien, en s’attachant à deux personnes réelles, deux pères de famille, l’un Israélien, l’autre Palestinien, qui ont perdu un enfant dans un attentat. À l’issue de ce drame, ils ont décidé de rejoindre le Cercle des Parents, une association qui réunit des parents endeuillés, Juifs et Arabes de Cisjordanie.
Avec les difficultés qu’on imagine. D’où le nom de cette figure géométrique compliquée ? Certainement.
Colum McCann nous apprend que l’apeirogon ressemble à un cercle, mais, quand on resserre la focale, on s’aperçoit qu’il comporte une infinité de lignes droites qui se touchent. C’est ce qui l’intéresse, et c’est bien la forme que prend son roman qui progresse de cercles en cercles, par petites touches, en courts chapitres qui mettent en vis-à-vis l’histoire antique et récente de cette terre à la fois sainte et martyre, laïque et socialiste, mais aussi hélas fondamentaliste, militaire, nationaliste. Et Colum McCan montre combien l’histoire personnelle de chacun est directement impactée par la géopolitique. Et combien le drame, qui frappe ces deux pères, a commencé bien avant eux, en amont. Ils le savent d’ailleurs : ils sont otages et victimes de l’histoire.
Un livre engagé pour la paix
Colum McCann est Irlandais, de Dublin mais il a vu les dégâts des guerres fratricides en Irlande du Nord et peut-être cela l’a t-il rendu sensible aux inextricables liens que les frères ennemis partagent, à commencer par la douleur et le chagrin.
C’est bien ce qui rassemble Bassam et Rami, les deux pères de ce roman-vrai. La perte de leur fille. L’une tuée par un soldat israélien de 18 ans, l’autre par de jeunes kamikazes du Hezbollah qui se sont fait exploser à Jérusalem. Faites le compte, cela fait beaucoup de familles effondrées, beaucoup de désespoir.
Colum McCann fait donc entendre toutes les voix, tous les ressentiments, toutes les douleurs mais aussi toute la sagesse de ces hommes blessés sur plusieurs générations, depuis leurs grands-parents. Et ces deux pères que la mort a fait se rencontrer, montrent qu’une autre voie est possible, que le dialogue, l’empathie pour la souffrance de l’autre mais aussi pour ses espérances légitimes, est possible.
Une forme courte
La forme est aussi remarquable que le fond car elle permet des incises, des apartés, des mises en perspective bien documentées, des raccourcis troublants, qui interpellent. Comment des victimes deviennent bourreaux, par exemple.
Il n’y a pas de morale dans ce livre, délicat, équilibré, poétique, respectueux, qui insère à la fois des vers du poète palestinien Mahmoud Darwich, et l’humour grinçant de l’écrivain israélien Etgar Keret, pour montrer à la fois la beauté et l’absurdité de la vie et de la haine.
Et la fragilité des oiseaux, des enfants, des rires planent aussi sur ces pages qui composent un chant bouleversant, intelligent, critique, qui fait de ce livre un grand livre. Il est en lice d’ailleurs pour le prix Femina étranger et Steven Spielberg a déjà acquis les droits.
"Apeirogon" de Colum McCann est paru chez Belfond, dans la traduction de Clément Baude.