Annulation de la tournée "Multitude" : Stromae remontera-t-il un jour sur scène ?

Stromae, c’est un ultra-perfectionniste. C’est aussi un artiste qui a plein de facettes : il s’occupe de l’écriture, la composition, l’enregistrement des morceaux, le mixage, le mastering, et la tournée avec son visuel, ses costumes, toute la robotique qui entoure cette tournée, le choix des musiciens etc.

Stromae a une structure qui s’appelle Mosaert. Une toute petite structure familiale dans laquelle il travaille avec son frère, sa femme et quelques collaborateurs. Cette structure familiale gère tous les aspects du business et délègue extrêmement peu. Il a donc sur ses épaules un poids difficilement supportable. Probablement que c’est une des grosses raisons.

On a aussi beaucoup parlé des sept ans de "pause" de Stromae, mais il n’a pas arrêté pendant ces sept ans. Il n’est pas parti en vacances aux Bahamas, il a beaucoup travaillé : il a réalisé des clips, notamment pour Yael Naim, il a travaillé avec Vitaa sur des titres, pour le défilé de sa femme il a fait un morceau, il a travaillé sur son album Multitude…

C’est quelqu’un qui n’arrête jamais. Il a continué à envoyer de l’énergie pour pouvoir nourrir ses différents projets, et tous les aspects de ces projets.

On a vu ces dernières années un bouleversement total de l’industrie musicale. Les artistes ne vendent plus d’albums physiques. Les plateformes de streaming, qui sont devenues la norme, leur rapportent peu. Il y a clairement une tendance ces dernières années où la scène est devenue le principal pourvoyeur de liquidités pour les artistes.

Mais quand on est Stromae, on a énormément d’écoutes sur les plateformes de streaming et donc on a encore des rentrées d’argent à ce niveau-là. Stromae a évidemment encore des rentrées d’argent grâce à ses titres qui sont beaucoup diffusés en radio, et tous les artistes n’ont pas cette chance-là. Mais quand on voit le Multitude Tour, la production est incroyable. C’est énorme, ça coûte énormément de sous, et donc il a besoin d’avoir de l’argent en amont pour pouvoir l’injecter dans la tournée.

C’est vraiment un cercle vicieux. Comme les artistes n’ont plus vraiment de revenus en dehors de la scène, ils sont obligés de faire énormément de scène. Et il y a des artistes qui ont explosé en plein vol. On pense au DJ Avicii qui s’est tué, Loïc Nottet qui dit avoir des phases difficiles parce qu’il doit tout porter sur ses épaules et doit tout contrôler. Céline Dion, c’est pour des problèmes qui sont davantage d’ordre physique.

Il ne faut pas oublier que la scène, c’est une énergie considérable. Il faut être dans une forme physique absolument éblouissante. Chaque fois que vous montez sur scène, c’est le Grand Chelem de Roland Garos ou la finale de la Coupe du monde, il faut tout donner.

Il y a aussi un volet très compliqué à gérer psychologiquement, c’est que vous êtes sur scène devant des milliers de personnes, puis vous vous retrouvez tout seul dans votre chambre d’hôtel. Ça a toujours été le cas, mais comme ils sont beaucoup plus en tournée, ils ont beaucoup plus ces phases de solitude. Avant ils pouvaient encore rentrer chez eux entre deux dates, ce n’est plus possible maintenant.

Stromae avait dit qu’il ferait attention avec cette Multitude Tour, en faisant peu de dates et en écoutant son corps. Il y avait quand même 91 dates qui étaient prévues, et il en a presté la moitié. Donc il a tenu jusqu’à la moitié du parcours.

Il ne faut pas oublier non plus que Stromae est un artiste international et qu’il tourne dans le monde entier. Il n’arrête jamais, et finalement je pense qu’il s’est laissé prendre à son propre jeu.

La grosse question que tout le monde se pose, c’est : est-ce que Stromae pourra un jour remonter sur scène ? Psychologiquement, ça doit être très compliqué de réembarquer dans une tournée en sachant que la tournée d’avant ne s’est pas bien passée, et que la tournée Racine Carrée s’est aussi achevée de façon très compliquée. Il faut vraiment avoir un mental d’acier et de sportif.

Il y a tout un problème d’argent aussi, de liquidités et d’assurances. Quand les artistes ne parviennent pas à terminer une tournée, est-ce que les assurances pourront financer la tournée d’après ? C’est le gros point d’interrogation.

On pourrait peut-être revoir Stromae dans des formules plus légères qui permettraient plus de flexibilité. Mais est-ce que c’est ça qu’il a envie de proposer à son public ? Stromae, ce n’est pas un artiste qui monte sur scène avec une guitare. C’est une façon de rentabiliser les tournées, mais Stromae c’est un artiste qui nous en met plein la vue.

Est-ce que le public, dans sept ans, dans dix ans, sera encore là pour se dire qu’il a envie d’aller voir Stromae en salle, mais dans une configuration différente ? Stromae en version acoustique, je n’y crois pas beaucoup.

C’est une conjonction de plein de choses. Il y a des artistes qui arrivent au bon moment, avec les bonnes chansons, avec le bon projet, avec de la chance. La musique pop est toujours la traduction de ce qu’est la société, et donc Stromae comme Angèle décrivent exactement ce qu’est la société actuelle et décrivent aussi leur génération.

Stromae a développé plein de thématiques ultra-porteuses et dans l’air du temps : Papaoutai qui traite de la relation au père, Tous les mêmes qui est la place de la femme, Carmen c’est sur les réseaux sociaux. Il colle tellement, qu’à un moment il y a un effet boule de neige.

À partir du moment où le public va s’intéresser à un artiste, ça veut dire que cet artiste vend encore des albums physiques. Le dernier album de Stromae s’est quand même vendu à plus de 300.000 exemplaires. Ça vend, ça fonctionne sur les plateformes, ça veut dire que ça va passer en radio, si ça passe en radio ça veut dire que ça remplit des salles et que les médias s’y intéressent.

C’est aussi des artistes qui ont compris dès le départ qu’un artiste est un tout, et que maintenant on vend aussi une image. Stromae a des visuels qui sont dingues, il y a une ligne de vêtements, il y a une proposition artistique, et donc c’est une conjonction de tout ça qui fait qu’à un moment tout le monde s’y intéresse.

On le voit bien sur VivaCité, qui met en avant les artistes belges. Quand on publie un article sur Stromae, ça fonctionne beaucoup plus qu’un article sur d’autres artistes belges qui génèrent moins ce phénomène d’emballement. Tout à coup il y a un phénomène d’emballement et ça fait boule de neige, quitte parfois à soûler une partie du public qui n’adhère pas du tout à Stromae ou Angèle, et qui sont complètement gavés parce qu’on leur en sert trop à longueur d’années.