Langue et religion
L’ouvrage nous fait voyager notamment en Mésopotamie. La religion y disparaît-elle parce que l’écriture et la langue ne sont plus comprises ? Ou est-ce le contraire, comme la religion n’est plus dominante, il n’y a plus d’intérêt pour cette langue et cette écriture ?
Anne Morelli fait le parallèle avec d’autres situations. Les Juifs d’Alexandrie, à un certain moment, ne comprennent plus l’hébreu et il faut alors faire une version de la Bible qui leur soit compréhensible. Chez nous, la majorité de la population ne comprenait pas la messe dite en latin. Il peut donc y avoir un lien entre langue et religion, mais il est difficile de savoir laquelle entraîne la disparition de l’autre.
Que fait-on des temples du vaincu ?
A Rome, au début du 4e siècle, plusieurs religions coexistent. Il n’y a donc pas de problème pour que le christianisme s’implante, pour autant que la nouvelle religion observe les obligations politiques de rigueur. Mais il va y avoir concurrence, à l’intérieur de l’Empire romain, entre le christianisme et la religion de Mithra, avec de vraies campagnes de propagande contre cette dernière, accusée de cultes maléfiques et sanglants. Les temples des lieux de culte de Mithra seront détruits.
"On se pose toujours les mêmes questions pour toutes les fins de religions : que fait-on des temples du vaincu, de ses prêtres, de sa langue, de ses objets liturgiques, de ses croyances et de ses prières ? Il est intéressant de voir sur le temps long qu’il y a des réponses communes", observe Anne Morelli.
Colonialisme et religion
Les colonisations ont provoqué la disparition des cultes des pays colonisés. Au Mexique, par exemple, colonisé par les Espagnols au 16e siècle, le christianisme s'installe dès le début. Une fin de la religion amérindienne est imposée de l’extérieur, avec violence. Pas de quartier pour les prêtres, les temples, les croyances, tout doit être éradiqué. C’est une conquête spirituelle.
Les colons sont convaincus de faire une bonne action en convertissant les autochtones, en les menant vers la 'vraie' religion. Ils confortent ainsi les visées colonialistes des pouvoirs politiques. Pour détruire les religions en place, ils vont détruire les idoles, vont pratiquer le baptême forcé. Les colonisés vont changer de religion sous la pression physique, mais aussi pour avoir les faveurs de l’occupant et obtenir un poste plus intéressant.
Les églises chrétiennes se sont la plupart du temps installées sur des temples païens, que la population avait l’habitude de fréquenter. On a simplement changé le dieu qui habitait ce temple.
Mais les mêmes questions se posent : que sont devenus ces prêtres qui n’ont sans doute pas été exterminés jusqu’au dernier, que sont devenues ces croyances, qui se retrouvent encore dans un certain nombre de pratiques ? Quelle est la résistance face à l’éradication d’une religion, de la part des prêtres et des fidèles ? Le succès de cette éradication de la religion amérindienne semble en effet mitigé. Les fidèles, sous un christianisme extérieur, ont continué à pratiquer leur religion intérieure.