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Anglais et chinois au JT : pourquoi on ne les traduit pas de la même façon ?

© RTBF

Par Un article Inside de Jérôme Durant, Journaliste à la rédaction Info

C’est une réflexion de téléspectateurs, parvenue jusqu’aux oreilles de notre rédaction, et qu’on pourrait résumer ainsi: "dans vos journaux télévisés, pourquoi sous-titrez-vous les interviews en néerlandais, alors que vous doublez les propos d’un interlocuteur qui s’exprime en thaï ?"

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L’observation est juste : le JT de la RTBF sous-titre systématiquement les propos en néerlandais et en anglais. Les autres langues font l’objet d’une traduction orale par un journaliste, ce qu’on appelle un doublage. Une stratégie différenciée que vous pouvez constater dans ce récent sujet où interviennent les présidents américain et chinois, deux personnalités à qui la RTBF ne réserve pas le même sort.

Le sous-titrage permet un meilleur éveil linguistique

Ce "deux poids, deux mesures" renvoie à nos missions de service public et à nos obligations vis-à-vis de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui a la tutelle sur la RTBF. "Cette règle, nous l’avons spontanément proposée lors de la confection du dernier contrat de gestion, contextualise Bruno Clément, le rédacteur en chef du JT. Le but est d’éveiller nos téléspectateurs au néerlandais et à l’anglais. Le sous-titrage permet un meilleur éveil linguistique, car avec le doublage, on entend à peine la langue d’origine."

Les journalistes du JT s’autorisent une seule exception à cette règle. "Si on reçoit un extrait d’interview en néerlandais moins d’une heure avant sa diffusion, explique Bruno, on double. Dans ce cas, l’urgence le justifie, car le sous-titrage prend beaucoup plus de temps que le doublage."

Avant, on sous-titrait quand on trouvait une voix jolie

La nouvelle règle instituée en 2019 a le mérite de la clarté, selon Wahoub Fayoumi, journaliste à la rédaction internationale. "Avant, il n’y avait pas de règles. Dans les faits, on doublait quasiment tout le temps. On sous-titrait au cas par cas, quand on trouvait une voix jolie ou une expression intéressante, par exemple."

Cette attention portée à l’apprentissage de l’anglais et du néerlandais via le sous-titrage, on la retrouve de l’autre côté de la frontière linguistique. Certains médias flamands vont même plus loin en ne traduisant pas les propos d’intervenants francophones. C’est le cas de Radio 1 (VRT) ou de Bruzz, le média des Flamands de Bruxelles.

Mais revenons à la RTBF, où le déclenchement de la crise sanitaire et la généralisation du télétravail en mars 2020 ont modifié pour quelques mois la nouvelle règle. Du jour au lendemain, les journalistes n’ont plus eu accès aux cabines de sonorisation et se sont donc mis à sous-titrer tous les propos étrangers, qu’importe la langue.

"Mais, des gens se sont plaints à la rédaction du JT du fait que cela les perturbait de lire et d’écouter en même temps", explique Wahoub. "Il s’agissait surtout de personnes malvoyantes qui n’étaient pas contentes, précise Caroline Hick, responsable de la rédaction internationale. Quand tu sous-titres du lingala ou du portugais, c’est évidemment encore bien moins compréhensible que du néerlandais ou de l’anglais." La règle en vigueur avant la crise sanitaire a donc été rapidement rétablie.

Des traductions aussi fiables que possible

Sous-titrage ou traduction, au final, l’essentiel est de ne pas trop perdre en nuance en cours de traduction et d’éviter les erreurs. Malgré des efforts considérables au sein de la rédaction, des coquilles se glissent parfois dans nos sujets. Les internautes ne manquent d’ailleurs pas de les pointer du doigt sur les réseaux sociaux, comme ici à propos d’un sujet réalisé dans le cadre de la COP 26.

Capture d’écran de la coquille dans le sous-titre, repéré par un internaute sur les réseaux sociaux.
Capture d’écran de la coquille dans le sous-titre, repéré par un internaute sur les réseaux sociaux. © Tous droits réservés

Alors la rédaction du JT manque-t-elle de rigueur lors des traductions ? "Je trouve qu’on a plutôt un bon niveau, dit Bruno, le rédacteur en chef. Certains journalistes sont même traducteurs de formation. Alors oui, certains se font encore avoir par les ‘faux amis’, des erreurs arrivent parfois, mais leur nombre est de l’ordre de l’admissible. Je les attribue à de la malchance et je parlerais d’ailleurs plus de coquilles que d’erreurs."

Une dizaine de langues parlées

Il fut un temps où les journalistes de la RTBF pouvaient compter sur des traducteurs au sein même de l’entreprise, ce n’est plus l’usage aujourd’hui, en tout cas pour les courts sujets d’actualité chaude. "Aujourd’hui, c’est un peu la débrouille. Ces traductions rajoutent beaucoup de poids sur les épaules des journalistes. T’as vraiment peur de sortir quelque chose d’inexact", estime Wahoub.

Les traductions, c’est le lot quotidien de nos journalistes de la rédaction internationale. Impossible évidemment de maîtriser l’ensemble des langues de la planète, mais la rédaction inter est plutôt bien armée. "Un journaliste qui ne parle pas anglais ne peut décemment pas travailler à la rédaction internationale de la RTBF, détaille Caroline Hick. En général, nos journalistes parlent trois, voire quatre langues. Cela signifie qu’une dizaine de langues sont comprises à la rédaction. On s’entraide évidemment et on peut aussi toujours compter sur des collègues non-journalistes mais bilingues à d’autres étages de la RTBF pour des traductions compliquées."

Des langues, Wahoub en parle ou en baragouine six, dont l’arabe, mais cela ne lui rend pas plus facile de sauter du polonais à l’hindi, parfois dans la même journée.

Attention aux traductions en cascade

Deux cas de figure sont à distinguer : d’un côté, les interviews télé faites sur le terrain par nos équipes (on y reviendra) ; de l’autre côté, les images reçues des agences de presse implantées dans le monde entier. "Là où c’est pratique, explique Wahoub, c’est que les agences fournissent avec les images un document écrit reprenant la traduction de la langue originale vers l’anglais." A charge alors pour le journaliste maison de traduire à nouveau vers le français. Avec le risque de perdre en nuance au fil de cette double traduction ? "Ce n’est peut-être pas toujours dit avec le mot parfait, mais le sens est tout à fait correct", répond Caroline.

Cette première traduction par les agences dans une langue aussi usitée que l’anglais facilite clairement la vie des rédactions. "Mais parfois, la traduction met un certain temps à arriver. Du coup, si t’es en train de faire un sujet sur l’Inde, t’es vraiment bloquée", sourit Wahoub. Ce délai entre arrivée des images et de la traduction, Caroline s’en souvient. "Quand Carles Puidgemont a déclaré l’indépendance de la Catalogne, en langue catalane, il devait être 19h23, se rappelle notre collègue. L’information est évidemment capitale. A la rédaction, on était trois à parler espagnol, et moi un petit peu catalan. On s’est repassé l’interview trois fois pour être certains qu’on avait tous bien compris la même chose."

Reste encore un écueil à franchir avec ces images et traductions textuelles envoyées par les agences. Quand il s’agit de langues rares ou aux sonorités inhabituelles, les journalistes ont parfois bien difficile à faire correspondre le texte du doublage avec l’extrait sonore original. "C’est un vrai gros problème, admet Wahoub. On coupe un peu à l’instinct. On croise les doigts, on se rassure en disant qu’on va tout de même couvrir les propos originaux avec une autre voix et que les téléspectateurs avertis n’entendront pas l’erreur éventuelle."

Sur le terrain, la confiance en son fixeur au centre de tout

Les journalistes inter de la RTBF réalisent également de nombreux reportages eux-mêmes à l’étranger. De manière générale, "on se débrouille pour demander à la personne en face de parler anglais. Cela fonctionne souvent très bien, mais pas toujours."

Lorsque l’autochtone ne parle que sa langue, le journaliste peut alors compter sur ce qu’on appelle un fixeur. "C’est une sorte de guide que je contacte avant de partir et qui va débroussailler le terrain pour que je ne sois pas perdue dans un pays dont je ne comprends pas la langue, explique Wahoub. C’est ce fixeur ou cette fixeuse qui va traduire tes questions et te traduire les réponses de ton interlocuteur."

Wahoub Fayoumi dans une famille de la minorité rom de Serbie, en 2018.
Wahoub Fayoumi dans une famille de la minorité rom de Serbie, en 2018. © RTBF

Une pratique au cours de laquelle l’entretien peut perdre un peu en spontanéité, souligne Caroline : "on ne sait pas bien rebondir sur les réponses. En coulisses, pour les équipes, cela alourdit aussi considérablement le travail. Tu peux passer des soirées entières avec ton fixeur à déchiffrer mot à mot des interviews de 20 minutes. "

Caroline Hick, dans un hôpital syrien en 2019, au plus près des victimes de Daesh.
Caroline Hick, dans un hôpital syrien en 2019, au plus près des victimes de Daesh. © RTBF

Le fixeur est donc un maillon essentiel dans la chaîne de traduction. Reste à trouver la bonne personne, avec qui peut s’instaurer une relation de confiance. "On a des fixeurs réguliers qu’on reprend car on est contents de leur travail. D’autres ne sont pas du tout pertinents, mais on ne peut s’en rendre compte qu’à l’expérience, regrette Wahoub. Parfois, tu te rends compte trop tard que ton fixeur a traduit de manière très imprécise. La dernière fois, j’ai dû utiliser la reconnaissance vocale de mon smartphone pour vérifier des traductions qui me semblaient étranges", sourit notre collègue.

Entre débrouille, système D et entraide entre collègues, ce sont chaque jour quelques petits miracles qui se produisent à la rédaction pour qu’aboutissent sur nos plateformes des contenus traduits aussi fidèlement que possible.

►►► Cet article n’est pas un article d’info comme les autres… Sur la page INSIDE de la rédaction, les journalistes de l’info quotidienne prennent la plume – et un peu de recul – pour dévoiler les coulisses du métier, répondre à vos questions et réfléchir, avec vous, à leurs pratiques. Plus d’information : là. Et pour vos questions sur notre traitement de l’info : c’est ici.

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