Amour et paysage aux Musées des Beaux-Arts de Belgique : Johan Mullem "For Love's S[n]ake!"

Une incantation à l’Humanité

Devant les fresques dessinées (l’une fait onze mètres de long) de Johan Van Mullem, avec ses personnages "christiques" et un foisonnement de symboles, on a du mal à ne pas être dans l’emphase. Le travail est grandiose, par ses formats, par son thème : l’Humanité rien de moins, son style et sa maîtrise. L’œuvre résonne parfaitement avec les tableaux du Musée d’Art Ancien. On nous conseille, d’ailleurs, de nous y attarder un moment avant de pénétrer dans l’exposition. Avec des titres comme "Deliverence" (délivrance), "Reverence" (révérence, respect, dévotion) ou "Renewal" (changement, renouveau) on est manifestement dans l’introspection : on entre dans le cerveau de l’artiste et c’est plutôt tumultueux, comme son iconographie baroque. L’Homme est souvent représenté âgé et barbu comme Dieu le père, mais Johan Van Mullem explique que cette représentation fait simplement partie de son éducation. On raconte (chez les Van Mullem) l’histoire de l’humanité par la religion chrétienne.

Dans les 11 mètres de "Reverence", dont on peut voir les détails dans la vidéo ci-dessous, il est question de nos racines avec un dessin où s’entremêlent des visages de plusieurs générations, de la création avec sexes et spermatozoïdes (parfois Van Mullem ne fait pas dans la suggestion !) ou encore de la transmission.

Dans "Renewal", la métamorphose est très élégamment représentée par un cœur, excroissance d'un arbre de vie - qui semble constitué de tissus humains - visité par des papillons magnifiques, légers et éphémères. Un symbole, explique l’artiste, de la mutation permanente de nos identités, nos désirs, nos espoirs.

L’ensemble est laissé à notre interprétation, tout comme l’ambivalence du titre " For Love’s Sake !", un sentiment d’impatience qu’on pourrait traduire ici "de l’amour pour l’amour du ciel !"; l’amour autour duquel s’insinue le serpent (snake) aux multiples symboles : la tentation, le péché originel chrétien, mais aussi la prospérité et la transformation dans la culture chinoise.

Tableaux d’un lointain paysage

Autre salle et autre stupéfaction devant les couleurs lumineuses et le mouvement dans les grandes toiles au premier abord abstraites et qui sont autant de paysages ramenés à l’essentiel des formes et du geste. Van Mullem n’utilise pas l’acrylique, mais l’encre épaisse de gravure et d’imprimerie qui donnent cette luminosité. Les couleurs se superposent plus qu’elles ne se mélangent et quand on sait qu’un tableau peut contenir 30 couches partiellement recouvertes, on comprend la profondeur et l’énergie de la gestuelle.

En contraste, de petits tableaux aux tons pratiquement pastel et comme floutés sont des rêveries du peintre, des paysages imaginaires pour rêve éveillé. Une manière qu’on peut s’amuser à retrouver dans ce département des arts anciens avec les arrière-plans bleuâtres et verdâtres des tableaux du XV et XVIe.

Une promenade d’après-Covid

Ces tableaux sont des balades qui donnent de l’air au cerveau et peut-être un brin de sérénité. Enfermé chez lui, l’artiste regarde son jardin… Et le découvre comme un paysage. Une envie d’espace et de rencontre. La nature est une nouvelle histoire à raconter. Les grands dessins expriment son jardin intérieur, la nature notre jardin commun extérieur. Jusqu’ici artiste centré sur lui-même (sans être asocial précise le père de famille !), l’après-covid provoque une transformation : une ouverture vers l’autre.

L’inconscient Van Mullem

Même si on a du mal y croire, l’artiste explique travailler sans filet, laissant libre cours à son " inconscient " avec pour seule balise l’équilibre à l’intérieur de l’image. Donc sans dessin préparatoire une fois choisi le thème de la fresque. Et de façon moins inhabituelle, sans savoir où les encres et les couleurs le mèneront dans ses toiles.

Tout le travail est une " révérence à la vie " selon la formule du peintre. " Soyons conscients que nous sommes vivants " dit-il en conclusion. Positif, Johan Van Mullem, qui se garde bien de nous montrer une face moins lumineuse de l’humanité.

Johan Van Mullem For Love’s S [n] ake ! Du 31 mars au 20 août 2023 aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique.