Belgique

Aménager son temps de travail est possible depuis fin novembre : près de 5 travailleurs sur 1000 concernés jusqu’à maintenant

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Par Jean-François Noulet, avec S. Lepage, L. Van de Berg et C. Loriaux

Depuis fin novembre 2022, les travailleurs ont la possibilité de demander à leur employeur d’aménager leur temps de travail. Il est ainsi possible de répartir ses heures de travail sur quatre jours au lieu de cinq, par exemple. On peut aussi imaginer un travailleur qui presterait plus d’heures une semaine et moins la semaine suivante. Dans tous les cas, il faut l’accord de l’employeur.

Quelques mois après l’entrée en vigueur de cette législation, on constate un démarrage timide. Selon les estimations, environ 5 travailleurs sur 1000 seraient actuellement concernés par une telle formule d’aménagement du temps de travail.

Un meilleur équilibre vie privée – vie professionnelle

Lorsque la possibilité de tester une formule d’aménagement du temps de travail lui a été offerte par son employeur, Hicham Al Bouhali a franchi le pas. Il travaille pour SD Worx, une société active dans les ressources humaines et le secrétariat social où il est chargé de projet. Pour le moment, il est dans ce qu’il appelle "un cycle de deux semaines consécutives".

Le total des heures hebdomadaires que prévoit son contrat de travail est réparti sur les deux semaines. La première semaine, il preste moins et ne travaille pas les mercredi et vendredi après-midi. La deuxième semaine, les journées sont plus longues pour rattraper les heures non prestées la première semaine.

"Cela m’aide pour garder un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle", estime Hicham Al Bouhali, qui a quatre enfants en bas âge. "Cela permet d’aller plus souvent récupérer mes enfants à la garderie, de faire des activités avec eux, de rester avec eux le mercredi après-midi", explique-t-il. "C’est vraiment un système qui permet un meilleur équilibre et une meilleure répartition des tâches avec ma compagne", ajoute-t-il. Il estime aussi qu’au final, la charge de travail reste la même.

Dans son entreprise, SD Workx, on a décidé de tester sous forme de phase pilote l’aménagement du temps de travail tel que le permet la nouvelle législation. Ici, 80 personnes testent cette nouvelle possibilité. Cela représente 3 à 4% du total des effectifs de l’entreprise active dans divers domaines de la gestion des ressources humaines. Fin juin, la phase pilote prendra fin et l’entreprise fera le point sur les aspects positifs ou négatifs.

L’important, explique, Bruce Fecheyr-Lippens, responsable des ressources humaines chez SD Worx, c’est que le service au client soit garanti. "Il ne faut pas qu’on arrive le vendredi avec un problème si quelqu’un ne travaille pas le vendredi. Il faut alors que quelqu’un travaille le vendredi", explique-t-il. Dans cette entreprise, diverses formules de flexibilité sont testées. "Il y a des employés qui travaillent vraiment sur quatre jours par semaine. Il y a des employés qui font une semaine 35 heures et l’autre semaine ils font 41 heures", détaille Bruce Fecheyr-Lippens.

Des points positifs ont déjà été épinglés par l’entreprise, notamment une grande implication des employés, un meilleur équilibre vie privée-vie professionnelle et aussi un service aux clients plus élevés, car "on est plus motivé", le responsable des ressources humaines de SD Worx.

Actuellement, les travailleurs concernés sont encore rares

"Cela démarre plutôt lentement", explique Olivier Marcq, expert juridique chez Acerta Consult. "Il y a à peu près 5 travailleurs sur 1000 qui ont fait le choix de prester leur temps plein sur une période de quatre jours", poursuit-il, se basant sur un sondage qu'Acerta a réalisé auprès de 320.000 salariés.

Selon lui, le démarrage timide s’explique par plusieurs raisons. D’abord, ce n’est que depuis fin novembre que la possibilité est offerte aux entreprises et leurs travailleurs d’aménager la répartition du temps de travail. Et puis, il y a des contraintes.

Du côté des employeurs, "il y a un frein administratif", explique Olivier Marcq. "Pour pouvoir l’appliquer au sein de l’entreprise, il va falloir l’introduire dans le règlement de travail, voire faire une négociation avec les syndicats pour conclure une convention collective de travail", ajoute-t-il. "Cela demande du temps et de l’énergie. Certains employeurs n’ont pas le temps ou ce n’est pas la priorité à l’heure actuelle", poursuit Olivier Marcq.

Autre frein, plutôt dans les petites entreprises, c’est le fait que l’absence d’un membre du personnel un jour par semaine ou plus certaines semaines que d’autres ne perturbe l’organisation du service.

Du côté des salariés, il y a aussi des freins. "Certains employés peuvent se dire que c’est une bonne idée, qu’ils vont se reposer plus avec un troisième jour de repos par semaine", argumente Olivier Marcq. "D’autres peuvent se dire que ce qui ne sera pas fait pendant le troisième jour de repos sera à faire en plus sur les quatre journées de travail qui seront beaucoup plus longues", ajoute Olivier Marcq, "car on parle de 9h30, 10 heures par jour, plus une pause. Donc, ça fait une absence de plus de 12 heures du domicile avec le déplacement", poursuit-il.

Globalement, ceux qui ont franchi le pas sont satisfaits. On trouve par exemple des jeunes travailleurs, ou des plus anciens, pour qui ce n’est pas un souci d’avoir des journées plus longues en termes d’organisation familiale. Pour des raisons familiales, on trouve aussi des travailleurs qui ont des enfants en garde alternée et que cela arrange d’avoir une semaine de travail plus légère que l’autre, par exemple.

Une formule plus difficile à appliquer dans certains secteurs ?

Du côté des entreprises qui n’ont pas encore franchi le pas de cette réorganisation du temps de travail, certaines estiment que c’est impossible ou, à tout le moins, très compliqué.

Renaud Caeymaex est exploitant d’un supermarché AD Delhaize à Evere. Pour lui, les choses sont assez claires. "Dans notre secteur de l’alimentation, c’est tout à fait infaisable", estime-t-il. "On travaille sept jours par semaine. Même quand on est fermé (un jour de fermeture hebdomadaire, ndlr), on travaille encore", ajoute-t-il. "De 6 heures à 20 heures, il faut du personnel sur place", poursuit-il.

Actuellement, le magasin fonctionne avec deux "shifts", deux services. Chaque jour, une première partie des travailleurs prestent de 6 heures à 14 heures et une deuxième partie de midi à 20 heures. Ce qui, selon l’exploitant du magasin, "est très compliqué". Entre les pains à cuire le matin, les arrivages de produits frais à mettre en rayon en matinée, les produits "secs" à ranger l’après-midi, les nouvelles fournées de pains à cuire l’après-midi et l’accueil des clients aux caisses, "ce n’est pas possible de réorganiser le travail avec des shifts beaucoup plus longs", estime Renaud Caeymaex. Rassembler sur quatre jours les heures hebdomadaires qu’un salarié doit prester, "cela créerait des trous, clairement. Ce serait un gros problème d’organisation pour nous, en sachant qu’on a du travail sept jours par semaine", ajoute-t-il.

Ce patron de supermarché explique ne pas encore avoir eu de demandes de ses employés. "C’est quelque chose qu’on devra considérer, mais c’est quelque chose qui sera très très compliqué à faire", ajoute-t-il, précisant que le travail en magasin, 8 heures par jour, c’est déjà "physique" et "assez lourd comme ça". "Rajouter deux heures de travail ? Je ne pense pas que le personnel pourra continuer à bien travailler et surtout, être heureux dans son travail en travaillant 10 heures par jour dans ces conditions", termine-t-il.

Pour ce patron, ces formules du type "semaine en quatre jours" ne s’adaptent pas à tous les secteurs.

Rappelons que pour aménager son temps de travail en répartissant les heures autrement, il faut l’accord de l’employeur. Ce dernier doit motiver son refus. 

Extrait du JT du 08/02/2023 :

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