L'atelier des muses

Alma Mahler, une ambition créatrice étouffée au profit de son destin d’épouse

Alma Maria Mahler-Werfel

© adoc-photos – Corbis via Getty Images

"Tu n’as désormais qu’une profession : me rendre heureux…" Voilà comment, en une phrase, on étouffe toute ambition créatrice. Une phrase qui pose une fois encore le problème de la création artistique pour une femme dans une époque et une société qui mettait un frein à ce genre de volonté. Cette phrase, a été prononcée par Gustav Mahler qui demandait ainsi à Alma de choisir entre sa vie de compositrice et son destin d’épouse.

Alma est née Alma Schindler, dans la Vienne de la fin du XIXe siècle, et fut élevée dans un milieu où se rencontraient les meilleurs représentants de l’avant-garde artistique, le gratin des artistes de la Sécession, et parmi eux, son premier amour, Gustav Klimt.

Elle a donc grandi dans un milieu cultivé, formée à la musique. Elle pratiquait le piano avec assiduité, et fut dotée de nombreuses qualités : elle était belle, intelligente, et indépendante d’esprit.

La jeune Alma fréquente des artistes, des écrivains, des plasticiens, des architectes, des peintres, des musiciens, Arthur Schnitzler, Alban Berg, Hugo van Hofmannsthal ou encore Alexander von Zemlinsky qui lui donne des cours de composition.

Un talent sacrifié au profit de son mari

En 1901, lors d’une soirée dans un salon viennois, chez l’épouse d’un anatomiste de renom, elle fait la connaissance de Gustav Mahler, qui était déjà à cette époque directeur de l’Opéra de Vienne. Ils se marient l’année suivante. Mais en épousant Gustav Mahler, Alma sait qu’elle doit faire un sacrifice, renoncer à ses propres ambitions artistiques à la demande de son mari, pour se consacrer à son destin tout tracé d’épouse et de mère. Désormais son emploi du temps est réglé à la minute près, et chacune des minutes est au service de la musique de son mari. Ils auront deux filles. Maria, qui meurt de la scarlatine à l’âge de 5 ans, et Anna, future élève de Giorgio de Chirico à Rome et qui deviendra sculptrice.

Alma Mahler, cependant, est frustrée de ne pas pouvoir composer, elle connaît des périodes de dépression, et d’alcoolisme, et son mariage est un échec. En 1910, elle croise la route d’un jeune architecte ambitieux, Walter Gropius, l’inventeur du Bauhaus, et succombe à son charme. A cette époque, elle brave l’interdit de son mari et recommence à composer. Gustav finit par accepter cela pour ne pas la perdre, conscient aussi de son talent et corrige même ses œuvres.

Alma et Gustav
Gustav Mahler avec Alma et leurs filles Maria et Anna
Alma Mahler avec ses filles

Actrice majeure de la vie culturelle new-yorkaise

L’année suivante, en 1911, Gustav Mahler décède des suites d’une maladie du cœur. Alma, veuve mais encore jeune, entame alors une idylle passionnée de deux ans avec le peintre Oskar Kokoschka. Passion tumultueuse et dévorante, elle le quitte, et rencontre ensuite l’architecte Walter Gropius, qu’elle épouse et qui lui donnera une fille, Manon, qui malheureusement mourra à l’âge de 18 ans. Le compositeur Alban Berg, grand ami d’Alma et qui aimait beaucoup Manon, lui dédiera son célèbre Concerto à la mémoire d’un ange. Elle rencontre ensuite celui qui deviendra son troisième mari : le romancier Franz Werfel. En 1929, le couple fuit l’Allemagne nazie et s’installe aux Etats-Unis. Ce dernier mourra en 1945, et désormais, on la surnomme surnommée la " veuve des quatre arts ".

Alma Mahler, dans la dernière partie de sa vie, fut une actrice majeure de la vie culturelle new-yorkaise. Elle assistait souvent aux répétitions de Leonard Bernstein, grand admirateur de la musique de Gustav Mahler. Elle meurt le 11 décembre 1964 à New York, à l’âge de 85 ans.

Alma Mahler a eu une longue vie, mais musicalement, elle ne fut productive que durant sa jeunesse. Elle a composé des lieder et des pièces instrumentales, une sonate pour piano qui semble perdue, tout en commençant à travailler sur un opéra, ce qui est assez peu, mais suffisant pour nous dévoiler toute l’étendue de son talent. Elle aurait composé une centaine de lieder et beaucoup restent encore inédits. Aujourd’hui sa musique connaît un regain d’intérêt, quelques enregistrements fleurissent, mais ils sont toujours basés sur ses 16 lieder publiés de son vivant, des lieder qui s’inspirent de divers poètes, dont Richard Dehmel ou Rainer Maria Rilke, et qui explorent des thèmes de la perte, et de l’amour comme des échos à sa vie personnelle.

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