La couleur des idées

Alexandre Lacroix, philosophe : « Faire l’amour, c’est culturellement codé »

Le philosophe Alexandre Lacroix

© AFP – JOEL SAGET

Par Tania Markovic via

Ce samedi dans la couleur des idées, Simon Brunfaut reçoit le philosophe Alexandre Lacroix. Directeur de la rédaction de Philosophie magazine, il a publié une série d’ouvrages comportant à la fois des essais et des romans. Son dernier livre, Apprendre à faire l’amour, paru aux Editions Allary, explore la dimension physique de la relation amoureuse et tente de "donner une définition, mieux, une description philosophique complète de la bonne relation sexuelle, autrement dit du ‘coup parfait’".

« Faire l’amour »

Un vocable multiple désigne l’acte sexuel : dans le langage courant on dit "coucher" ou "baiser". Chez les plus jeunes, les sociologues ont remarqué que l’expression "faire le sexe" est en vogue. À ces termes plus ou moins vulgaires, Alexandre Lacroix a préféré une expression que certains pourraient pourtant qualifier de désuète : "faire l’amour". Notre invité justifie ce choix car il porte, contrairement aux termes employés ci-dessus, une dimension de l’activité sexuelle qui compte beaucoup à ses yeux, à savoir le fait qu’elle remue en nous des émotions et des sentiments. "Ce qui me paraît important, c’est que cette expression montre qu’il ne s’agit pas uniquement d’une affaire physique et que, même lors d’une relation sans lendemain où le but recherché semble apparemment être uniquement le plaisir, quelque chose en nous est remué, bougé, agité par la sexualité. Notre identité y est en jeu", explique le philosophe.

Le sexe est politique

Au cours de l’entretien, Alexandra Lacroix pose un constat : le sexe, comme toute chose, est politique. Il cite le travail de la philosophe américaine Andrea Dworkin qui, en 1987, publiait Intercourse, traduit chez nous sous le titre Coïts, livre que Leonard Cohen qualifiait de "complexe", "magnifique" et "provocant". Alexandre Lacroix résume les propos d’Andrea Dworkin en ces termes : "la baise standard ou normale vécue par un homme standard ou normal est associée à des notions d’annexion de l’autre, de prédation, d’invasion du corps de l’autre, de possession. Il s’agit donc d’un acte presque guerrier dans lequel la femme est réduite à un état d’objet et dans lequel elle trouve presque une satisfaction ambiguë à sa propre soumission". Il poursuit :

Ce que Dworkin avant Despentes a dit avec force c’est que la sexualité ne se déroule pas dans une boîte noire. Ce que j’appelle ‘l’idée de la boîte noire’est cette notion mise en place à partir de l’instauration de la chambre à coucher au XIXe siècle selon laquelle ce qui serait de l’ordre du sexuel appartiendrait au champ de l’intime et du privé et par conséquent serait coupé des relations politiques et économiques. Andrea Dworkin ouvre la boîte noire et nous montre bien que la domination masculine au lit est le strict prolongement de la domination économique et politique exercée par les hommes dans la société.

Instaurer une meilleure circulation du pouvoir

À partir du constat énoncé précédemment, deux pistes potentielles de solution s’imposent : soit envisager une sexualité sans rapport de pouvoir ou instaurer une meilleure circulation de ce pouvoir.

On voit bien que la véritable solution serait qu’il n’y ait plus de domination masculine dans la société. Ce qui se passerait alors dans la chambre ne serait pas connoté politiquement comme c’est le cas aujourd’hui.

En attendant ce jour béni, Alexandre Lacroix propose deux voix. La première serait celle de "l’égalitarisme sexuel" qui consisterait à gommer tous les actes ou mots qui pourraient passer pour des actes de domination ou des mots qui rabaissent. Il s’agirait pour l’homme de se surveiller sans cesse et de surveiller l’usage qu’il fait de sa force physique ou musculaire (quand il en a davantage que sa partenaire). De même, la femme devrait veiller à ne pas tomber dans des comportements dits "soumis".

"Le problème de la voie de l’amour égalitarisme, c’est que l’on va dès lors se surveiller mutuellement comme des casques bleus en mission de pacification sur le terrain miné de l’hétérosexualité", plaisante Alexandre Lacroix. Une autre solution, privilégiée celle-ci par l’auteur, serait donc de considérer que le problème n’est pas une question de positions adoptées ou d’usage de la force mais plutôt celui d’une répartition des rôles figée. Il faudrait organiser dans le coït une circulation du pouvoir qu’Alexandre Lacroix illustre par une métaphore :

Quand vous dansez avec un partenaire, vous savez qui mène la danse. On peut tout à fait imaginer dans l’activité sexuelle que tour à tour ce soit l’homme ou la femme qui mène la danse de manière un peu paritaire.

Retrouvez l’intégralité de l’entretien mené par Simon Brunfaut, à écouter ci-dessous ce samedi 18 juin dès 11 heures.

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