Bien sûr, gagner un Concours de piano, ça arrive à plein de gens, mais le Concours Tchaïkovski, c’est un petit peu particulier. Un Concours qui se mêle intimement à l’Histoire du XXe siècle, un peu comme notre Concours Reine Elisabeth, qui a vu s’affronter, par exemple, des candidats soviétiques et des candidats américains, dans l’atmosphère chargée de la Guerre Froide, où une victoire, même musicale, de l’un sur l’autre, pouvait donner un coup de canon psychologique à l’adversaire. On l’a vu dans le monde des échecs, notamment avec la légendaire victoire de Bobby Fischer sur Boris Spassky en 1972, une partie d’échecs qui était un véritable champ de bataille politique.
Lorsque l’URSS ouvre pour la première fois le Concours Tchaïkovski en 1958, l’objectif est le même : montrer l’évidente supériorité culturelle de l’Union soviétique sur l’Occident décadent, et ce, juste après le succès majeur du premier Spoutnik, lancé dans l’espace quelques années auparavant, au nez et à la barbe des Américains.
Petit bémol soviétique, la première édition du Concours Tchaïkovski voit monter sur la scène un jeune Américain : Harvey Lavan Cliburn, plus connu sous le nom de Van Cliburn, qui va écraser le Concours de sa classe, dans un premier Concerto de Tchaïkovski et un troisième de Rachmaninov qui lui valent une interminable ovation du public moscovite. Le jury est sidéré ; on demande à Nikita Khrouchtchev son autorisation pour donner ce premier prix trop évident à cet Américain, et Van Cliburn repart au pays, fêtant sa victoire dans une longue parade dans les rues New yorkaises, voyant le Time titrer : le Texan qui a conquis la Russie".
Malgré cet ignoble, mais indiscutable, affront pour l’Union Soviétique, le Concours Tchaïkovski va révéler au monde dans les années suivantes, les plus grands noms du piano russe : Vladimir Ashkenazy, Grigory Sokolov, Andreï Gavrilov, Mikhaïl Pletnev, Daniil Trifonov… Mais surtout, en 2019, ce nom, à consonance russe, le nom de ce jeune homme, Alexandre Kantorow, un Français, certes, le fils du violoniste Jean-Jacques Kantorow, aux origines russes, pour donner une ligne brillante au palmarès de l’immense Concours Tchaïkovski, dont, il faut bien le dire, on risque de ne plus entendre beaucoup parler dans les années à venir… Un Concours dévoré par la guerre, comme tant de choses là-bas plus à l’Est.
Kantorow est un phénomène pianistique, d’évidence technique, bien sûr, mais surtout d’une maturité artistique confondante pour son jeune âge, il n’a que 25 ans. Il sera donc ce vendredi au Bozar à Bruxelles. Un concert qui sera diffusé en direct dès 20h sur Musiq3.