Exposition

Alerte écologique et poésie insulaire dans les nouvelles expositions du HANGAR

série Terra Nullius, Matthieu Litt, 2022.

©  Matthieu Litt

Par Xavier Ess

Le centre d’art dédié à la photographie Hangar poursuit son exploration du monde actuel et du medium photographique à travers une exposition en trois chapitres : " Echoes of Tomorrow " met en lumière les conséquences dévastatrices du changement climatique, "Melting Islands", se concentre sur l’insularité et la particularité des îles qui sont particulièrement vulnérables et un troisième chapitre, "Replica Falsifica" de Paul D’Haese, qui interroge de façon poétique une autre urgence, celle de la véracité des images dans le contexte actuel de saturation médiatique.

On a rencontré les quatre auteurs du chapitre Melting Islands qui combine alerte écologique et poésie : Matthieu Litt (Groenland), Mathias Depardon (Santiago – Cap Vert), Clément, Laurent Chapillon (Amorgos – Grèce) et Richard Pak (Tristan da Cunha, Pacifique sud - Royaume-Uni).

Richard Pak, Tristan da Cunha de la série La Firme (2016), le premier chapitre d’une anthologie (Les îles du désir)
Richard Pak, Tristan da Cunha de la série La Firme (2016), le premier chapitre d’une anthologie (Les îles du désir) © Richard Pak
série Terra Nullius, Matthieu Litt, 2022
série Terra Nullius, Matthieu Litt, 2022 © Matthieu Litt

Terra Nullius

Matthieu Litt, jeune photographe liégeois, a passé un mois au Groenland à bord du Manguier dans le cadre de la résidence "Artistes en Arctique". L’Arctique est l’une des régions les plus touchées par le changement climatique. La hausse des températures a entraîné la fonte accélérée de la banquise, la fonte du permafrost, la diminution de la couche neigeuse et l’élévation du niveau de la mer. Les écosystèmes arctiques sont aussi menacés par l’exploitation des ressources naturelles : minerais, hydrocarbures, pêche intensive. L’Arctique est un nouvel Eldorado. Voilà pour les enjeux. Et pour le photographe la volonté de sortir des images habituelles sur le réchauffement climatique qui n’ont plus d’impact par leur multiplication. Il choisit une approche qui imbrique le réel et l’irréel, mêlant le fantasme d’un paysage intact avec la réalité de la fonte des glaces. Matthieu Litt a photographié en argentique, donc sans voir le résultat des prises de vues avant son retour. Par un jeu de superposition des prises de vues et de surexposition ou sous-exposition du négatif, ses images sont fantomatiques, virent parfois au rose ou au bleu pétrole, d’autres fois elles semblent venir d’autres planètes ou même évoquer une esthétique virtuelle de jeu video. Le photographe suscite l’interrogation par le biais de l’étrangeté, " parce qu’on voit tellement d’images [sur les dégâts écologiques] qu’on a l’impression de les connaître. "

série Terra Nullius, Matthieu Litt, 2022
série Terra Nullius, Matthieu Litt, 2022 © Matthieu Litt
Moving Sand / Cape Verde, 2022.
Moving Sand / Cape Verde, 2022. ©  Mathias Depardon

Sable mouvant / Cap Vert

Le sable représente 85% de l’extraction de minerais dans le monde. Du sable pour faire du béton. L’extraction du sable des littoraux a un impact sur l’écosystème et les populations. De 2019 à 2021 Mathias Depardon-photo-reporter- a réalisé la série Marchands de sable en 6 chapitres, de l’Inde à la Floride et au bassin parisien. Une série pour le journal Le Monde parue en septembre 2022 (toujours en ligne pour les abonnés). Le Hangar montre le travail des femmes sur les côtes de l’île de Santiago au Cap Vert. Elles sont 200 à transporter des seaux de 40 kg dans des allées venues incessantes entre l’eau et la plage. Les photos témoignent de ce travail de forçat qui se perpétue de mère en fille depuis 3 générations pour alimenter le secteur de la construction privée et publique locale. Et au-delà du littoral, le dragage détruit tout l’écosystème sur son passage. Les chiffres renseignés par le photographe résument la problématique : cinquante milliards de tonnes de sable sont consommées par an, l’extraction quotidienne représente 18 kg par personne avec une demande supérieure à l’offre. Même si elle est régulée, l’industrie du sable est la plus corrompue et dévastatrice qui soit, affirme Mathias Depardon qui cite le cas d’assassinat d’activiste et d’intimidation sur les journalistes et la population en Inde par exemple.

Moving Sand / Cape Verde, 2022
Moving Sand / Cape Verde, 2022 ©  Mathias Depardon
série Les Rochers Fauves, 2019
série Les Rochers Fauves, 2019 ©  Clément Chapillon

Sur une île on voit loin mais on est toujours seul

Île des origines Île du bout du monde 

Les deux projets suivants sont quasi ethnographiques avec la recherche de ce qui fait la singularité des insulaires, avant que le tourisme de masse et la modernité ne les dénaturent.

Clément Chapillon fait des séjours sur l’île grecque d’Amorgos depuis une vingtaine d’années et Richard Pak, "islomane" revendiqué, qui consacre tout son travail de photographe aux îles. Il manquait à son palmarès l’île la plus isolée du monde : Tristan Da Cunha dans l’Atlantique Sud, au large de l’Afrique du Sud. Il faut huit jours de bateau pour l’atteindre. Isolement, du latin insula : île, est le mot-clé de ces deux projets.

série Les Rochers Fauves, 2019
série Les Rochers Fauves, 2019 © Clément Chapillon

Les rochers fauves

Amorgos est l’île la plus pauvre et la plus orientale des Cyclades. Dix heures de ferry depuis le Pirée. Dans cette île montagneuse et aride où l’homme est concentré dans trois villages, Clément Chapillon cherche à retrouver " la Méditerranée des origines. " Capter " l’espace mental de l’insularité "; comment la séparation du reste du monde influence la vie et la mentalité. Hors saison touristique, il reste 800 habitants vivants de la pêche, des olives et des moutons sur cette île venteuse et aride. Des autochtones et des exilés volontaires. Ceux qui ont fui une vie trépidante, urbaine ou douloureuse et fantasmé l’île comme un refuge, un Eden de calme, une vie de simplicité volontaire, un retour sur soi au risque de se laisser piéger. C’est le paradoxe de l’insularité : on vit isolé mais en permanence face à un vaste horizon, comme une promesse d’un ailleurs à découvrir au-delà des mers. Une prison dorée si on n’est pas assez fort. Amorgos c’est l’île du Grand Bleu qui y a amené pas mal de français il y a 30 ans. Les rochers fauves débute par une video en noir et blanc de cette mer inquiétante sur le son d’une invocation de la liturgie byzantine ; " aie pitié de nous ". Toute la vie est cadencée par les fêtes religieuses autour du pope dirigeant le monastère de Chozoviotissa érigé il y a 1000 ans. Les photos de Clément Chapillon nous font ressentir cet étalement du temps ; dans les paysages, les intérieurs comme les personnes.

série Les Rochers Fauves, 2019
série Les Rochers Fauves, 2019 © Clément Chapillon

Clément Chapillon photographie un bûcheron " vivant de rien ", un coiffeur athénien installé au monastère, une écrivaine britannique arrivée il y a 50 ans, jeune femme rêvant peut-être d’ailleurs et les carcasses rouillées de bateaux échoués, des ruines dans la montagne, une, le monastère immaculé. Le blanc si typique des îles grecques résume bien l’âme d’Amorgos. La peinture obtenue par la combustion de la chaux à température très élevée a provoqué la déforestation de l’île. Amorgos, solaire et ténébreuse. Amorgos menacée par un projet d’agrandissement du port de plaisance pour accueillir les énormes paquebots de croisière…

série Les Rochers Fauves, 2019
série Les Rochers Fauves, 2019
série Les Rochers Fauves, 2019
Calshot harbor est le seul point d'accostage sur l'île de Tristan da Cunha. - Richard Pak, séries La Firme, 2016.
Calshot harbor est le seul point d'accostage sur l'île de Tristan da Cunha. - Richard Pak, séries La Firme, 2016. ©  Richard Pak

Tristan da Cunha, l’épine de la couronne d’Angleterre

L’île habitée la plus isolée du monde valait bien un voyage en mer de 8 jours - et un accostage sur la météo le permet - et un séjour de 2 mois pour Richard Pak passionné par l’observation d’un “vase clos” où l’humanité donnerait à voir ses caractéristiques. L'île de Tristan da Cunha, entièrement volcanique, abrite 250 habitants britanniques cultivateurs de patates (le seul légume qui résiste aux conditions météo), bergers et pêcheurs rassemblés dans un seul village. La petite communauté a ses règles immuables depuis 1816 : pas de propriété de la terre et mise en commun des profits. Île sous perfusion, l’État britannique assure un emploi à chaque personne à partir de 18 ans. Ça aide à vivre mais ça n’incite pas aux études et au développement, commente Richard Pak.  Huit familles constituent une communauté patriarcale qui n’accepte un.e nouvel.le arrivant.e qu’à la condition d’un mariage. Ces conditions d’extrême isolement et d’activité entièrement conditionnée par la météo (l’île se trouve dans les 40e rugissants) ne semblent pas marquer ces visages de robustes îliens dont on verra peu les femmes.

Melting Islands réussit à combiner la poésie et la mise en alerte sur la crise climatique évoquée frontalement avec Matthieu Gafsou, Alice Pallot et le collectif De Anima dans le chapitre Echoes of Tomorrow.

Á voir au Hangar du 19 avril au 8 juillet 2023

 

Tristan Glass, série La firme, 2016
Tristan Glass, série La firme, 2016 © Richard Pak

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