Quel est-ce "nous" actuellement en danger ? Alain Chouraqui précise :
Il s’agit de l’ensemble des démocraties occidentales libérales, mais ces phénomènes de crispations identitaires concernent le monde entier, on le voit aux Etats-Unis, en Chine, en Inde, en Europe, et bien sûr en Russie.
Dans cet ensemble très divers de pays, Alain Chouraqui et son équipe ont essayé, à partir des génocides avérés du XXe siècle (la Shoah, le Rwanda, l’Arménie) de trouver des outils permettant à partir de cette histoire de décrypter le présent. "Nous considérons que les démocraties européennes sont sur une ligne de crête au sens où les forces et les mécanismes qui ont conduit au pire dans le passé sont des mécanismes qui sont à nouveau très largement enclenchés aujourd’hui", avertit Alain Chouraqui. Il poursuit :
À ce stade nous considérons que nous sommes au milieu de ce processus qui peut faire basculer les démocraties vers des régimes que d’aucuns appellent pudiquement " hybrides ". Ce moment de glissement est d’autant plus dangereux qu’il n’est pas brutal, il est impératif que l’Histoire alerte le présent d’une façon aiguë et importante qui nous conduit à résister de toutes les manières possibles tant qu’il est encore tant pour préserver l’essentiel.
Le chercheur et son équipe ont déterminé qu’il y a très généralement dans les génocides un terreau à partir duquel s’est enclenché en Europe un engrenage en trois étapes. Ce terreau consiste en l’ensemble des tensions, certaines normales et d’autres anormales, à l’œuvre dans une société. Du côté de la normalité on trouve les différences d’intérêts et d’opinions absolument légitimes dans une démocratie. De l’autre le rejet de l’autre, l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie et l’homophobie. Ce terreau se retrouve à peu près dans toutes les sociétés de tout temps. "La question est le moment où à partir de ce terreau s’enclenche un engrenage en trois étapes" explique Alain Chouraqui. Quelles sont-elles ?
La première est marquée fortement par l’émergence de l’extrémisme identitaire "qui n’est pas le souci identitaire, lui légitime", insiste le chercheur. La deuxième étape où nous nous trouvons actuellement est le moment où il y a un risque extrême de glissement ou de basculement de la démocratie vers un régime autoritaire ou pire. La troisième étape est connue et est en cours dans certains régimes, c’est celle des détentions arbitraires, des disparitions d’opposants, parfois des crimes de masse… "Nous n’en sommes pas encore là dans l’Union Européenne et c’est précisément parce que nous ne voulons pas en arriver là que nous alertons à partir du passé", explique Alain Chouraqui.