La première année d’un nouveau directeur de festival est toujours guettée avec beaucoup d’attention et un brin de scepticisme.
Pierre Audi, metteur en scène franco-libanais, directeur pendant 30 ans du "Nederlandse Opera" d’Amsterdam l’a voulue radicale, cette prise en charge d’Aix. Une réussite globale.
Mozart, oui mais pas un opéra, son "Requiem", revu par le duo Castellucci /Pichon.
Répertoire ? XXè et XXIè siècle uniquement.
Avec "Tosca" de Puccini, confiée -à un cinéaste, Christophe Honoré.
"Grandeur et décadence de la ville de Mahoganny" (Kurt Weill/Brecht) mis en scène par Ivo Van Hove.
Une création contemporaine du jeune compositeur israélien Adam Maor, "Les 1000 endormis", oppose un premier ministre israélien et 1000 prisonniers palestiniens.
La seule "reprise", exceptionnelle de qualité, est le chef d’œuvre de Wolfgang Rihm "Jacob Lenz", coproduit entre autres par La Monnaie en… 2015 dans une mise en scène d’Andrea Breth, bouleversante de sombre poésie.
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Le Requiem de Mozart. Disparition ou renaissance ?
On n’a jamais vu le Requiem de Mozart "mis en scène" sauf… à Bruxelles, à la Monnaie, il y a deux ans. Fabrizio Cassol complétait et recréait la partition de Mozart en s’inspirant de rythmes africains, avec des musiciens africains. Et en toile de fond Alain Platel introduisait la fin de vie d’une dame mourant "dans la dignité", avec l’acceptation de sa famille. Impensable en France, où la mort récente de Vincent Lambert maintenu dans un coma artificiel pendant 11 ans a pris l’allure d’une guerre civile nationale. Le double tabou, Mozart "détourné" et une femme en train de mourir aurait créé en France un traumatisme auprès duquel les quelques sifflets, couverts d’applaudissements (entendus le 12 juillet) pour la version "conceptuelle" de Castellucci, sont bien anodins.
Le jeune chef d’orchestre Raphaël Pichon et le vieux routier Roméo Castelluci s’entendent comme larrons en foire pour faire de l’œuvre de Mozart un chant de vie et d’espérance plus que d’effroi sacré. Avec comme point de départ la dernière lettre de Mozart à son père où il affirme que "la mort est le vrai but de notre vie…une excellente amie de l’homme… Son visage très apaisant et très consolant… est la clef de notre vraie félicité".
Le Requiem inachevé, composé l’année de la mort de Mozart, a été complété par son disciple Süssmayr d’après ses indications. Et Pichon "complète" à son tour par des extraits de chants grégoriens, ou de musique funèbre maçonnique et même par une antienne anonyme défendue par un tout jeu chanteur impavide, Elias Pariente, au final. Voix fragile, vie fragile, menacée et d’autant plus belle, comme ces bouquets de fleurs ou ces arbres fauchés : la beauté de la vie tient à son caractère éphémère. Comme cette œuvre inachevée condamnée à disparaître, comme les espèces animales et végétales, les œuvres d’art, les religions, toutes les constructions physiologiques et humaines : un catalogue de ces disparitions défile en permanence.
Et pourtant tout sur scène prouve que la vie est tenace, malgré ou à cause des menaces : au début une petite vieille se meurt dans son lit. Mais elle renaît en cours de route sous des formes féminines diverses, une petite fille sacrifiée (comme dans le Sacre du printemps) , la voix lumineuse des cantatrices et, à l’extrême fin, ce bébé posé délicatement sur le sol alors que brusquement la scène s’était renversée, inondée, dévastée, privée de toute forme de vie.
Surtout il y a cet extraordinaire chœur vivant, vibrant qui parvient à chanter à la perfection et à exécuter en même temps de curieuses danses folkloriques imparfaites, comme la vie. Ces virtuoses vocaux sont des sportifs qui parviennent à se vêtir et se dévêtir en un temps record pour changer de rôle à vue. Ce chœur est le corps multiforme de toutes les ambiances et rituels voulus par Castellucci, de l’ombre à la lumière, ici blanc et noir, là couleur terre, là encore rouge vif comme le sang.
La complicité entre Raphaël Pichon et Romeo Castellucci est totale, ce qui permet une belle harmonie entre Pichon, l’orchestre, le chœur et les solistes, tous remarquables et Castellucci, peintre, chorégraphe, sculpteur de corps, brasseur de mort et de vie.