La Belgique a annoncé 92 millions d’euros d’aide militaire supplémentaire à l’Ukraine, soit le plus important paquet de soutien belge, portant l’effort total de la Défense à 186 millions d’euros depuis le début de la guerre en février 2022. Selon certaines comparaisons internationales, la Belgique reste toutefois en fin de classement des pays soutenant l’Ukraine.
En conférence de presse, tant la ministre de la Défense que le Premier ministre ont balayé cet argument, préférant la notion de complémentarité à celle de compétition entre nations. "Dans nos interactions avec les Ukrainiens, ceux-ci savent ce que nous avons et sont très précis dans leurs besoins. Ça ne sert à rien d’envoyer du matériel pour lequel il n’y a pas de demande spécifique", a souligné Alexander De Croo plaçant la Belgique au même niveau que la France, l’Espagne et l’Italie, et rappelant que le royaume a été un des premiers pays à fournir un soutien militaire à l’Ukraine.
Une somme conséquente
"92 millions d’euros, c’est une somme conséquente", commente Christophe Wasinski, professeur en Relations Internationales à l’ULB, expert dans les domaines de légitimation de la guerre et des questions d’armement et de sécurité. Mais il se refuse à la comparer avec les sommes allouées par d’autres pays, car "nous n’avons pas de visibilité totale, ou du moins de données complètes, sur ce qui est fourni à l’Ukraine par les différents pays européens".
Il ajoute que certaines formes d’aide ne se chiffrent pas et relèvent d’accords passés entre Etats, pointant notamment un soutien indirect apporté par la Belgique à l’Ukraine il y a quelques mois, lorsque notre pays a vendu à la Grande-Bretagne des véhicules lourds de type obusiers automoteurs, remis en fonction outre-Manche en vue d’être exportés vers l’Ukraine. "C’est aussi, dit-il, une forme de contribution, sur le plan politique, et c’est essentiel".
Comparaison n’est pas raison
"Il faut être extrêmement prudents lorsqu’on cherche à classer les Etats pour dire qu’il y a les bons et les mauvais élèves en matière de soutien à l’Ukraine", poursuit le chercheur, pointant l’intérêt de certains, selon lui, à créer une forme d’émulation pour pousser d’autres à livrer davantage de matériel à Kiev.
Concernant la Belgique, on sait qu’une partie des armes et munitions qui viennent d’être débloquées proviennent des stocks de la Défense, une autre étant achetée auprès de l’industrie de l’armement pour être transférée à l’Ukraine. "Si on exporte des armes appartenant actuellement à l’armée belge, cela veut dire qu’il faut acheter de nouvelles armes pour la Défense. C’est un calcul qui semble avoir été fait dans certains pays européens : céder des armes plutôt vieilles pour pouvoir profiter du fonds européen et renouveler son matériel. Dans la seconde dimension, cela semble tout bénéfice pour l’industrie belge de l’armement, dans une logique commerciale".
Quel impact sur les stocks de la Défense ?
Théoriquement, l’aide militaire apportée à un autre pays n’est pas censée mettre à mal un stock d’armes national qui pourrait être nécessaire pour se défendre ou se projeter à l’étranger. "En termes de sécurité pour la Belgique, il n’y a pas beaucoup de risques", assure le professeur.
"Le conflit se déroule en Ukraine, l’armée russe qui était présentée comme la troisième armée la plus puissante au monde est bloquée en Ukraine, on réalise que son potentiel militaire est bien plus faible qu’on ne le pensait. Alors même si les stocks belges sont entamés pour le moment, il n’y a pas de risques à terme, du moins conventionnels, pour le territoire belge. Bien qu’il y ait toujours un risque d’escalade et d’extension géographique du conflit vers des pays frontaliers de l’Ukraine […] mais personne aujourd’hui n’imagine l’armée russe arriver en Europe de l’Ouest après sa campagne ukrainienne", explique-t-il.
"Tournant" ou guerre d’usure ?
D’après Christophe Wasinski, "tant qu’on se concentre exclusivement sur les livraisons d’armes, on ne se concentre pas sur d’éventuelles négociations et sur une éventuelle résolution politique du problème et de ses origines […] Or, le débat, de plus en plus, se consacre à ces questions d’armement. C’est pour moi extrêmement problématique car ça occulte l’essentiel : la dimension politique du conflit".
"Aujourd’hui, on entend dans les discours de nombreux experts ou hommes politiques, l’idée selon laquelle on est à un tournant. Mais on le répète depuis un moment… Peut-être qu’on n’y est pas du tout, peut-être qu’on est tout simplement dans une guerre d’usure et qu’on est en train de s’épuiser, ce qui est pour moi extrêmement inquiétant", conclut le politologue.